Chroniques hackeuses, savoureuses et booléennes.



Lu. Hackers. De Stephen Levy.

Si je commence en vous disant qu'il s'agit d'une histoire du mouvement des hackers, et donc de l'informatique, et que c'est publié chez O'Reilly, certains saisiront le sérieux de la chose (mais il y a des chances qu'ils aient déjà lu). En bref, donc, il s'agit d'une histoire extrêmement bien documentée et construite, avec une vraie analyse de fond, concernant donc la naissance de l'informatique, des premiers hackers au MIT puis du développement de mouvements visant la démocratisation de l'informatique, sa démocratisation effective et la naissance de l'industrie du jeu vidéo. Tout ceci est traité avec comme ligne conductrice l'esprit hacker, l'éthique développée par ces derniers et la manière dont elle a survécu avec plus ou moins de difficultés de génération en génération, notamment face à l'ampleur que prit l'industrie informatique assez rapidement. Au-delà du fait que c'est passionnant en soi d'un point de vue historique et documentaire, c'est aussi réjouissant par toutes les anecdotes et personnages chamarrés qu'on y croise. Mais surtout, par ce que l'ensemble formalise et transmet de l'éthique hacker, c'est un ouvrage de référence autant que de motivation, et terriblement d'actualité en ces temps de législation à tout va sur internet et les utilisations des différents avatars de l'informatique. Bref, du vrai travail journalistique de fond, solide, agréable à lire et motivant pour le même prix, ce n'est pas pour rien que c'est réédité depuis dix ans chez des gens sérieux.


Lu. La solitude des nombres premiers. De Paolo Giordano.

La solitude des nombres premiers est un premier roman, certes, mais très réussi et très maitrisé, et qui trahit assez nettement les origines de son auteur, qui prépare son doctorat en physique théorique. Non que ça parle directement de thématiques scientifiques, mais ça parle d'inadaptation sociale, de décalage et de solitude. Pas seulement en rapport avec des personnages scientifiques, puisque ce n'est le cas que d'un des personnages principaux, mais de manière plus générale. Le propos est d'ailleurs relativement fin et touchant, avec des personnages certes assez typés, mais pas non plus caricaturaux au point que je puisse trouver ça gênant. Et de toutes façons, il s'agit de parler de profils marginaux. La structure du récit est pour le coup plus risquée, mais à mon sens efficace et bien gérée, puisqu'on fait de grands sauts d'époque en époque, et la fin a le mérite de ne pas être inutilement niaise ou kitsch. Je ne dirais pas que c'est un roman exceptionnel mais c'est une vraie réussite malgré tout, prenant et réussissant à traiter son sujet avec finesse.


Visité. La saveur des arts, de l'inde moghole à Bollywood. Au MEG (Musée d'Ethnographie de Génève).

Je n'ai pas assez souvent l'occasion d'aller voir les expositions du MEG mais je le regrette car elles sont toujours d'une qualité rare (particulièrement si on les compare à un certain nombre de musées français). L'exposition actuelle, donnée dans une annexe du fait de travaux dans le bâtiment principal, parle de la codification des arts indiens et plus particulièrement du rapport entre la musique traditionnelle et les arts narratifs (des miniatures mogholes à Bollywood en passant par de très surprenantes traditions picturales liées au chant et aux récits de conteurs et musiciens itinérants). Le propos est, en ce qui me concerne en tout cas, assez inattendu, mais très intéressant parce que je n'imaginais pas une telle continuité dans la formalisation des arts. Et, au fil de cette continuité, les œuvres et traditions présentées sont non seulement marquantes graphiquement, le plus souvent belles, parfois juste amusantes, mais aussi pleines de sens et de surprises. En particulier, une partie présente des rouleaux de peintures/BD traditionnelles du Bengale, réalisées par des femmes pour transmettre en les chantant la mythologie et aujourd'hui utilisée pour faire de l'instruction sur des thématiques sociales (polyo, sida, maltraitance des femmes) ou sur l'actualité (avec notamment un rouleau remarquable sur les attentats du 11 septembre et leurs suites). Comme toujours au MEG, la scénographie est élégante et très réussie, les textes informatifs mais sans jamais être trop denses ou difficiles à lire et les œuvres très bien mises en valeur. Et, accessoirement, le catalogue est à la hauteur de l'expo, comme d'hab là aussi (même si je n'aime pas la police de caractères).


