Chroniques philosophiques, tricheuses et éminentes.


Lu. Harry Dresden tomes 8 à 12, de Jim Butcher.

La suite des aventures d'Harry Dresden, magicien et détective privé à Chicago donc. Etant donné le rythme auquel je me les suis enfilés, vous comprendrez que j'ai trouvé ça pour le moins prenant. Mais ce n'est pas que de mon fait, soyons honnêtes. Butcher est en effet particulièrement doué pour maintenir un rythme palpitant et ininterrompu sur chacun de ses bouquins. En particulier, il a cette capacité, très travaillée, de finir chaque chapitre sur un cliffhanger. Pas toujours un gros, hein, mais au moins une amorce de dialogue, une question, un quelque chose qui fait qu'on se dit que bon, on peut pas s'arrêter là et qu'il faut au moins entamer le chapitre suivant. Du coup, on ne s'arrête qu'avec difficulté. Mais c'est bon. Et dans chacun de ces tomes, on retrouve la formule gagnante d'une enquête/problème, qui se boucle certes, mais qui, et ce de plus en plus, alimente la trame de fond. Je dirais même qu'on quitte progressivement la formule détective pour passer à la formule grande saga autour des bouleversements du monde magique et des secrets du personnage principal. Et tant mieux, parce que les personnages sont attachants et que c'est d'autant plus plaisant que tout ça tourne de plus en plus autour d'eux. Sans empêcher de garder une intrigue complète à chaque tome. Le monde évolue donc, et les personnages aussi. Beaucoup même, à certains moments, ce qui fait d'ailleurs du tome 12 un bon endroit pour faire une pause. Il ne s'intitule pas Changes pour rien, c'est moi qui vous le dit. Maintenant, ce sont des changements que je trouve bien amenés, et qui évite à la série de s'endormir. Qui plus est, les tomes étant séparés par une année ou plus, les évolutions sont cohérentes, pour les personnages comme pour le monde. Bref, c'est toujours du bon boulot, toujours très prenant, qui donne très envie de continuer à suivre tout ça dans les années à venir. Vraiment une série de référence dans le domaine du fantastique contemporain, et qui tient la longueur, ce qui est assez rare pour être une nouvelle fois souligné.


Lu. Philosophie des jeux vidéos, de Mathieu Triclot.

Mathieu Triclot, philosophe, s'attaque avec sérieux au thème du jeu vidéo par le biais de la théorie. Mais, ce qui est salvateur, d'une part il connait son sujet, ce qui lui évite de développer des concepts vides et abstraits, et d'autre part, il écrit pour tous ceux que ça peut intéresser et pas pour des philosophes universitaires. Du coup, il est agréable à lire, même si il aborde des choses parfois assez dense, et convaincant. Et sur le fonds, il se trouve qu'il aborde aussi ces questions dans une perspective que je rejoins. Dans un premier temps, il réalise une synthèse efficace des écrits théoriques précédents sur ce qu'est le jeu, en se plaçant clairement dans la perspective de Caillois, c'est-à-dire en opposition aux tendances de la ludologie qui se veut analyser le jeu en tant qu'objet, que système formel indépendant de l'expérience du joueur et de son état d'esprit. Ce à quoi je ne peux que souscrire. De là, et en s'appuyant notamment, et avec brio, sur la classification de Caillois donc, il passe en revue ce que le jeu vidéo a apporté de nouveau et de spécifique. Et ce avec une histoire des origines du jeu vidéo, en partant du MIT (ce qui m'a ramené à hackers, très bon bouquin), puis en passant par les jeux d'arcade et leur mutation vers la console. Son regard est particulièrement intéressant en ce qu'il retrace cette histoire en analysant les modes de jeux et les messages véhiculés plus que les supports et innovations techniques. En particulier, son analyse des messages politiques véhiculés par les jeux, de manière explicite mais aussi implicite, dans le lien à l'ordinateur même notamment, sont très originaux et, à mon sens, convaincants. Ce qui lui permet de finir sur une analyse critique de la position du jeu vidéo comme marchandise idéale du capitalisme contemporain et de la gamification. Vous l'aurez compris, ça a beau être écrit de manière claire, ça brasse des analyses de fonds et des concepts un peu denses. Mais tant mieux, c'est pas comme si le domaine du jeu était sur-analysé, alors que vu la place qu'il prends, ça le mériterait largement. Au final, certes c'est un livre pour ceux que le sujet intéresse, voire qui y sont déjà investis un minimum, mais qui ouvre des perspectives et des clés de lecture inédites et largement bienvenues. Je recommande donc complètement.


