Chroniques cérébrales, sous-marines et draconniques


Altered carbon + Broken angels + Woken furies, de Richard Morgan

Cette série de Richard Morgan habite un entre-deux, tout à fait réussi, entre de la science-fiction et du roman noir. De fait, le cadre est largement futuriste, avec une humanité qui a colonisé un certain nombre de planètes d’une part, et qui est capable de se transférer d’un corps à l’autre, ou sur support informatique avec une virtuelle d’autre part. Les deux étant liés, puisque le fait de pouvoir se télécharger dans un nouveau corps permet de se rendre sur une autre planète sans contrainte de durée de trajet et de vitesse de la lumière. Dans ce cadre, on suit dans cette trilogie Takeshi Kovacs, un ancien agent spécial/commando/espion du gouvernement interplanétaire. Un baroudeur, extrêmement compétent pour plein de choses, mais avec une conscience et un passé douloureux, bref, un vrai profil de personnage principal de roman noir. Tout en gardant de l’humour et une certaine finesse, on reste dans les codes mais sans tomber dans le cliché non plus. Ce qui fait qu’il en est attachant. Chaque roman est construit comme une enquête, voire comme un enchainement de complots et de maneuvres plus ou moins politiques. Et ce sont des scénarios passablement élaborés et retors, mais qui sont agréable à suivre parce que le rythme et l’écriture sont prenants, et que même si on n’arrive pas à anticiper les grands plans, ils sont bien amenés et au final très cohérents et solides. En soit, ça suffirait déjà à en faire de très bons romans. Mais en plus, il se tisse au fil de ces trois romans quelque chose qui ressort vraiment de la science-fiction au sens classique du terme, avec des découvertes et révélations sur le monde, sur le comment de la colonisation des planètes et sur les martiens (je ne vous en dit pas plus, mais c’est chouette). Ajoutez à ça une dimension politique fine et bien construite et argumentée, et vous avez la recette pour une trilogie qui m’a beaucoup plu et dont j’attends idéalement une suite.


Libérez votre cerveau ! de Idriss Aberkane

Difficile de décrire ce bouquin tant il est foisonnant, mais il mérite d’être mis en avant. Sous-titré : traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, il s’attaque à beaucoup de choses à la fois. Et tant mieux. Tant mieux parce que malgré quelques raccourcis et une structure parfois un peu confuse, il est plein d’enthousiasme et d’envie, et plein d’idées essentielles également. Idriss Aberkane a trois doctorats, et donc, globalement, il base ce qu’il raconte sur beaucoup de résultats de recherche et d’auteur-trice-s qui tiennent largement la route. Ce qui lui permet de proposer à la fois une synthèse vulgarisée de pas mal de choses en neurosciences, mais aussi de mettre en lien ces résultats, et ces connaissances sur la manière dont nous pensons et fonctionnons, avec beaucoup de questions sociales et politiques. En particulier sur la question de l’école et de l’éducation, mais aussi de l’économie de la connaissance, du marketing, des médias, de la politique, etc. Et ça donne largement à penser, de manière plutôt solide, et surtout ça donne envie, de tenir compte de tout ça et de changer pour mieux. Certes, il y a quelques maladresses, dues à mon sens à la rapidité avec laquelle sont traités tant de sujets, mais elles sont à mon sens très pardonnables tant les intentions sont claires et motivantes, et tant ça donne envie de se documenter plus là où on peut repérer des choses un peu trop rapides. C’est vraiment un livre qui donne envie de comprendre et qui donne envie de faire, ce qui est tout de même assez précieux. Et l’ambition, immense, de départ, est surprenamment bien tenue en un volume pas tellement épais au final. Qui plus est, l’auteur se réfère dans plusieurs champs différents à des auteur-trice-s que j’apprécie beaucoup et qui en ce qui me concerne donnent une assise et une légitimité à l’ensemble, comme Idries Shah et Jane McGonigal par exemple. Un ouvrage foisonnant, donc, et ambitieux, qui réussit à enthousiasmer et à donner envie tout en étant très raisonnablement accessible. Pour tout dire, ce genre de travail, par un auteur français, c’est beaucoup trop rare, et je ne peux que vous conseiller d’y jeter au moins un oeil, ça mérite.


Expedition to the mountains of the moon, de Mark Hodder.

