Chroniques périmées, unidimensionnelles et éloquentes.



Lu. Discarded Science. De John Grant.

J'ai toujours apprécié l'histoire des sciences, l'évolution des idées, et, forcément, parce que c'est la partie la plus amusante, les errements des scientifiques passés. Ce que John Grant propose ici est de fait une compilation, à travers les âges, des théories scientifiques abandonnées et dépassées. Et c'est un vrai plaisir que de pouvoir lire tout ça d'une traite, rédigé de manière fluide et amusante, tout en gardant un respect certain, voire une tendresse, pour ces scientifiques qui faisaient de leur mieux (c'est certes moins tendre envers les falsificateurs ou les adversaires idéologiques de la science, mais n'est-ce pas mérité ?). On traverse les époques, mais le traitement n'est pas chronologique, il est thématique, et on aborde les origines de l'univers, la forme de la planète, les origines de l'espèce humaine, l'évolution, etc. Le seul reproche que je puisse faire à cet ouvrage est finalement de traiter la question de manière si large qu'il en est parfois trop superficiel. Plus exactement, on aurait plaisir à découvrir plus en détail certains personnages et certaines théories moins connues et plus inattendues, mais c'est bien parce que c'est prenant justement. De la même manière, on pourrait reprocher à l'auteur de ne pas s'en tenir strictement aux théories abandonnées mais aussi ceux qui tentent de les ressusciter et de leur donner une apparence contemporaine et crédible (Entre ici, créationnisme, avec ton cortège de bêtise profonde et de dessein intelligent, donc). Maintenant, je trouve ça complétement justifié en termes de propos et en ce qui concerne ces deux « critiques » : l'auteur a depuis publié deux suites se concentrant sur les pseudosciences plus que sur les théories dépassées. En bref, je me suis amusé et fait plaisir tout le long, et c'est un bon point d'entrée ludique pour découvrir l'histoire des sciences autant qu'une compilation fluide et drôle pour ceux qui ne découvrent pas. Je recommande.


Lu. Crise au Sarkozistan. De Arrêt sur images.

Ce livre est en soi une expérience intéressante puisqu'il a été auto-édité et distribué par Arrêt sur images, avec un succès indiscutable, ce qui ouvre des perspectives pour le moins réjouissantes en termes d'édition. Il se trouve que, en plus, c'est un succès justifié puisque le contenu, même si il est finalement assez court, est très plaisant et très pertinent. L'idée de départ n'est pas révolutionnaire mais elle est bonne quand même : raconter les péripéties de notre politique nationale comme si il s'agit d'une lointaine et caricaturale république bananière. Le Sarkozistan, donc, et ses habitants, les sarkozis, les clans au pouvoir et les dissensions des puissants. Vous l'aurez deviné, l'idée est uniquement de changer de champ lexical, mais pas d'inventer quoi que ce soit en termes de faits. Et d'une c'est fait avec compétence, voire avec talent, de deux ça fonctionne très bien. Par là, j'entends : voir sous cette forme notre politique intérieure fait peur tant ça colle. Car oui, nombre de péripéties plus ou moins récentes de notre bon pays ne dépareilleraient pas dans les moins démocratiques des régimes qui font mine de l'être, et écrit sous cette forme : ça se voit. Et l'exercice prend tout son sens, du coup, alors qu'on aurait pu croire qu'il serait un peu inutile, qu'on y apprendrait rien. On y apprends rien dans les faits, mais on change de regard, de recul, et il n'en faudrait pas beaucoup plus pour qu'on veuille dans la foulée changer de pays. Le fait est que c'est drôle, ce qui évite de finir complètement déprimé.


Lu. La femme unidimensionnelle. De Nina Power.

Nina Power est féministe, philosophe et éditrice/traductrice d'Alain Badiou en anglais, autant de raisons qui me laissait supposer que j'apprécierais ce petit livre. Et donc, oui. Elle analyse principalement les dévoiements qu'a subi le féminisme entre les mains d'un certain discours post-moderne gouverné par le capitalisme, dans lequel il devient prétexte à vendre (des chaussures, des sex-toys, soi-même) et à devenir, après la femme-objet, femme-marchandise. Analyse qui m'a réjouit pour tout dire, tant elle remet à leur place un certain nombre de questions importantes, et notamment la capacité du marché à s'approprier et à dévoyer les pratiques revendicatrices et révolutionnaires, de manière particulièrement efficace et vicieuse dans ce cadre-là puisqu'on impose une nouvelle essentialisation sous couvert de se libérer de la précédente. Au-delà de ces aspects théoriques, qui sont extrêmement intéressants, j'ai été également intrigué et intéressé par la différence d'approche de ce discours féministes anglo-saxon, beaucoup plus pragmatique que les discours français (je généralise à tort et j'en suis conscient) et ne prenant pas ces questions par le même bout, ou en tout cas pas avec les mêmes priorités. Et les tentatives de rapprochement esquissées par l'auteure m'ont là aussi pas mal intéressé. Au final, ce n'est sans doute pas un livre introductif sur ces questions, mais c'est une lecture qui m'a franchement intéressé et donné à réfléchir, avec des tonalités très politiques qui me semblent pour le coup essentielles et bienvenues sur ce type de questions.


Joué. Skull and Roses. De Hervé Marly.

