Chroniques hypothétiques, mythiques et zapatistes.



What if ? de Randall Munroe

Randall Munroe écrit et dessine xkcd, ce qui le place déjà très haut dans mon estime, mais en plus, il vient de commettre ce livre qui regroupe ce qu’il avait déjà commencé sur son blog : des réponses scientifiques très argumentées et pédagogiques à des questions hypothétiques plus ou moins abracadabrantes. Et c’est du pur génie. Sérieusement, je suis à la fois enthousiasmé, amusé et profondément bluffé par ce que réussit là Randall Munroe. En effet, chaque question semble au départ aberrante, décalée, et difficilement solvable de manière sérieuse. Mais l’érudition scientifique extrêmement large de l’auteur lui permet d’aller chercher des réponses dans tous les champs scientifiques et de les tisser au mieux pour apporter des réponses, parfois approximatives certes, mais toujours crédibles et solidement argumentées. Et souvent drôles puisque tout ça est illustré de petits crobards à la mode xkcd, avec une efficacité sans faille. C’est de plus vraiment instructif. A la fois d’ailleurs pour ce qui est des éléments scientifiques expliqués et utilisés que pour ce qui est de la manière de s’attaquer aux problèmes et d’y apporter des réponses même en l’absence de données précises. Il y a vraiment quelque chose de génial à savoir méler tout ça de manière aussi fluide, et accessoirement bien écrite. Et comme la traduction française est déjà prévue et signée (oui, la version anglaise a sérieusement cartonné dès sa sortie), vous n’aurez aucune excuse si vous ratez ce grand moment de n’importe quoi scientifico-humoristique génial.


The hero with a thousand faces, de Joseph Campbell.

Je m’étais mis de coté depuis longtemps ce bouquin considéré par beaucoup comme un classique incontournable. J’avais bien fait mais je n’aurais pas du attendre aussi longtemps pour le lire. Joseph Campbell est un spécialiste de la mythologie, toutes les mythologies, et il produit ici une analyse synthétique des points communs entre tous les grands récits mythologiques. Il dégage donc une structure universelle dans ces grands récits, qu’il nomme monomythe. Son travail d’analyse et de synthèse est passablement convaincant, mais ce n’est finalement pas le plus intéressant, même si ça suffirait à en faire un livre méritoire. D’une part, Campbell met en lumière ce à quoi sert fondamentalement la mythologie (et la spiritualité, voire la religion avant que celle-ci ne perde son sens premier une fois qu’elle prends des formes liées au pouvoir), en quoi elle permet de créer un récit de ce qu’est être humain et de ce que signifie faire société. Et il redonne ainsi à la lecture de la mythologie un sens éthique et spirituel passionnant. D’autre part, il lie ces récits et la construction du sens collectif au parcours individuel du héros et de la manière dont c’est également une métaphore pour la construction individuel et la confrontation aux diverses questions et difficultés de la vie. Enfin, la structure des récits mythologiques est aussi la structure narrative fondamentale, et se retrouve dans tous les types de construction narrative, en particulier de fiction. Il y a donc dans ce livre de quoi alimenter bien des réflexions, et de quoi revenir aussi à des questions fondamentales d’identité et de société. Donc, oui, lisez-le, ça se trouve d’ailleurs en poche français très facilement.


Sex from scratch, de Sarah Mirk

Si le titre de ce petit ouvrage (édité dans une petite maison d’édition de Portland, les fans de Portlandia apprécieront) parle de sexe, le livre lui-même parle surtout de relations amoureuses au sens large. L’auteure fait ici plus un travail de journaliste que d’auteure traditionnelle puisqu’elle va explorer différentes thématiques, toutes importantes en termes de relations amoureuses (des rapports de sexe/genre aux meilleures manières de se séparer en passant par le polyamour, le plaisir, etc), mais en compilant à chaque fois les grandes leçons qui lui ont été transmises lors d’entretiens, et d’entretiens de personnes riches et liées à chaque thème. Et elle a fait ce boulot pendant plusieurs années, en rencontrant des centaines de personnes. Son objectif était de brosser un tableau de ce que certains explorateurs ont tiré de leur parcours de vie dans ces différents domaines pour essayer de se donner et de donner aux lecteurs quelques repères solides et ouverts. C’est donc tout sauf verbeux étant donné la densité du contenu collecté, ce qui rends la lecture rapide mais très dense et ouvrant de très nombreuses avenues de réflexion. Très honnêtement, je pense que tout le monde y trouvera de quoi réfléchir et avancer sur diverses questions autour des relations amoureuses et de la sexualité, de manière très accessible et facile à aborder. Seul regret, ce n’est pas près d’être traduit, et c’est bien dommage.