Voici donc le troisième et dernier tome de Burton et Swinburne, dont j’avais vraiment aimé les deux premiers opus. On retrouve donc les mêmes personnages, et presque le même contexte, sauf qu’assez rapidement, en fait non, pas vraiment. De fait, toute cette série est construite (attention, spoilers mais pas trop) sur des questions de voyage temporel, et il s’agit bien d’une série cohérente, pas d’un empilement d’épisodes, donc tout les éléments précédents montent en puissance et s’agencent pour arriver à une situation bien plus compliquée et cruciale que ce qui est simplement annoncé : une expédition aux sources du Nil pour retrouver le dernier joyau. Et de fait, ça fonctionne tout à fait en termes de scénario, ça tient debout et àa mène à une fin bien construite et satisfaisante. Mais. Mais du coup, le chemin parcouru dans ce troisième tombe est beaucoup moins enjoué, voire carrément sombre pour une bonne partie, ce qui fait que je n’y ai pas retrouvé la légèreté et le plaisir que j’ai eu en lisant les précédents. Ce qui n’est pas vraiment une critique, parce que ça fonctionne bien, mais ce qui est en tout cas une vraie différence de ton et d’ambiance qu’on peut plus ou moins apprécier selon les gouts. Certes, il y a encore de l’humour, et plein de références historiques malines. Certes, on y retrouve les personnages auxquels on est attaché. Mais pas avec le même plaisir ni la même légèreté.


Sub Nautica, de Unknown Worlds Entertainment

Subnautica est ma dernière incursion dans le monde du jeu vidéo, pour lequel je n’ai plus beaucoup de temps, et j’ai vraiment apprécié. Tout commence avec un crash, de vaisseau spatial, sur une planète océanique. On reprends conscience dans une petite capsule de sauvetage en mauvais état, flottant sur un océan alien, avec en toile de fond l’épave de notre vaisseau en train de se consumer (de manière tout à fait radioactive par ailleurs). A partir de là, il s’agit d’un jeu de survie et d’exploration, entièrement sous-marin. Et c’est beau, déjà. Avec des poissons bizarres, des paysages variés, de la bioluminescence dès que vient la nuit, et un vrai dépaysement. Pour le coup, le coté merveilleux de l’exploration est à mon sens entièrement rempli, beaucoup beaucoup plus que dans n’importe quel environnement plus classique. C’est aussi un jeu de survie, et de crafting, puisqu’il va s’agir de se bricoler de l’équipement de plus en plus élaboré, mais aussi de manger, de boire et de ne pas se faire bouffer. Parce que oui, tous les poissons ne sont pas sympas. Mais à ce titre, ça ne devient en rien un jeu de chasse ou de tir, même bien équipé. Au mieux, on se protège des prédateurs mais on ne les attaque pas. Ce qui contribue à une vraie ambiance de jeu d’horreur tranquille. Tranquille en ce sens qu’on ne court pas partout pour dézinguer les méchants, ni qu’on ne se fait sauter dessus par surprise. Mais d’horreur parce qu’on est tout seul dans un océan immense avec des trucs dedans et des gouffres abyssaux. Et en ce qui me concerne, ça marche carrément. Et, oui, le crafting est élaboré et bien foutu, et lié à l’exploration, et permet d’aller vers la construction d’une base sous-marine, de véhicules, etc. Véhicules qui permettront d’explorer plus profond, de découvrir de nouveaux environnements, de se perdre de manière plus variée aussi. C’est vraiment une expérience que j’ai beaucoup appréciée, et que je trouve extrêmement bien réalisée, sur un thème qui plus est orginal. Maintenant, le jeu n’est pas fini pour le moment, il est en early access, et je pense qu’il gagnera encore, et il sera a priori avec une vraie fin, que je n’ai pas encore atteinte. Mais pour les vingt premières heures de jeu, c’est du tout bon.


Jouer avec l’histoire, collectif

Les pratiquants du jeu de rôle vieillissant, il apparait une production périphérique que je trouve intéressante, certes de jeux en format collector, mais aussi et surtout en ce qui nous concerne ici de réflexion sur le format du jeu de rôle lui-même, ses pratiques et ses intérêts. Ce petit ouvrage compile une série d’articles qui explorent les relations entre le jeu de rôle et l’histoire, avec des exemples et des points de vue divers. On s’y interroge donc sur la manière dont on peut jouer dans un cadre historique à la fois sans le trahir et sans s’y enfermer, classique mais bien posé. On y regarde de plus près les choix et les perspectives développées dans plusieurs jeux historiques, dont l’excellent Te deum pour un massacre, et ce écrit par les auteurs des jeux en questions. On y polémique sur des jeux et thèmes potentiellement polémiques, en particulier l’usage des nazis et du troisième reich dans différents formats de jeu de rôle et avec différents choix de traitement. Et on y parle méthode avec des propositions de solutions de construction de trames de scénarios ou de campagnes historiques. Globalement, rien d’incroyablement bouleversant, mais un boulot intéressant et agréable à lire pour celles et ceux que le sujet intéresse.


Paku paku, d’Antoine Bauza.

