Chroniques déliées, barbares et cubiques.


Lu. La déliaison amoureuse, de Serge Chaumier.

C'est universel l'amour ? De tout temps, ça a été pour ça qu'on se mettait ensemble ? Le couple d'amour, c'est incontournable et ça a toujours été le cas ? Ce sont entre autres à ces questions que cet excellent bouquin permet de répondre. Et à bien d'autres. En effet, Serge Chaumier fait un boulot de grande ampleur sur la question de l'amour, d'un point de vue sociologique et historique, et de sa place dans la vision contemporaine du couple et de la relation amoureuse. Pour ceux qui se posent au moins quelques questions sur ces sujets, c'est une mine d'or. On passe en revue, après avoir défini plus ou moins largement ce que peut être l'amour, les différentes formes qu'il a pris et les différentes mythologies le concernant. Ce balayage historique permet une prise de recul vitale sur les mythologies et conceptions actuelles, et notamment sur la place du tiers, de l'autre, dans bien des conceptions du couple et de l'amour à travers l'histoire et les cultures. On se concentre ensuite en particulier sur la naissance de l'idée de l'amour romantique et sur relations complexes avec la culture chrétienne et l'église, puis sur la manière dont s'est construite, avec l'appui également de la doctrine bourgeoise et capitaliste, le modèle du couple fusionnel, constitué autour de l'amour romantique. Serge Chaumier fait à ce niveau-là un travail que je trouve également essentiel d'analyse du rôle de ces conceptions dans le cadre de la domination masculine et des manières dont il se met à son service. De là, dans une perspective plus contemporaine, on aborde un certain nombre de questions sur la remise en cause de ces modèles, leurs adaptations et modifications récentes en ouvrant au final sur des perspectives radicalement alternatives, sous le terme proposé par Serge Chaumier d'amour fissionnel. Là, comme pour le reste, sa perspective est très large et ouvre à la réflexion plus qu'il ne recommande ou défend quoi que ce soit. On pourra éventuellement regretter de ne pas avoir de perspectives sur des cultures moins occidentales, mais il s'agit ici avant tout de sociologie dans un cadre justement occidental et il va falloir attendre qu'un ethnographe s'attaque à cette question avec autant de matériau et d'ouverture pour ça. C'est donc un livre que je vous recommande chaudement, d'autant qu'il est, malgré la densité des questions abordées, tout à fait agréable et facile à lire.

Accessoirement, vous trouvez là quelques extraits que je trouvais particulièrement intéressants :

http://sebmots.wordpress.com/2012/11/01/la-deliaison-amoureuse-de-serge-chaumier/


Lu. Vaches noires, de Roland Topor.

Aaah, Topor... Je ne m'en lasse pas. Chaque facette que je découvre de son travail, si il est différente des précédentes, est toujours complémentaire et toujours aussi plein de cette grâce et de cet humour si particulier et si profond. François Rollin parle de Topor comme d'un génie dans son introduction : je peux dire fièrement que je suis d'accord avec François Rollin. Ce récueil présente une série de courtes nouvelles (trois à quatre pages en moyenne) de Topor sur des thèmes variés. La musique de Topor est bien là, le décalage aussi, et la profondeur, la noirceur souvent. Chacun sera touché plus ou moins directement par les différents textes et les différents thèmes mais certains, notamment concernant la mort, me semblent universels et du coup incontournables. D'autres sont simplement tellement drôles et décalés que c'est juste un bonheur (Vaches noires notamment à mon sens). C'est le genre de recueils qui en ce qui me concerne réhabilitent l'art du texte court. Et pour ceux qui ne connaissent pas Topor (Téléchat ? Non?), ça peut du coup être une porte d'entrée dans son monde si particulier, dans son humour et ses obsessions.


Lu. Hideyoshi Seigneur Singe, de Shiba Ryotaro.