Lu. Chronique du règne de Nicolas Ier, de Patrick Rambaud.

Patrick Rambaud sait écrire, et c'est une bonne part de l'intérêt de cette petite compilation couvrant la première année, donc, de celui qui est encore à ce jour, notre président à nous. Car, oui, il y a un gros travail de style : si le fond est une chronique des grands événements politiques (français) de cette année-là, centrée sur le personnage sus-nommé, la forme est celle d'une chronique pompeuse et irrévérencieuse calquée sur celles des grandes époques impériales. Oui, la couverture est raccord : c'est la vie de la cour qui nous est rapportée, avec le langage afférent. Et, comme je disais, c'est fait avec talent : fluide, léger (alors qu'on aurait put craindre une lourdeur dans une telle direction stylistique, mais non) et drôle. Parce que oui, si le fond ne donne globalement pas envie de rire, ou alors très jaune, la forme si. Les différents personnages de la cour sont affublés pour la plupart de noms à particules et de titre nobiliaires, et les formules ampoulées sont variées et souvent amusantes à elles seules. Et, comment dire... ça colle quand même remarquablement au fond de ce qui est décrit. On ne peut pas dire que ce soit un exercice de style gratuit, non, c'est un ton et des références qui correspondent parfaitement aux tribulations et exactions du principal impétrant et de son entourage. Ceci étant, au-delà d'une valeur de distraction fort bien ouvragée, et qui a certainement un public de fans potentiels, je pense qu'il a, pour ce qui est du commentaire politique, comme de la distraction stylistique, des ouvrages qui me motiveront plus. Donc, oui, c'est bien, vraiment, mais je ne me lancerais pas dans la suite.


Lu. Bastions pirates, une histoire libertaire de la piraterie, de Do or Die.

Bastions pirates est un tout petit bouquin, dont le sous-titre résume bien le thème : donner un éclairage politique, et libertaire en particulier, sur l'histoire de la piraterie. Bon, étant donné la taille de l'ouvrage, ce sont plutôt quelques moments et thématiques que l'histoire de la piraterie dans son ensemble. Au point que, si vous ne vous êtes pas intéressés au sujet par d'autres biais, ce sera plus que rapide comme survol. Si, à l'inverse, vous avez déjà des notions, cela vous donnera des éclairages inédits et intrigants. En particulier, les auteurs font une lecture des modes d'organisation des navires et communautés pirates, mise en relation avec l'organisation des marines nationales de l'époque (dans lesquelles il ne faisait carrément pas bon être marin). Jusque là, classique (avec quelques éléments factuels discutables, mais rien qu'on ne trouve dans les autres ouvrages sur le sujet non plus), mais les éclairages sur les questions d'intégration d'anciens esclaves et de marins noirs l'est déjà moins, et celui sur l'homosexualité et sa place l'est encore moins. Au point d'en être frustrants de brièveté. Maintenant, pour sa taille, on ne peut pas lui reprocher d'être chiche en idées. Juste, c'est court. Maintenant, en éclairage rapide et original pour compléter d'autres choses, pourquoi pas.


Vu. Tournée, de Mathieu Amalric.

