Chroniques échevelées, géniales et terrestres


Lu. Pensées échevelées. De Stanislas Jerzy Lec.

Stanislas Lec est polonais, mais surtout Stanislas Lec est un génie de l'aphorisme. Et non, pour le coup, le mot n'est pas trop fort. On trouve, dans ce seul ouvrage traduit en français, un recueil d'aphorismes splendides tirés des écrits variés de Lec, qui était principalement critique littéraire mais également auteur sous divers formats. Et je ne sais que faire, si ce n'est vous livrer quelques uns de ces aphorismes :

Ils le lapidèrent en lui élevant une statue en pierre.

Celui qui a trouvé un écho se répète.

Pour être soi-même, il faut être quelqu'un.

Seuls les hommes sains d'esprit deviennent fous.

Délation : Ecce homo !

Lec, c'est un régal sans arrêt renouvelé. Le temps d'avoir fait la moitié du bouquin, vous aurez oublié le début et vous serez à nouveau totalement émerveillé devant tant de finesse, de cruauté, d'acuité et de génie de la formule. Je ne pourrais que rajouter une série de superlatifs si je continue, mais je ne connais réellement rien de comparable, tant en quantité qu'en qualité sur des formes ultra-courtes de ce type (même Fénéon, en forme, ne fait que s'en approcher). Bref, c'est inévitable, vous devez vous procurer Pensées Echevelées. Pour le même prix (bon, pas tout à fait), vous trouverez encore disponible en ligne cette superbe édition agrémentée d'illustrations de Roland Topor himself dont le style délirant et acéré s'accrode parfaitement aux textes. Bon, ce n'est pas la version la plus complète mais c'est de loin la plus belle, alors comment résister à une association d'aussi haute volée ?


Lu. Histoire de l'Oeil. De Georges Bataille.

Je ne sais pas exactement comment aborder cette histoire de l'oeil. Disons d'abord qu'il s'agit pour une part non-négligeable d'un récit érotique, voire pornographique. Maintenant, et c'est ce qui fait tout l'intérêt de Bataille, c'est plus une plongée dans les pulsions et les moteurs cachés et parfois sombres de l'érotisme et de la libido qu'un film de M6 destiné uniquement à aguicher le spectateur, fut-il ici lecteur. Bataille explore donc des aspects sombres et souvent dérangeants, il traine dans la direction des relations entre Eros et Thanatos, mais aussi dans le rapport au regard, et au final à l'oeil mais par des détours que je vous laisserais découvrir si ça vous tente. Pour parler franchement, il n'y a pas tellement de passages que je trouve entousiasmants du point de vue érotique, notamment parce que beaucoup sont choquants et durs, mais justement il m'interrogent énormément sur ce qui se cache derrière. Mais ce n'est pas tellement étonnant, Bataille ayant une relation à l'érotisme particulièrement réfléchie et complexe. Et en plus, il écrit bien, parce que par contre, de ce point de vue là, très bien, très fort. Bref, c'est vraiment une lecture que je trouve enrichissante, mais sans doute trop riche et complexe pour l'assimiler en une fois. J'y reviendrais certainement. Laissez-vous tenter à l'occasion mais attendez-vous à une lecture tout sauf reposante.


Lu. Le Hussard. De Arturo Perez-Reverte.

Le Hussard est le premier livre de Perez-Reverte, dont il a enfin récupéré tous les droits, ce qui donne donc cette resortie. Bon, autant le dire tout de suite, comme premier livre, ça fout des complexes, je vous dit pas. C'est très bien monté, en fait. Ce n'est pas long, le propos est assez direct, sans être toutefois prévisible plus que ça, et ça a un vrai impact. Il s'agit donc de la première campagne militaire d'un jeune hussard strasbourgeois. Et l'état d'esprit des hussards du nain corse est aussi flanboyant qu'élitiste et suicidaire, ce qui donne une ambiance très enjouée et rythmée à l'ensemble. Ensuite, sorti de la logique interne des hussards, on aperçoit de loin la campagne d'Espagne, parce que Perez-Reverte ne se refait pas, ce qui nous mène doucement à une fin qui ne peut pas laisser indifférent. C'est donc un très bon petit roman, avec un vrai impact, mais beaucoup moins fouillé (tout en restant riche) que le reste des romans de Perez-Reverte.


Lu. Le nombril de femmes. De Dominique Quessada.

Dominique Quessada, qui, nous dit-on, est philosophe, se lance dans un exercice loin d'être évident : un portrait, qui se veut sensible et tendre, des femmes en général par le biais de petits paragraphes, au mieux de demi-pages sur un thème ou l'autre. C'est plutôt bien écrit, souvent effectivement tendre et sensible, mais ça ne fonctionne pas que. Notamment pour une raison me semble-t-il centrale : il est difficile de parler des femmes en général sans sombrer, au moins par moment, dans des généralisations pas très intéressantes, voire des clichés pas tellement entousiasmant. Non pas que l'auteur ne fasse pas d'efforts, hein, au contraire, mais le simple choix de cette formulation fait que, forcément, ça donne régulièrement cette impression. Et du coup, ça coupe un peu l'effet du reste. A coté de ça, quelques passages, très factuels et garnis de chiffres, rappellent que, effectivement, le monde n'est pas tellement favorable aux femmes en général. Mais là encore, on est pas forcément en cohérence avec l'ambiance générale qui tente de se dégager. Donc au final, il y a un peu de tout là-dedans et, en ce qui me concerne, ça tombe à moitié à plat, avec quelques bons moments.


Lu. Le retour à la terre 4 : le déluge. De Manu Larcenet.

Ayé, la suite, alors que je me suis dit un moment que ça s'arrèterait au troisième. Ben non, accompagnés maintenant de leur fille, notre joyeux couple continue ses aventures aux Ravenelles. Alors forcément, il y a des histoires de bébé (elle fait TAA, alors que le chat fait toujours Gzxr), et de comptines, qui sont mignonnes mais, et c'est peut-être une pure question de sensibilité personnelle, que j'ai trouvées moins touchantes et un peu moins droles que les séries précédentes. A coté de ça, quelques bons moments de Madame Mortemont, un poil de Monsieur Henri et de Tip-top, et ça fonctionne toujours très bien. Au final, ce sont les atlantes que je préfère, peut-être parce que je les trouve plus personnels et plus, comment dire, profonds... Bref, c'est un tome agréable, dans la série de précédents mais que je trouve un peu moins rythmé et un peu moins touchant. Maintenant, hein, c'est bien quand même, faut pas déconner.