Voyez-vous qui est Toyotomi Hideyoshi ? Probablement pas, pour la plupart d'entre vous, et vous pouvez avoir intérêt à vous en faire une petite idée avant de lire ce bien bon roman, tant il est écrit pour des japonais, et donc dans l'idée que le lexteur sait de qui il s'agit. Bon, ça peut tout à fait fonctionner sans savoir, mais je pense qu'on y perd. En gros, Hideyoshi est un des trois unificateurs du Japon, donc quelqu'un de passablement important, et qui, une fois le Japon unifié, a notamment envahi la Corée (et aurait probablement tenté d'envahir la Chine si il n'était pas mort avant). Ce livre raconte donc sa vie, ou plus exactement son ascension puisqu'il s'arrête une fois qu'il est arrivé au pouvoir suprême. Et son histoire est des plus étonnantes puisqu'il part de rien, fils de paysan pauvre, et qu'en plus il est très laid (d'où son surnom de singe). Mais il est très intelligent, et va s'élever dans la hiérarchie aux cotés d'Oda Nobunaga (le premier des trois unificateurs donc), avant de lui succéder. Et si la parcours est impressionnant, qui plus est quand on connait la rigidité de la société japonaise, le personnage de Hideyoshi l'est plus encore tant il est vivant, drôle et iconoclaste. Et malin (oui, comme un singe...) Shiba Ryotaro raconte tout ça d'une manière très contée, en se permettant des parenthèses ou des discussions concernant le futur du protagniste (qui, de toutes façons, pour un lexteur japonais, ne présente aucun mystère) et avec une écriture simple et fluide. C'est une lecture que je recommande aux amateurs de l'histoire du Japon en particulier, mais aussi à tous ceux qui sont intrigués par les personnages historiques hors du commun.


Vu. Ronal the barbarian, de Kresten Bestbjerg Andersen, Thorbjørn Christofferson et Philip Einstein Lipski.

Attention, ovni (et coup de cœur). Ronal le Barbare est un film d'animation pas du tout pour les enfants (y a du poil, y a des muscles, y a des couilles et plein de références de cet ordre). Il s'agit donc d'un film danois, parodique sans prendre de pincettes. Et la référence première en est Conan, forcément. Mais sur cette base là, on ne tape que sur les barbares huilés, on se paie tous les clichés de ce type d'univers, et du nôtre d'ailleurs, avec du métal, du poil, des elfes new-age, et tout ce genre de choses. Et c'est vraiment drôle. Jusqu'au bout d'ailleurs tant le générique de fin nous a fait rire aux larmes. La réalisation est de très bonne qualité, avec une 3D propre, de beaux décors, et des gags visuels plein aussi. On suit donc Ronal dans une quête pour sauver son peuple contre le grand méchant, et on s'amuse à toutes les étapes. C'est à ne rater à aucun prix pour les fans de Conan, bien sur, mais aussi de métal et de poil et de mucles et d'huile (enfin, pour ceux qui prennent ce genre de choses au second degré (donc aux amateurs de Manowar bien sur)). Après, ce n'est pas forcément disponible facilement, mais par des moyens pas très légaux, ça se trouve, et les sous-titres français (de plutôt bonne qualité d'ailleurs) aussi. Accessoirement, le DVD sort demain, mais sans la VO danoise, seulement les versions françaises et anglaises sous-titrées.


Joué. Minecraft, de Mojang.

Minecraft, ce n'est pas nouveau, mais je m'y suis mis récemment. Et c'est bien. Alors, pour évacuer tout de suite ce point finalement mineur : oui, il faut supporter le coté tout en cube. Mais honnêtement, j'en suis arrivé à considérer ça comme un atout : on ne cherche pas à faire joli et lisse, c'est un monde de cubes revendiqué et dont les vrais points forts sont ailleurs, et tant mieux. Minecraft propose deux modes de jeu : créatif (vous faites tout ce que vous voulez et vous pouvez construire des trucs déments, donc vrai bac à sable, que je n'ai pas essayé mais qui si on tombe dedans bouffe à mon avis un temps considérable) et survie, dans lequel on se ballade en tant que bonhomme cubique et on essaie de survivre. En mode normal, on survit assez bien, et on s'attache donc beaucoup à construire des trucs, mais avec des cubes qu'on a miné et récoltés soi-même. Les mécanismes sont simples mais propices au jeu et la construction : minage, artisanat, agriculture, etc. Et le coté sandbox reste très présent puisqu'il n'y a pas vraiment d'objectif ou de grands méchants ou de menace à éliminer (même si les monstres sont présents et importants, mais ils sont endémiques et donc un mécanisme de jeu plus qu'un objectif), tout comme le coté exploration puisque le monde est gigantesque (voire infini) et se construit au fur et à mesure de la découverte. Au final, si Minecraft est un jeu addictif et bien foutu, avec une communauté dynamique, c'est surtout un jeu rafraichissant par ses parti pris et son style low-tech. Du coup, si il plaira certainement beaucoup aux vrais geeks du fond de la salle, il peut aussi plaire bien plus largement.


Joué. Andor, de Michael Menzel.

