Chroniques disciplinaires, atomiques et palindromiques.



Lu. Sexy Dressing. De Duncan Kennedy.

Duncan Kennedy est apparemment quelqu'un de raisonnablement connu dans son domaine, mais je le découvre avec cet ouvrage. Il est spécialiste et titulaire de chaire en théorie générale du droit, ce qui lui permet visiblement de mener des réflexions de fonds sur l'organisation sociale, et pas seulement dans une perspective juridique fermée. De fait, il fait appel à des éléments théoriques issus de champs variés, notamment sociologiques et économiques, pour élaborer un propos que je trouve non seulement juste et fermement assis, mais aussi étonnamment facile et compréhensible. Je ne dis pas que c'est complètement tout public, mais disons qu'on est loin du jargon juridique, même si l'ensemble fait appel à une culture intellectuelle générale assez large. Si j'ai acheté ce livre, c'est en fait sur la seule foi de son titre et de son quatrième de couverture : violences sexuelles et érotisation de la domination, où est posée une question centrale : comment conserver l'humour, le désir, voire la provocation dans les rapports de séduction tout en protégeant les femmes des violences sexuelles. Ce qui est finalement une problématique qui me questionne depuis longtemps. Et si Duncan Kennedy n'y apporte pas une réponse définitive (et qui le pourrait ?), il m'a par contre fournit un cadre de pensée et des idées que je trouve extrêmement intéressantes. Plutôt favorable à l'analyse du féminisme radical, il s'en détache cependant un peu, d'une part parce qu'il ne prétend pas sortir du point de vue qui est le sien (mâle blanc cultivé), d'autre part parce qu'il tente d'y ajouter certaines finesses et de contourner ainsi certains obstacles et blocages. Maintenant, on est dans le chipotage, parce qu'il est fermement du coté du féminisme radical au final, et tant mieux d'ailleurs. Sur le fonds, son analyse de la violence sexuelle, et notamment par le prisme d'un regard économique, est à mon sens très intéressant, abordable, et synthétise de manière très claire beaucoup de notions importantes. Les propositions qu'il fait ensuite en analysant le système comme un mécanisme disciplinaire me semble essentiels et, là encore, extrêmement lisibles. Et enfin, sa perspective sur l'habillement, et les perspectives de résistance, notamment cachées et indirectes, m'a beaucoup intéressée, plutôt en termes de positionnement que de vraies réponses aux questions posées. N'étant pas u grand spécialiste du sujet, j'aurais du mal à le replacer dans une perspective plus large mais deux points forts émergent pour moi et me feraient recommander ce livre : une synthèse claire et engagée des perspectives du féminisme radical sur ces questions, et des ouvertures très fines en termes d'analyses et de propositions pour avancer sur ces sujets. Comme je le disais, plutôt des outils et des pistes de réflexion et de construction que des réponses, mais c'est à mon sens un très bon point.


Lu (BD). Au nom de la bombe. De Albert Drandov et Franckie Alarcon.

Je ne suis pas toujours convaincu par l'utilisation de la BD pour raconter des choses de l'ordre du documentaire, particulièrement quand il ne s'agit pas de suivre un personnage ou une trame unique, mais je dois bien avouer qu'ici, ça fonctionne vraiment bien. Peut-être est-ce parce que le thème est si fort, ou parce que chaque histoire, aussi courte qu'elle soit, est une craie histoire avec une chute et un propos, et que toutes s'inscrivent dans une chronologie, toujours est-il qu'on se laisse prendre aussi bien par ce qu'on découvre sur le fonds que sur ce que raconte chaque histoire. Vous l'aurez sans doute deviné, on parle des essais nucléaires (français) depuis les premiers tirs souterrains en Algérie aux très nombreux tirs atmosphériques en polynésie, et surtout de tout ce qui a été tu, de toutes les victimes directes ou indirectes et des silences criminelles de l'armée et des gouvernements successifs. Et quand je dis criminel, je n'exagère pas puisqu'il s'agit bien d'irradier en toute connaissance de cause des appelés pour tester les effets, que des populations civiles parce que ce serait trop compliqué de les déplacer. On passe ainsi en revue des situations variés, traitées avec humanité et souvent humour, sans jamais dévier d'un propos direct, carré et pas gratuitement provocateur. Le fait que le tout soit complété par des textes de courts témoignages, et des reproductions de documents et rapports officiels ôte tout doute quand à la véracité des situations racontées. Et ça fait peur, ça donne envie de vomir, et c'est désespérant de voir que, finalement, on en parle peu, personne n'a été inquiété et ce n'est pas parti pour changer. Bref, une BD qui se révèle une vraie réussite pour faire passer des informations importantes et rarement diffusées sur un des épisodes les moins glorieux de l'histoire récente de notre pays.


Lu. Man in the dark. De Paul Auster.

J'aime habituellement bien Paul Auster, et j'ai donc lu son dernier avec intérêt, pas si récemment. J'avais plutôt apprécié, mais je dois avouer que je n'en ai pas gardé grand souvenir, ce qui est en soi révélateur. Paul Auster mêle ici deux histoires : celles d'un vieil homme convalescent dans la maison de sa fille et de sa petite-fille, toutes deux abandonnées par leurs compagnons pour des raisons différentes mais très tristes ; et celle d'une autre amérique, où les USA ne sont pas en guerre avec l'Irak mais avec eux-mêmes. Les deux sont liées parce que le vieil homme rêve cette autre amérique, alimenté par l'actualité et par le fait que l'ami de sa petite-fille est mort en Irak. Auster écrit bien, c'est acquis, je n'y reviens pas, c'est toujours le cas. Et sa métaphore de cette autre Amérique a du sens et est assez riche, amusante parfois, pertinente souvent. De la même manière que les relations des personnages sont fines et souvent touchantes. Et tout ça se combine assez bien. Maintenant, au final, et particulièrement avec du recul, j'ai du mal à dire que ça laisse un souvenir fort. C'est bien fait, les intentions et idées sont bonnes mais je ne peux pas dire que j'ai été profondément touché ou convaincu de l'ensemble. Maintenant, d'autres aimeront sans doute beaucoup et je n'ai pas de vrai reproche à faire.


