Chroniques doctoresques, spatiales et altérées


Lu. Walkaway, de Cory Doctorow.

Cory Doctorow est un romancier qui se bonifie avec l’âge. Nettement. Pour tout dire, ce roman me fait l’impression d’un aboutissement dans ce qu’il a écrit jusque là, voire d’une oeuvre majeure, sans vouloir sembler en faire des caisses. Avec toujours cet équilibre entre une vraie histoire, avec de vraies personnages, et un propos de fond réellement politique (au sens large, et en particulier sur l’anticipation des impacts des technologies et des changements de culture et de société). Equilibre ici parfaitement respecté, et fonctionnant très bien, alors qu’il y a assez de contenu et de réflexions pour un essai largement respectable. Le fait que les enjeux de scénario et leurs résolutions se jouent sur le terrain de la pensée et de la discussion, et pas sur le terrain de l’action et du gros flingue, permet ceci, et d’une très belle manière. Le tout se déroule dans une futur pas si lointain, où nos sociétés capitalistes ont simplement abouti à une forme qu’un voit déjà poindre, avec des utlra-riches possédant tout, et le reste de la population leur étant inféodée. Mais la technologie ayant un poil avancé, et pas tant que ça finalement, il est envisageable de quitter la société, et de vivre en marge tout en vivant dans l’abondance (globalement, accès à toutes les données techniques, plus ou moins comme maintenant, et accès à des technologies de type imprimantes 3D un poil plus avancées notamment sur des questions de chimie, médicaments, etc). Les personnes qui font ce choix sont des walkaways et tentent de créer, par l’expérimentation, une, voire des, formes de sociétés nouvelles et meilleurs, des sociétés de l’abondance et pas de la rareté. Ce qui, quand ça fonctionne, est passablement mal vu des ultra-riches. Voilà le contexte, et le propos central. Sachant qu’il est traité de manière, comme je le disais, documentée, pensée et argumentée, ce qui le rend passionnant et enthousiasmant. Et qu’il est traité dans un vrai roman, avec des personnages, des rebondissements, de l’émotion (des larmes notamment, mais pas que). A la fois roman poignant, plaidoyer pour une autre société et presque mode d’emploi sur certains aspects, c’est une totale réussite de mon point de vue, et à ce jour, l’oeuvre de référence de Cory Doctorow (que j’aimais déjà beaucoup beaucoup avant).


Lu. Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires), de Lizzie Crowdagger.

Pas de surprise, enfin si, mais justement, c’est annoncé dès le titre, ce roman a un côté ovni. Ce qui, vous vous en doutez, n’est pas sans me plaire, ne serait-ce que par principe. C’est un roman court, constitué en fait de trois nouvelles consécutives, avec les mêmes personnages et la même narratrice. Narratrice transsexuelle donc, qui va entrer en contact et se lier avec une communauté de vampires/motardes/lesbiennes (dans un monde où les vampires ont une existence officielle, mais pour tout le reste, c’est la france d’aujourd’hui (et, plus précisément, ça se passe à Lille)). Et c’est drôle. Et c’est rentre-dedans et punk (avec des harley-davidson et des coups de batte pour quand la discussion n’est plus possible). Mais c’est aussi fin et intelligent, dans les personnages autant que dans la manière dont ça permet de mettre en lumière des questions d’identité, d’acceptabilité sociale et de discriminations (plus ou moins violentes). Parce que oui, la métaphore du vampire, sur les questions de transformations et d’identité, mais aussi de marginalité, ça colle quand même tout à fait bien. J’ai trouvé l’écriture tout à fait agréable et dynamique, et pleine de références de contre-culture et de culture populaire des minorités (bien amenées, accessoirement, c’est à dire sans gros sabots et sans que ça fasse plaqué). Et si les scénarios sont finalement assez classiques, ils fonctionnent très bien et le contexte et les personnages font que l’originalité du scénario n’est pas vraiment un enjeu. Pour tout dire, je trouve que ça se lit tellement vite que je regrette que ce ne soit pas des histoires plus longues où qu’il y ait une suite, il y aurait matière. En résumé, si vous aimez, au hasard, Virginie Despentes et les vampires, ou que le titre même vous intrigue : oui, ça vaut largement le coup d’y aller.  (Merci, Mélanie, pour le cadeau :).


Lu. Plaguers, de Jeanne-A Debats.