Andor est un jeu d'aventures coopératifs. Un jeu de plateau, hein, de manière d'ailleurs flagrante tant une fois le plateau et les caisses de pions, fiches et compteurs placés, il n'y a plus un espace de libre sur la table (même si votre table est de taille décente, je vous assure). Chaque joueur va incarner un aventurier et, tous ensemble, il va falloir réussir une quête dont les objectifs se révèlent progressivement. De nombreux mécanismes, plutôt malins globalement, permettent de gérer le temps, les déplacements, les combats, etc. Et c'est là que pour moi ça commence à coincer un peu : toute cette gestion et ces pions à manipuler pour au final des aventures assez sommaires, je trouve ça un peu lourd et disproportionné. S'ajoute à ça le second point qui me pose problème : l'ambiance, les textes. Certes, le thème médiéval-fantastique est annoncé honnêtement, mais devait-on pour autant avoir des quêtes et des textes descriptifs aussi bateau. C'en est au point qu'on en riait en jouant, alors que ça ne semble pas vraiment être l'intention. Du coup, pour ce qui est de rentrer dans l'ambiance, bon... peut-être qu'on a l'esprit trop cynique, mais quand même. Après c'est très joli et ça peut plaire, mais je trouve que l'ambiance ne fonctionne pas des masses et qu'on se complique beaucoup la vie pour des histoires pas passionnantes et des parcours pas très élaborés. Certes, je n'ai pas joué toutes les quêtes, seulement la moitié, mais je doute que ça change radicalement ensuite. Comme, en plus, ce sont des quêtes scriptées, la rejouabilité me semble problématique. Bref, je suis assez déçu même si c'est un jeu qui fonctionne et qui aura son public (mais si il s'agit d'amener la potion à l'arbre sacré en tartant moins de dix créatures gobelinoïdes, j'aime autant ressortir de vieilles règles de jeu de rôle).


Joué. Mare Balticum, de Filip Minulski

Mare Balticum est un tout petit jeu (polonais pour le coté exotique) mais une bonne surprise. Chaque joueur dirige une petite flotte de bateaux pêchant dans la mer baltique quatre types de poissons, et de l'ambre. Une fois pêchés, il faut les ramener dans un port et les vendre, sachant que la câle de vos bateaux est limitée. Un système de déplacement tout simple, un plateau bien pensé et deux options que les joueurs expérimentés pourront intégrer dès le départ pour ajouter un peu de stratégie et d'interactions : c'est sobre mais c'est tout à fait efficace. L'ensemble se joue en moins d'une demi-heure, de manière détendue et sans s'ennuyer. Qui plus est, c'est très adapté pour des joueurs plus jeunes. Je suis de plus particulièrement fan des visuels tous basés sur des personnages (et des poissons donc) en pâte à modeler, comme Wallace et Grommit. Ce n'est certes pas la nouveauté incroyable de l'année mais c'est un jeu très plaisant et joli qu'on pourra jouer sur des créneaux courts et avec des ages mélangés.


Joué. Seasons, de Régis Bonnessée et Naïade.

Seasons, ça a fait du buzz, un peu, ces derniers temps. Ce qui n'est pas immérité, certes, mais ce n'est pas un jeu auquel j'ai accroché outre mesure, je vous préviens tout de suite. Seasons est un mélange de Magic et de mécanismes de jeu de plateau. Dans lequel il y a des saisons donc, et selon la saison on lance des dés différents pour savoir quelles ressources magiques sont disponibles. Avec ces ressources, on invoque des créatures ou des objets magiques qui permettent plein de trucs. Jeu à combos donc, vous l'aurez compris. Les mécanismes marchent bien, je ne peux pas dire le contraire. Maintenant, on se retrouve à manipuler beaucoup de matériel, à ajuster beaucoup de pions et de cubes, pour des choix que je ne trouve pas si passionnants et fréquents que ça. Certes, quand on connait bien les cartes, il y a très certainement moyen d'optimiser comme un fou et de faire des combos de dingue. Mais ce n'est pas une motivation qui me suffise, surtout sur cette base là, particulièrement parce que le rythme n'est pas très soutenu (cf les nombreuses manipulations) ni d'ailleurs les interactions entre joueurs. Bref, ça fonctionne mais je dirais un peu : tout ça pour ça ? Particulièrement à plus de deux joueurs où les parties s'allongent franchement. Et sinon, oui, c'est très beau, si on aime ce style toon-manga très coloré et lissé.