Tournée aurait put être un film réjouissant, si il avait fait toute la place à ses actrices et performeuses. En effet, celles-ci, issues du New Burlesque, ont des numéros drôles et originaux à présenter, et des choses à dire et à exprimer quant à ce qu'elles sont et ce qu'elles revendiquent que j'aurais aimé entendre en détail et dans un cadre leur faisant la part belle. Mais. Mais Mathieu Amalric n'a finalement utilisé leur présence que comme décor, comme second plan, voire comme support, à une autre histoire, qui est donc le cœur de son film, et qui est elle infiniment moins originale et réjouissante. Qui tombe même franchement, de mon point de vue, dans les clichés du cinéma bobo parisien intellectuel. Bref, on va suivre les états d'âme d'un ancien producteur de télévision de retour après une exil aux états-unis, ses incertitudes, sa confrontation à des enfants, et tout ce genre de choses. Ce qui n'est pas sans intérêt, d'autant qu'Amalric joue bien, et filme plutôt bien aussi, mais est de mon point de vue de plus en plus bateau (et nombriliste aussi). Du coup, j'en garde l'impression d'un film oubliable, pas mauvais mais un peu fade. Et dans lequel passent ces filles pleines de vie, de courage et de force, de blessures aussi, que j'aurais aimé voir au centre du film. Et il y avait de quoi remplir une heure et demie. Maintenant, je suis peut-être injuste en demandant à ce film autre chose que ce qu'il essaie de faire, mais j'aurais trouvé ça infiniment plus intéressant comme perspective.


Vu. Philibert, de Sylvain Fusée.

Attention, Philibert n'est pas une parodie, mais un hommage. Hommage non dépourvu d'humour et de clins d'oeil, certes, mais son objectif n'est pas de tourner en dérision à la mode satirique une tradition filmique qui, entre nous, n'a pas besoin de ça pour être gentiment ridicule de toutes façons. Philibert est donc un hommage à tous ces films de cape et d'épée kitsch, aux scénarios formulaïques et aux acteurs surjouant en permanence. Et on y retrouve effectivement, avec la même outrance, les mêmes éléments. Tout le monde en fait trop, consciemment, mais pas plus que certains des films de l'époque. Trop, mais sans tomber dans la clownerie. Du coup, c'est un film drôle, mais ce n'est pas complètement un film comique. Il occupe donc un entre-deux pas évident, dans lequel on rit, mais avec tendresse, avec une affection pour l'affectation permanente des personnages et des situations. Et en ce qui me concerne, ça ne fonctionne pas si mal. Je trouve ça amusant, mais touchant aussi, par cette naïveté permanente, cette volonté maladroite (intentionnellement ici, moins dans certaines des références évoquées) d'en faire plus, de se rendre lisible à l'extrême, à la transparence. Maintenant, si vous cherchez une parodie pour rire à gorge déployée, ça vous ira sans doute beaucoup moins bien. Mais vous apprécierez sans doute quand même les performances, au moins ponctuellement, des acteurs, dans lesquels on retrouve un Alexandre Astier en beau méchant (« Le noir c'est digne ! Le noir, ça fait peur ! »).


Joué. Wordz, de Frédéric Henry et Guillaume Blossier.

Wordz propose, sous le même format que Timeline, et avec un auteur en commun d'ailleurs, une perspective nouvelle et originale de jeu de lettres, genre qui, malgré quelques belles propositions, n'est pas des plus débordant de nouveaux modes de jeu. Et là, si, il y a vraiment quelque chose de nouveau. Et de convaincant en plus. L'idée centrale, c'est de conjuguer une base classique, dans laquelle on va composer des mots à partir d'un nombre limité de lettres, à une mécanique qui se rapproche d'Eleusis : chacun compose un mot-mystère que les autres joueurs vont devoir deviner. Et j'aime vraiment cette dimension de déduction quand chacun compose une intrigue que les autres joueurs doivent percer. Plus clairement : chaque joueur compose un mot, le plus long possible (mais parfois, mieux vaut un mot malin) à partir de cartes représentant chacune une lettre. Il place ce mot, face cachée, devant lui. Ensuite, seconde phase, chaque joueur jouant à son tour : il révèle une lettre chez un de ses adversaires puis il peut, sans obligation, tenter de deviner le mot d'un de ces adversaires (le même ou pas). Si c'est réussi, il gagne les lettres visibles de ce mot et le propriétaire en gagne les lettres encore cachées. Une système de jetons limite le nombre de devinettes possible et encourage donc à doser la prise de risque. C'est simple, c'est rapide et ça marche : plaisir des lettres, mais tout autant de la devinette, surtout qu'on devine ce que les autres joueurs ont concocté en pensant à nous. Bref, en petit jeu à base de lettres mais pas seulement, c'est une bien belle nouveauté.