On pourrait classer Plaguers dans la science-fiction, puisqu’il s’agit effectivement d’un roman se passant dans un futur relativement proche. Le contexte est post-apocalyptique, en l’espèce une catastrophe écologique globale, avec un air irrespirable, l’extinction de toutes les espèces animales ou peu s’en faut, etc. Mais au final, ceci ne fait que donner un contexte, dans lequel ce que le roman nous raconte relève plutôt, d’une part, de l’adolescence et du questionnement identitaire (notamment en termes de sexe, de sexualité et de genre) et, d’autre part, de la vie et de la pulsion vitale dans une perspective plutôt spirituelle. Et ça fonctionne plutôt bien, en faisant un roman dynamique et agréable. Assez léger, dans mon impression, au final, malgré des thèmes qui ne le sont pas. Concrètement, on suit plusieurs jeunes adultes, envoyés de force dans une réserve pour personnes touchées par la Plaie, ou, en d’autres termes : ayant développé des super-pouvoirs (d’invocation animale, végétale ou élémentaire) sans les contrôler. Et ce sont leurs évolutions, questionnements, et surtout relations, sociales et amoureuses (et ne se limitant pas du tout à des modèles hétérosexuels, tout au contraire, c’est même une thématique centrale) qui vont faire l’essentiel du récit. Avec en moteur et toile de fond le pourquoi de ces pouvoirs, qui nous amènera à une conclusion jolie mais dans un genre spirituello-magique bien plus que scientifique. Et tout celà est bien écrit et très agréable à lire, rythmé et avec des personnages crédibles, complexes et touchants. A mon sens, c’est au final un bon roman, sans avoir quoi que soit d’exceptionnel, si ce n’est qu’il a le mérite de toucher à des thèmes pas si souvent traités de manière intéressante.


Lu (BD). Dans la combi de Thomas Pesquet, de Marion Montaigne.

J’aime toujours autant Marion Montaigne. Elle nous livre ici une (grosse) BD/reportage dans laquelle elle a suivi le parcours de Thomas Pesquet, récent spationaute (ok, astronaute, si vous voulez, mais j’aime bien pinailler sur ce genre de choses). De ses études à sa sélection, puis son long entraînement, et sa mission sur l’ISS. Ce qui est donc l’occasion de faire un travail de vulgarisation sur le monde de l’espace aujourd’hui, de manière très large, mais avec un fil rouge narratif évident et efficace. Et étant donné le talent de Marion Montaigne pour ce genre d’exercices de vulgarisation, ça fonctionne extrêmement bien. Et l’autre grand talent de Marion Montaigne, qu’on retrouve à plein ici, c’est qu’elle est toujours aussi magnifiquement drôle. Oui, c’est aussi une vraie BD d’humour, avec beaucoup de recul et de second degré, voire souvent un regard satirique et gentiment moqueur. Du coup, c’est long, mais c’est tant mieux, parce que je me suis amusé tout le long, et je me suis laissé porter par l’histoire de Thomas Pesquet, et j’ai découvert plein de choses, en particulier plein de ces petits détails qui font de la science et de la technologie quelque chose de terriblement humain, drôle et touchant. Voire rassurant. Et inquiétant. Bref, encore de l’excellent boulot.


Lu. L’enquête gauloise, de Nicoby et Jean-Louis Bruneaux.

Deuxième tome de l’histoire de france en dessins, donc, après la ballade nationale, qui confirme mon impression du premier sur un point important : il ne s’agit pas de bandes dessinées qui racontent l’histoire de France, mais d’une Histoire de France, au sens plus classique, mise en dessin avec pour partie de la bande dessinée. Et c’est une différence importante, parce que j’attendais des Bds pour de vrai, et que c’est au final ça que j’ai à reprocher : ce n’est pas ce que j’espérais. Ce qui est donc assez injuste comme critique. De fait, si on remet en perspective, le boulot est plutôt bien fait. Mais ça reste un format plutôt classique et qui du coup, ne répond pas à mes espoirs d’avoir quelque chose de plus largement accessible et de moins référencé dans la forme. Ce second tome fait un choix de forme encore plus classique que le premier, puisqu’il alterne des parties BD mettant en scène l’auteur et un spécialiste du monde gaulois en ballade dans des sites et des époques idoines, et des chapitres de textes approfondissant le thème abordé dans la BD. Ce qui fait un très bon livre d’histoire aéré et illustré, mais ça ne fait pas un récit ni une BD. Les contenus sont très intéressants, variés et permettent de s’approprier l’état des connaissances actuelles et les grands questionnements historiques. Bref, si j’arrive à me défaire de mes attentes, je peux dire que c’est bien foutu. Mais la différence entre lire ce type de format et un essai rédigé par quelqu’un qui écrit de manière agréable et vivante n’est quand même pas si grande que ça.