Plus ça va, plus, pour des raisons de temps mais aussi d’usage professionnel, je me tourne vers de petits jeux idiots et malins. Pour le coup, Paku paku correspond parfaitement à la définition. Idiot, parce qu’il s’agit d’un concours de gloutonnerie entre pandas. Bon, outre le thème, c’est un jeu de dés de rapidité bordélique dans lequel, outre lancer des dés, on empile des bols et des assiettes au centre de la table. Ils sont en plastique, ils sont petits, et entre des lancers de dé en urgence, oui, on finit effectivement par tout faire tomber. Ce qui est tout l’intérêt de la chose. Et malin, parce que les mécanismes et les règles sont très simples, mais sérieusement efficaces pour produire de la tension et de la rigolade. Ce qui n’est pas étonnant, étant donné la qualité à laquelle nous a habitué le sieur Bauza, mais ce n’est pas son format le plus habituel et c’est une vraie réussite. Et tout celà est vraiment très rapide à jouer (et à expliquer). Certes, on y jouera pas des heures d’affilée, mais n’empêche, on en refera volontiers plusieurs parties de suite, et on pourra facilement le ressortir pour un apéro ou une pause idiote entre deux autres jeux. Donc, oui, c’est idiot, c’est malin, c’est vraiment bien.


Eight epics, de Seiji Kanai

Eight epics est un jeu de Seiji Kanai, auteur de l’excellent Love Letter, avec des dés et un nombre très réduit de cartes. Je partais donc d’un a-priori positif, et houla, non, pas du tout, vraiment je n’ai pas accroché. Je n’y ai même trouvé aucun intérêt. Il s’agit d’un jeu de dés, coopératif, dans lequel à chaque manche, on va essayer de produire avec une série de dés commune une série particulière. Genre un Yams à plusieurs mains. Et chacun dispose de pouvoirs spécifiques pour modifier les faces des dés. Enfin, on a tout plein de pouvoirs tous ensemble, et chacun en a un un peu particulier en plus. Alors certes, ça fonctionne, mais c’est froid, pas excitant, et franchement long au vu de l’intérêt. Qui plus est, le matériel est illustré de manière tellement bateau et tellement inutile vu la dimension abstraite du jeu qu’on se demande pourquoi avoir fait de si grandes et si nombreuses illustrations. Non, au final, à moins que vous soyez fans de jeux de dés et que vous cherchiez un jeu coopératif, je ne vois pas de raisons de vous tourner vers Eight Epics.


Freak Shop, de Henri Kermarrec

J’ai un peu trainé avant d’essayer Freak Shop, mais à force qu’on m’en dise du bien, j’ai fini par essayer. Et grand bien m’en a pris puisque j’ai vraiment trouvé ça très agréable et très réussi. La base en est simple : il s’agit d’un jeu de cartes dans lequel on va essayer de composer des séries en défaussant à chaque tour une ou plusieurs cartes au milieu de la table pour en reprendre parmi celles présentes là. Classique, mais c’est un mécanisme que j’aime déjà bien. Si vous ajoutez une mécanique d’échanges simple et vraiment maline, et surtout des critères de décompte des points qui sont renouvelées à chaque partie (et il y a de quoi varier les permutations pendant un moment), vous obtenez un jeu rapide et facile à comprendre mais extrêmement malin et varié d’une partie sur l’autre. Vraiment, ça se joue tout seul, c’est super efficace et on a envie à chaque fois de remettre ça avec de nouveaux critères de victoire pour voir ce que ça change. Et, oui, ça change. Sur cette base, qui est celle d’un jeu abstrait, le travail d’illustration et de thématique est tout à fait réussi. Tout à fait inutile au sens strict du mécanisme de jeu, mais tellement joli et amusant que c’est au final un attrait en soi. Et en plus, c’est proposé par un petit éditeur, qui réussit là un jeu qui mérite un vrai succès.


PAD, 1 an déjà, de Gungho

Je vous avais fait la pub de Puzzle and Dragons il y a un petit moment. J’y reviens rapidement parce que ça fait tout pile un an que j’y joue de manière très très régulière et avec un plaisir toujours renouvelé. Ce qui méritait à mon sens d’être souligné, et qui n’est que justice au vu du nombre d’heures que j’y consacre. Donc, sur la base que j’avais déjà décrite, je ne peux que confirmer un certain nombre de choses que je préssentais seulement à l’époque. D’une part, le mécanisme de jeu est terriblement riche, puisqu’en changeant de leader on change de priorités et donc de stratégie dans la manière de jouer chaque tableau. Donc, oui, la manière de jouer se renouvelle facilement et souvent, et qui plus est globalement au choix du joueur. D’autre part, la courbe de progression, même au bout d’un an, continue à être très bien gérée. Il y a encore et toujours des contenus plus difficiles, au fur et à mesure qu’on accumule des personnages pour, mais surtout au fur et à mesure qu’on joue mieux. Le dosage est excellent et je continue à franchir des étapes de difficulté, doucement, mais avec bonheur. Enfin, Gungho continue une politique de l’événement permanent, et du cadeau permanent, puisque si le jeu est vide ardu, l’ambiance de la communauté et du jeu sont tout l’inverse de punitive et vise sans arrêt à faciliter, à réduire les parties répétitives et ennuyeuses. Donc, oui, je continue, et avec bonheur, et ce n’est pas souvent que je trouve un jeu qui me tienne aussi bien sur la longueur.