The Magician’s land, de Lev Grossmann.

Après un premier tome passablement dense et intriguant, puis un second que j’avais trouvé longuet et trop consacré à des excursions au pays magique un peu premier degré, Lev Grossmann conclut avec ce tome sa trilogie des magiciens. Et c’est une conclusion que j’ai trouvée satisfaisante et maline. On retrouve les mêmes personnages principaux, en particulier Quentin, et on les renvoie dans le pseudo-Narnia pour une nouvelle couche de difficultés et de menaces sur le monde. Sauf qu’il ne s’agit plus là, comme dans le tome précédent, de menaces extérieures, mais d’un cycle de vieillissement normal. Lev Grossmann continue donc complètement dans la veine qui pour moi fait tout l’intérêt de la série : le rapport à la magie et à l’imaginaire comme métaphore du passage de l’enfance à une forme d’age adulte. Et il s’en tire à mon sens très bien. Je ne peux pas dire que la partie magique, Harry Potter croisant Narnia, me séduise tellement en elle-même, voire elle m’ennuie un peu, mais ce qu’il en fait et ce qu’il réussit à raconter grace à ce matériau-là me séduit par contre complètement. J’imagine que si l’imaginaire en question vous parle autant que le propos de fond, ça peut faire une série vraiment exceptionnelle. A moins que le propos ne condamne de toutes façons l’imaginaire utilisé comme toile de fond à prendre un coté kitsch voire un peu doux-amer, c’est une question intéressante justement… Je ne sais donc pas vraiment si je peux conseiller sans hésiter cette série, mais je suis sur en tout cas qu’elle mérite d’être signalée et discutée.


The long war + The long mars, de Stephen Baxter et Terry Pratchett.

Le premier tome de cette trilogie m’avait, malgré l’estime que j’ai pour les auteurs, laissé une impression mitigée malgré de bonnes idées. Ces deux tomes prennent la suite, dans le même monde et avec en partie les mêmes personnages, pour pousser plus loin l’exploration de cet univers dans lequel l’humanité à découvert un moyen simple de faire un pas de coté et de passer dans une terre alternative. Puis une seconde, et ainsi de suite sur des millions de variations. Là où le premier tome se confinait à l’exploration avec une intrigue très science-fiction, le second étends le champ au politique et à des questions plus largement idéologiques. Ce qui a réveillé mon intérêt et que j’ai trouvé bien mené. Certes, la conclusion est un peu rapide, mais à raison étant donné les développements d’ensemble. On y trouve à mon sens quelques longueurs, mais qui finalement ont surtout pour usage de préparer le troisième et dernier tome. Ce dernier monte encore d’un cran en termes d’enjeux et d’exploration des possibles de la longue terre, sans timidité, mais il tente peut-être trop de choses à la fois. En effet, on a finalement deux histoires parallèles, qui n’aboutissent pas du tout ensemble. Et si d’un point de vue idées, et même personnages, il y a plein de bonnes choses, je ne trouve pas que ce soit réellement satisfaisant en termes de tension et de narration. Du coup, même si les idées développées sont intéressantes, je reste à nouveau sur un sentiment d’inachevé. Peut-être un quatrième tome viendra-t-il boucler tout ça de manière plus claire.


The book of Jhereg, de Stephen Brust.