Lu (BD). Phil : une vie de Philip K. Dick. De Laurent Queyssi et Mauro Marchesi

Philip K. Dick est un auteur pour le moins étrange et unique pour lequel j’ai toujours éprouvé une certaine fascination. Mais c’est aussi un auteur complexe et plein de zones d’ombre dans lequel je n’ai jamais réussi, contrairement à d’autres, à me plonger entièrement et de manière exhaustive. J’étais donc curieux de voir ce que donnais cette biographie en BD, d’autant plus qu’elle a été scénarisée par un auteur dont j’ai aimé les nouvelles et qui est lui-même fan de Dick. Et ma curiosité a été récompensée, puisqu’il s’agit d’une BD agréable à lire, bien construite et qui permet de découvrir la vie de Philip K. Dick un peu mieux. A partir d’un certain point de vue, conformément à l’approche de Dick et à la complexité de sa vie et de sa pensée. Parce que oui, on ne peut pas dire que sa vie ait étée simple, ni que lui ait été simple, ni toujours sympathique d’ailleurs. Et cette manière de le traiter sans chercher à en faire ni un héros ni une victime me semble tout à fait juste et adaptée. Et elle met ses écrits en lumière d’une manière d’autant plus intéressante. J’ajouterai que si je ne suis pas tellement fan du style graphique du dessinateur, je ne peux pas nier qu’il fasse un bon boulot, d’illustration, de construction et d’évocation en général. Je pourrais au final presque regretter qu’il n’y en ait pas plus, mais c’est déjà une BD assez longue, et je pense que si elle avait été plus dense, on aurait perdu de la finesse à plusieurs niveaux, donc au final, je crois que cet équilibre me va bien.


Lu. The Art of Discworld, de Terry Pratchett et Paul Kidby.

Ben oui, comme pour les romans, j’ai fait le tour, plusieurs fois, je continue à épuiser les productions périphériques de Pratchett et de ses associés. Et j’ai été agréablement surpris par ce recueil d’illustration, duquel je n’attendais au départ qu’une mise en valeur du magnifique travail de Paul Kidby (le second illustrateur officiel de Pratchett, chronologiquement et de loin celui que je préfère, pour son réalisme, et sa finesse). Et c’est le cas, les illustrations sont magnifiques, les crayonnés parfois plus encore, et c’est un grand plaisir de découvrir des dessins peu diffusés, promotionnels, ou destinés à des supports que je n’avais pas eu l’occasion de voir. Plaisir amplifié par le fait que Kidby réussit à donner vie à des personnages d’une manière qui correspond tellement bien à ce que j’en imaginais. Et ce sont des personnages que j’aime et qui sont dessinés en les prenant au sérieux, comme de vraies personnes. Donc, oui, de ce point de vue là, c’est impeccable. Mais, en plus, il y a des textes. Des textes de Kidby, un peu, qui sont éclairant, et des textes de Pratchett, bien plus. Et ça, c’est un vrai bonheur. Parce que ce sont des bonus, et surtout des décryptages de la manière dont il voit ses personnages, dont ils se sont construits et dont ils ont évolués. Ecrits avec toute la finesse et l’humanité de Pratchett, ça a été pour moi un vrai bonheur. Du coup, comme bouquin destiné aux fans, c’est un vraie réussite.


Joué. Poc ! De Florent Toscano, Nicolas Bourgoin, Alexandre Droit et Tony Rochon.

Dernier né des éditions Opla, Poc est un petit jeu idiot aux règles très simples (ce qui est toujours très difficile à réussir) pour lequel j’ai eu un vrai coup de coeur. Il s’agit de donner une pichenette dans un sous-bock posé sur son poing pour l’envoyer dans la boite au centre de la table (ou ailleurs). Et c’est étonnamment efficace, au sens où tout le monde se sent également idiot et incompétent, mais on se rends assez vite compte qu’on peut quand même maîtriser un petit peu ce qu’il se passe. Assez pour avoir envie de jouer et de re-jouer, assez peu pour que ça reste joyeusement chaotique et équilibré quelque soit votre niveau d'entraînement. Comme ça s’explique en deux minutes et que ça se joue entre cinq et dix, c’est parfait pour n’importe quel petit moment de détente. J’ajouterais une mention spéciale, en termes de règles, à la manière dont elles sont rédigées, puisque c’est drôle (et très efficace). Outre le jeu lui même, qui est très bon, les illustrations sont vraiment chouettes. Comme souvent chez Opla, c’est une déclinaison en jeu d’un autre support, ici un livre pour enfants, que ça m’a du coup donné envie de trouver. Et, comme toujours chez Opla, c’est fabriqué de manière responsable et le plus local possible, ce qui est assez rare dans la production de jeux contemporaine.