Vu. Avatar. De James Cameron.

Alors à force, oui, je suis allé le voir. Et en 3D sur écran géant s'il vous plait. Et je dirais tant mieux (en tout cas pour la 3D et l'écran géant), parce que oui, c'est très beau, on en prends plein les yeux tout le long. Les paysages sont superbes (même si le traitement graphique général m'évoque World of Warcraft par certains aspects, mais c'est la mode, ma bonne dame), variés, et même les scènes d'intérieur foisonne d'interfaces informatiques et autres sucreries visuelles colorées (très colorées même). Et la 3D dans tout ça ? Personnellement je ne trouve pas ça vital ni complètement bouleversant mais ça ajoute un plus certain dans les grandes scènes extérieures (je trouve ça par contre un peu fatiguant, voire gênant, pour les scènes de combat et d'action rapide, mais chacun ses yeux). Ayant dit tout le bien que je pense de l'aspect esthétique, je vais maintenant baver un bon coup sur le scénario qui, plus que de m'avoir déçu par sa légèreté, m'a franchement énervé par ses choix « politiques ». On est d'accord que fondamentalement, c'est une métaphore de la colonisation, particulièrement américaine et africaine. En fait, c'est le même scénario que Pocahontas. Mais donc, sur cette base, que se passe-t-il : le héros est accepté par les indigènes suite à une signe « divin » (enfin divin genre animiste, nature personnalisée et toute puissante), il unit les clans pour résister aux colonisateurs. Jusque là, on se dit, bon, chiche. Mais les clans réunis se font plier, et c'est le héros, invoquant le pouvoir de la nature, qui sauve l'affaire (oui, parce que les indigènes, invoquer la puissance du truc avec lequel ils sont en harmonie depuis des siècles, c'est pas dans leurs compétences). Du coup, personnellement, le mythe du héros salvateur (et pas indigène) parce que la résistance collective ne peut pas aboutir, dans ce cadre, ça me gonfle grave. Rajoutez à ça qu'une fois les colonisateurs défaits militairement, ils repartent dans leurs vaisseaux et tout le monde est content, les gentils ont gagné et faire la guerre, c'est bien parce que c'est ça qui résoud les problèmes. Parce que oui, ils venaient parce que le minerai ici vaut des millions le kilo, mais là ça leur a servi de leçon, ils ne vont pas insister. Là encore, arg. Bon, certes, je cherche peut-être plus que la moyenne du public, mais dans la mesure où c'est clairement une métaphore sur la colonisation, proposer des solutions de ce type, idéologiquement ça m'énerve, et pour le même prix, ça tient pas debout. Bref, c'est très beau, mais il ne faut pas trop brancher son cerveau pour en profiter pleinement, sinon ça peut franchement énerver.


Vu en spectacle et Atelier. Franck Lepage, Incultures I.

Franck Lepage, c'est bien, mangez-en. Ce rappel fait, je vais vous parler de Franck Lepage en vrai spectacle, et de l'atelier qui suit. En effet, la SCOP Le Pavé n'accepte de faire tourner les spectacles que si ils sont accompagnés d'un atelier qui permettent de travailler ces thèmes avec le public lui-même. Une bonne chose, à mon sens. Nous avons donc assisté au spectacle le vendredi, et c'est très bien, même si on a déjà vu et revu le DVD. Parce que c'est un spectacle vivant à tous les sens du terme : ça bouge, c'est humain, et surtout, Lepage rajoute des bouts, des digressions, des éléments de ses autres spectacles, etc. Du coup, ça dure plus longtemps qu'annoncé mais ça passe bien vite et on est bien content de le voir en vrai. Et le lendemain, atelier de désintoxication de la langue de bois. Anecdote amusante, une bonne moitié des participants n'avait pas vu le spectacle, ce qui est un peu étonnant, mais ça fonctionne quand même. On commence par lister les expressions et lieux communs qui nous énervent, pour purger, et puis on va prendre le temps de les analyser, de les classer et de voir ce qui se cache derrière. A noter qu'on travaille ici sur le vocabulaire uniquement, pas sur la rhétorique ou l'image, parce que sinon ça rentre plus en une seule session (mais ça donne envie d'approfondir dans ces domaines-là par contre). Le classement et l'analyse se fait en groupe, en semi-débat, bien animé et tenu globalement, et effectivement, on apprends et on réalise pas mal de choses. On aboutit à se poser la question d'où vient cette langue de bois, de comment elle apparaît et se diffuse, ce qui permet de découvrir la puissance des Think Tanks, et là ça fait peur quand même pas mal. Manque à mon sens une conclusion, une fin un peu plus structurée et active puisque la tendance a été pour finir de s'engluer dans des semi-débats pas très cadré. Rien de grave, mais ça gagnerait à finir de manière plus dynamique. Une seule conclusion cependant : si ça passe près de chez vous, il ne faut absolument pas le rater.