Joué. Mito, de Lukas et Emily Brand.

Mito est, et même si ça ne change pas grand chose en soi, c'est assez rare pour le mentionner, conçu par deux enfants. Certes, leurs parents sont auteurs de jeu, mais n'empêche. Mito est un petit jeu de cartes, dans la même famille que, notamment, le poker des cafards. Il bénéficie donc du même type d'illustrations colorées aux insectes rigolos qui me plaisent beaucoup. Le fonctionnement général est celui d'un jeu de cartes de défausse classique. Tout le monde joue à son tour une carte sur la pile du milieu, tant que celle-ci à une valeur supérieure ou inférieure de 1 à la carte précédente. Certaines cartes ont des effets particuliers et font piocher des cartes, taper le plus vite possible, bref, rien que de très classique. Et le premier joueur à s'être débarrassé de ses cartes met fin à la manche, les autres marquant selon ce qui leur reste. Maintenant, s'ajoute un élément qui fait tout l'intérêt et la particularité de Mito : on peut tricher. Plus précisément, on peut se débarrasser de ses cartes de manière malhonnête : en les laissant tomber sous la table, en les glissant dans sa manche, en les jetant par-dessus son épaule, etc. Une à la fois par contre. Et un joueur, la Punaise Gardienne, est chargé de surveiller ses camarades. Quand il en repère un en flagrant délit de triche, le joueur est pénalisé, la Punaise récompensée et le coupable devient Punaise. C'est tout simple, mais ça fonctionne sacrément bien : on s'observe, on feinte, on rigole bêtement, bref, l'ambiance prends immédiatement. Ce qui en fait un excellent petit jeu de cartes pour tous les âges, tant que les joueurs sont motivés pour rigoler et faire n'importe quoi.


Joué. Eminent domain, de Seth Jaffee.

Eminent Domain est un jeu de deckbuilding. Dans la famille de Thunderstone et Dominion donc. Mais je le trouve bien plus convaincant, tant les deux sus-nommés me posent deux problèmes : brasser des quantités de plus en plus démesurées de cartes, et se trouver à jouer avec un thème plaqué et pas tellement convaincant. Et Eminent Domain répond à mon sens à ces deux préoccupations. D'une part, le thème, celui du développement de civilisations galactique, fonctionne bien : votre deck correspond aux orientations de votre civilisation (guerre, commerce, science, colonisation, etc.) et vous l'adaptez au orientations de votre choix. D'autre part, les mécanismes sont astucieux et évitent d'avoir cent cartes dont la moitié inutiles en main. Et le jeu est assez dynamique, puisqu'au tour de chaque joueur, les autres ont la possibilité de profiter de son choix pour effectuer la même action (en moins bien). Un petit coté sélection de rôle avec effet sur tous les joueurs qui créé beaucoup d'interaction, et que j'apprécie particulièrement. Et en plus, il y a des vaisseaux spatiaux en plastique, pour aller conquérir les planètes ! Bref, il va falloir que je teste ça de manière plus approfondie, mais cet hybride entre deckbuilding et civilisation m'a beaucoup plu jusque là et je vous invite donc à y jeter un œil tant il a peu été mis en avant.