Joué. Into the Breach,

Je vous avais, il y a longtemps, parlé de FTL, un petit jeu vidéo des plus sympathiques. Into the Breach est la nouvelle production de la même équipe. On y retrouve le style graphique 8bits à l’ancienne du précédent, et je trouve ça toujours aussi réussi et efficace. Certes, il y a un cöté nostalgique, en ce qui me concerne, mais c’est aussi assez symbolique de l’importance donnée aux mécanismes de jeu et à un certain minimalisme. Minimalisme dans la narration, qui est tout à fait présente, mais par très petites touches, ce qui je trouve assez admirable. Et minimalisme dans les mécanismes et l’ergonomie. Et c’est sans là le point vraiment remarquable. Il s’agit en effet d’un jeu de combat tactique (des robots géants renvoyés dans le passé pour combattre une invasion d’insectes géants) dans lequel chaque manche se joue en plus ou moins cinq tours sur des terrains carrés de six à huit cases de côté. Oui, il y a un côté jeu de plateau très marqué, et très maîtrisé. Puisque dans ce cadre très sobre, avec des actions limitées (et très explicites, le travail sur l’UI est exemplaire et la lisibilité parfaite), il s’agit donc de déployer la tactique la plus appropriée, sans le moindre hasard ni la moindre information cachée. Ok, si vous pensez aux échecs, vous n’avez pas complètement tort. Sauf que j’aime beaucoup Into the Breach et pas tellement les échecs ;) Il manque entre autres aux échecs le côté parties courtes avec un enjeu changeant à chaque fois, les évolutions qu’on débloque, les bouts de jeux à débloquer, et puis l’ambiance et les dialogues… C’est un jeu à jouer et rejouer puisqu’une partie complète, menée au bout, vous prendra entre une et deux heures, mais qu’il y a suffisamment de variations, de modes de jeux et de robots à débloquer pour ne pas avoir du tout l’impression de se répéter. Non, vraiment, c’est du tout bon.


Vu. Altered Carbon, une série Netflix.

Altered Carbon a été le gros buzz des séries Netflix de ces derniers temps, avec des publicités démesurées. Ce qui m’avait un peu refroidi, puisque j’avais lu le livre, et je l’avais aimé, et il ne me semblait pas forcément dans le format pour faire une série à gros budget très mise en avant. Mais j’ai fini par la regarder, faut pas déconner. Et j’ai plutôt bien aimé. Probablement plus que certaines personnes qui n’ont pas lu le bouquin, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la série elle-même d’ailleurs. Il s’agit, pour le dire vite, d’une enquête policière, dans un futur un peu moche (en particulier : très très inégalitaire) dans lequel on peut sauvegarder sa personnalité et la transférer dans un autre corps. Visuellement, c’est superbe, dans un style qui m’évoque beaucoup Blade Runner, avec de gros moyens. Du coup, pour illustrer un monde que je connaissais, ça, ça marche vraiment bien. Scénaristiquement, c’est assez fidèle globalement, avec une enquête compliquée pleine de gens et de circonstances compliquées, qui se résoud sans tour de magie. Je ne suis pas sûr que les différences par rapport au bouquin aillent dans un sens qui me plaisent, mais ça, ça se verra si il y a une suite. Au niveau des acteurs, enfin : surtout de l’acteur principal, c’est plus compliqué (parce que je trouve le reste du casting impeccable). Parce qu’il n’est pas très expressif, et qu’il ressemble à une statue bodybuildée. Ce qui est tout à fait juste vis-à-vis de l’histoire et du roman, sauf que : ce n’est pas le corps d’origine du personnage et donc pas vraiment “lui”. Différence qu’on fait très bien à la lecture, beaucoup moins bien en film, forcément. Et les scènes de flashback avec son vrai corps ne suffisent pas forcément à ce qu’on identifie le personnage de la bonne manière. Après, je dirais que le fait que ça pose la question est en soi une bonne nouvelle puisque cette thématique de l'identité, du corps et du post-humanisme est centrale ici. Après, je le redis, ayant lu le livre, ça fonctionne bien, parce que je n’ai pas de doutes. Sinon, pour le reste, c’est sombre, et souvent violent, et là encore, c’est plus troublant, voire problématique en film, je pense. Mais bon, malgré ses imperfections, c’est quand même impressionnant, comme série, donc je vous invite à tester si le genre vous tente. De mon côté, j’attends avec une très grande curiosité de voir si il y a une suite et avec quelle orientation.