Formellement, on peut dire que Stephen Brust écrit de la fantasy. De manière plus juste, on pourrait dire que Stephen Brust écrit des romans de conspiration et d’espionnage dans un univers habillé en fantasy. Mais de la fantasy dans laquelle on peut se téléphoner, on fait des analyses génétiques et tout ce genre de choses, par sorcellerie donc. Non que l’univers de fantasy proposé soit inutile ni même désagréable, mais ce n’est pas vraiment l’intérêt principal de ces romans. Ces, parce qu’il s’agit ici d’une compilation des trois premiers opus. Les deux premiers obéissent très clairement à la formule enquête/conspiration, avec découverte de pièces successives qui permettent de construire au final la résolution du mystère de départ. De manière très efficace et très agréable à lire, en s’appuyant sur une narration à la première personne pleine d’humour et de cynisme puisque le personnage principal est un assassin et un chef de la pègre. Si ce n’était que ça, ce serait déjà une distraction tout à fait agréable. Mais il se trouve que le troisième tome ouvre sur de tout autres questionnements et laisse penser que l’auteur est capable de surprendre mais surtout de nous emmener bien plus loin. Sans trop en dire, ce troisième tome prend à bras le corps les questions d’inégalités de races et de classes dans le monde en question, et la place notamment de transfuges de race/classe. Et sans faire dans le cliché facile. Je ne l’attendais pas mais ça m’a agréablement surpris et donné envie de voir la suite là où les deux premiers tomes me laissaient penser que ce serait une distraction sympathique à laquelle revenir éventuellement un jour mais sans urgence. Une série qui se lance donc sur un mélange d’efficace attendu et de surprenant et risqué, à ne pas forcément ignorer.


Tout pour tous, de Guillaume Goutte

Je n’avais qu’une idée très floue et générale de ce qui se passait dans les territoires rebelles du Chiapas, n’ayant jusque là que rarement dépassé la lecture d’articles généraux ou d’extraits de discours du sous-commandant Marcos. J’avais bien tort, ça mérite très largement de s’y intéresser de bien plus près. Ce petit opus présente un historique rapide de la rébellion du Chiapas (et de la révolution zapatiste également) pour replacer le contexte, puis une présentation des modalités de fonctionnement des territoires rebelles. Et c’est bien le propos principal de cette petite présentation : mettre en lumière comment ce qui se construit et s’invente là est riche d’idées et de leçons susceptibles d’inspirer toute personne ou tout mouvement visant une vraie démocratie. En effet, les positions prises par l’EZLN vis-à-vis des populations locales sont assez exemplaires, avec une évolution notable et essentielle : le passage d’une intention de mener la révolution (dans une logique plutôt marxiste-léniniste) à celle de l’accompagner dans la mesure où celle-ci émerge et est portée par le peuple et non par une minorité éclairée (c’est en ce sens que Marcos est sous-commandant d’ailleurs, les commandants étant les représentants élus des populations locales). Le reste de l’organisation des territoires rebelles est à l’avenant, mélant théorie révolutionnaire, pratiques libertaires et surtout leçons tirées des années d’expérimentation et de confrontation à la réalité du terrain. C’est complètement passionnant, et, bonne nouvelle, les rebelles du Chiapas écrivent largement sur ce qu’ils expérimentent, donc je vais me plonger avec plaisir dans d’autres écrits sur le sujet et je vous recommande au moins de découvrir ce petit opus en forme d’introduction.


Necroville, de Ian McDonald.