Le jeu de l'année donc. Passons sur la polémique du : le mérite-t-il ou pas, et disons-le : c'est un très bon jeu. Jeu de bluff pur, extrêmement épuré, très simple mais terriblement efficace : de quoi remplacer Perudo pour vos apéros à venir. Quand je dis épuré : chaque joueur dispose de quatre cartes, dont trois identiques, et de deux choix à chaque tour : jouer une carte ou défier. Et oui, ça tourne parfaitement, c'est très vite tendu, on cherche à lire ses adversaires, à leur faire avaler des couleuvres : un quintessence de jeu de bluff, quoi. Du coup, vous êtes fixés tout de suite : si vous n'aimez pas les jeux de bluff, voire pas les jeux simples, vous pouvez passer votre chemin. Sinon, honnêtement, ça mérite les dix minutes qu'il vous faudra pour essayer. Pour ce qui est de la forme, maintenant, la boulot d'illustration est très chouette, avec un vrai caractère, et j'apprécie. Maintenant, je crois quand même que je préférais le nom prototypal de roulette moldave, et je me demande si c'est un visuel qui touchera vraiment un grand public, mais j'imagine que le prix sus-nommé aidera à rassurer dans les chaumières. Bref, un très bon petit jeu de bluff à essayer sans hésiter (éventuellement avec des cartes bricolées pour tant le matériel est annexe).


Joué. De Vulgari Eloquentia. De Mario Papini.

Son titre étant celui d'un traité incomplet de Dante sur l'évolution des langues, on sent bien qu'on a pas tellement affaire à un petit jeu d'ambiance, mais plutôt à un vrai jeu à thème et pas mal épais. Effectivement, il va s'agir de participer, de manière plus ou moins centrale, à la constitution d'une langue italienne unifiée et vulgaire (i.e. Populaire à l'inverse du latin qui est et restera la langue érudite). Pour cela, nombre de mécanismes, tous très cohérents avec le thème, permettent de se déplacer, d'acquérir des connaissances, des ouvrages et de participer à des œuvres en différents dialectes, mais aussi d'obtenir de l'argent et du soutien politique puisqu'on peut aussi devenir cardinal et pape. Bref, un bon gros jeu de répartition de ressources, parcours et gestion, avec tout plein de mécanismes qui fonctionnent et qui laissent présager de nombreuses parties sans que ça ne se répète. Ce qui à mon sens fait la différence, c'est justement ce thème, inhabituel et présent dans tous les temps de jeux autant que dans les choix graphiques, qui me séduit particulièrement et se distingue de tous les jeux dans lesquels on cherche à devenir le plus beau en construisant le plus gros bâtiment. Un gros jeu donc, plein de choix et de possibilités, avec un thème fort et original. Accessoirement, il paraît qu'il se joue aussi franchement bien à deux.


Richard Garfield est célèbre pour être l'auteur d'un des jeux les plus vendus du monde : Magic. Du coup, depuis, quand il sort une nouveauté, ça intéresse. King of Tokyo est son dernier jeu en date, et c'est un jeu pour ne pas se prendre la tête. De fait, chacun joue un monstre géant (pseudo-godzilla, gorille géant, robot-lapin, cthulu-avec-pinces, au choix) et affronte ses concurrents pour être celui qui piétinera Tokyo. A coup de dés, et avec des cartes de super-pouvoirs. Le système de jeu de dés fonctionne, mais il n'a strictement rien de révolutionnaire, ni de particulièrement élégant ou fascinant. Mais il fonctionne, on ne peut pas dire le contraire. Les cartes et accessoires ajoutent un peu de variété et habillent le tout mais on reste sur une base de jeu de dés. Ce qui fait la différence, c'est donc le thème et le matériel, avec des beaux dés verts radioactifs, des petits cubes, des gros monstres en cartons et des cartes illustrées pleines de couleur. Et, oui, ça fait un joli jeu à sortir pour l'apéro entre amis, mais de là à dire que ça donne envie d'y rejouer de nombreuses fois, j'en doute quand même assez sérieusement. Disons que si le thème vous plait vraiment beaucoup et que vous n'avez pas de jeu de ce gabarit, pourquoi pas, mais ça ne me semble vraiment pas indispensable.


Joué. Glory to Rome (Kabam Games) / Caesary (Yoogames).

Par goût, certes, mais aussi par intérêt professionnel, je me suis lancé dans l'exploration de ce qu'on considère comme des gros jeux, parmi les jeux facebook et autres déclinaisons en flash et en ligne. Suivant les recommandations d'un article récent, j'ai entamé par Glory of Rome, un jeu de développement et de conquête. Honnêtement, je suis pas mal déçu. C'est joli mais on a très très vite fait le tour et il ne reste plus qu'à aller taper ses voisins pendant qu'ils vous tapent, tout ça en ayant tous développés tout au maximum. Bref, durée de vie très très limitée. Mais j'ai ensuite découvert Caesary. Je ne sais pas lequel a copié l'autre, mais la parenté est très nette, très. Caesary est visuellement moins rond et plus proche d'un Age of Empires, et surtout, il y a de la profondeur de jeu, beaucoup plus d'options, des activités de développement et militaires dont on ne fait pas le tour en moins de deux. Bien sur, la prise en main est plus complexe, et le temps de jeu supérieur, mais l'intérêt de jeu est en proportion. Au final, donc, il existe bien quelques gros jeux disponibles, mais pas forcément directement sur facebook, et il faut aller les chercher un peu.