Ian McDonald est un auteur que j’aime habituellement beaucoup, mais je dois avouer que j’ai eu plutôt du mal avec ce bouquin-là. Surtout pour des raisons stylistiques, finalement. J’ai trouvé la construction kaléidoscopique un peu trop confuse et partant dans tous les sens, et surtout l’écriture très hachée et difficile à lire de manière fluide. Non que ce soit inintéressant d’un point de vue littéraire, ni en termes de cohérence avec le propos, mais j’ai ramé sur la longueur, ça m’a empéché de plonger vraiment dans le récit. Ce qui est dommage parce que ceci étant, le propos de fond est très intéressant et très riche. L’idée est que, grace à la nanotechnologie, les morts peuvent être ramenés à la vie, mais ils n’ont alors plus de statut légal, ils n’existent officiellement plus mais doivent travailler pour rembourser la corporation détentrice de la technologie en question, au noir, dans un statut hypocrite et semi-officiel. Et la nuit, ils rentrent dans les nécrovilles. Et ils sont immortels. Ce qui, vous l’imaginez, soulève de nombreuses questions profondes, aussi bien individuelles que politiques, et McDonald s’y attaque joyeusement. Comme je le disais, un peu façon puzzle, avec beaucoup de mélanges puisqu’on suit cinq personnages, vivants et venant fêter le jour des morts dans la nécroville de Los Angeles, la première. Plein de bonnes choses, plein de bonnes idées, donc, mais dans un format et une écriture que j’ai trouvé difficile.


Friday Night Lights, une série nbc.

Accrochez-vous, on va sortir des thèmes récurrents de ces chroniques, puisque je vais vous faire la pub d’une série tendance soap-opera/années collège tournant autour du football américain dans une petite ville du Texas. Oui, je sais, ça me fait bizarre à moi aussi dit comme ça. Mais vraiment, j’ai aimé. Il s’agit donc de suivre le quotidien, plutôt pas très rose, des jeunes stars de l’équipe de foot d’une petite ville plutôt sur la pente descendante économiquement (le pétrole, c’est plus ce que c’était) et de ceux qui les entourent. Sans les éviter tous, on va quand même rapidement sortir de beaucoup de clichés, et se coltiner, avec un courage certain, à beaucoup de thématiques sociales, en particulier celles liées à l’adolescence et à la performance sportive. Donc à la drogue, à la quête d’identité, aux injustices sociales et raciales, à l’argent et au bizness du foot et des recruteurs, au sexe, à l’amour, etc. La thématiques football américain sert finalement surtout d’excuse et de liant, et permet d’impulser du rythme, et des moments joyeux aussi. Les personnages sont variés et bien interprétés, le rythme est bon, c’est touchant, et les scénaristes osent prendre des risques et aller sur des questions pas toujours évidentes. Et au final, il ne se passe rien d’exceptionnel, chacun essaie simplement de vivre sa vie au mieux, de s’en sortir et de se trouver. Et c’est finalement ce qui fait la force de la série, c’est simplement humain et prenant.


Once upon a time, une série abc.

Once upon a time est une série étrange mais vraiment réussie, en tout cas en ce qui concerne cette première saison. Le pitch : suite à une malédiction, les personnages du monde des contes de fée se retrouvent dans le monde réel, tous dans la même petite ville américaine, sans souvenirs de leur identité et de leur passé. Et, bien sur, un personnage va arriver de l’extérieur et perturber tout ça. Bonne nouvelle : c’est un personnage féminin, accessoirement intelligent et pas effrayé par un coup de pied de temps à autre. Je dirais même que, de manière générale, les personnages féminins sont centraux, riches et pas clichés (ce qui est quand même une belle réussite en partant de princesses de contes de fées), et ça fait du bien. Les épisodes alternent entre le présent dans le monde réel et des flashbacks dans le monde des contes, avec à chaque épisode un focus sur un personnage spécifique. Et la réécriture des contes classiques est assez fine et pas du tout édulcorée, on est bien dans des histoires cruelles et sombres, souvent émouvantes d’ailleurs. De plus, ces histoires tissent avec brio le scénario de fond de la saison, qui est passablement riche et avec des surprises et des détours vraiment réussis. Comme, en plus, c’est une série qui a bénéficié d’un budget raisonnable, les acteurs sont bons, et les décors et effets spéciaux tiennent tout à fait la route. La première saison se finit sur une vraie résolution mais aussi sur un cliffhanger qui relance largement de quoi faire une seconde saison. Seconde saison que je suis impatient de découvrir parce que j’ai franchement confiance en la capacité des créateurs de cette série de l’emmener encore bien plus loin.