Mangé. Sucrés & Salés. Restaurant-Traiteur Coréen, 39 rue Chevreul, 69007 LYON.

Sucrés et salés est un tout petit traiteur-resto qui ne paie pas de mines, perdus au milieu des nombreux autres restaurants de la rue Chevreul, mais il mérite le détour. Il s'agit d'un restaurant coréen, qui propose donc des plats coréens, mais aussi japonais (encore que les plats japonais qu'il propose soient sans doute aussi coréens, mais je ne suis pas assez compétent dans le domaine pour en être complètement certain). Et j'aime beaucoup ce que j'y ai découvert de la cuisine coréenne. C'est souvent épicé, et globalement plus gras et plein de sauces que la cuisine japonaise, mais je trouve ça intéressant et amusant. Bon, on peut éviter les beignets au chou, voire les okonomiyaki, moins bon que les vrais okonomiyaki japonais, mais le reste est tout à fait à mon goût. Et accessoirement, l'épicerie, et notamment la boisson à la cannelle, vaut le coup aussi. Il se trouve qu'en plus, ce sont des tarifs de petit traiteur et pas de vrai resto, mais par contre ce n'est ouvert le soir qu'en fin de semaine (mais on peut emporter).


Joué. Linq. De Andrea Meyer et Erik Nielsen.

Linq est un petit jeu tout simple, dans la catégorie des party games de tchatche minimalistes, quelque part entre un Dixit et un Petits Meurtres. Parmi le groupe de joueurs se trouvent deux espions et un nombre variable de contre-espions. Les espions disposent d'un mot de passe en commun. A u premier tour, chaque joueur annonce un mot, puis au second un deuxième. Les espions, sans dire directement leur mot de passe, doivent grâce à leurs deux annonces se faire reconnaître de l'autre espion, mais sans se faire repérer des contre-espions, dont l'objectif est de les identifier. Le résultat est un jeu rapide et très drôle où la première impression est que tout le monde raconte n'importe quoi, tout en sachant que certains joueurs ont des annonces cohérentes. Très simple à expliquer et efficace avec des publics très différents, il s'agit d'un excellent jeu d'ambiance et d'animation.


Joué. L'atelier des chefs. De Cyril Blondel.

L'atelier des chefs est un petit jeu d'ambiance convivial conçu en partenariat avec, donc, l'atelier des chefs, l'école de cuisine. Au-delà du principe du partenariat, que je trouve intéressant, il ne s'agit pas d'un jeu pour apprendre la cuisine ou même parler de nutrition, il s'agit d'un jeu convivial, rigolo et rapide, pour s'amuser autour du thème de la cuisine. On y trouve tout de même, en plus, quelques fiches cuisine, mais sans lien avec le jeu lui-même. Le jeu est une suite de mini-challenges idiots et amusants, dans lesquels on utilise le paquet de cartes pour différentes épreuves vaguement liées à des activités de cuisine : on les trie en urgence selon certains symboles, on les empile, on les pose en équilibre sur sa main, etc. Certaines épreuves sont individuelles, d'autres sont collectives, chronométrées ou non. C'est globalement rapide, et amusant, mais ce n'est pas un jeu auquel on aura nécessairement envie de jouer plus que le temps d'un apéro. Par contre, il peut se jouer assez facilement avec des enfants ou des gens qui ne sont pas joueurs du tout.


Joué. Booleo. De Jonathan Brandt et Chris Kampf.

Booleo est un vrai de vrai jeu pour vrai de vrai geek. Il s'agit d'un jeu pour deux basé strictement sur les bases de la logique booléenne (la base de l'électronique donc): AND, OR et XOR. Le but de chaque joueur est de construire une série de portes logiques, justes en entrées et sorties, organisées en pyramide pour réduire un nombre de base (en binaire) à un bit. Et, histoire que ce soit quand même interactif, il est possible de modifier les bits de départ pour perturber la construction adverse, voire la bloquer si on est vraiment bon. Autant il est évident qu'il s'agit d'un jeu destiné à un public très spécifique, autant il n'était pas évident que cela fonctionne en tant que jeu. Or, si, et même franchement bien. C'est vraiment un jeu dans lequel on peut développer une stratégie au fil des parties, pour peu qu'on veuille se creuser pas mal la tête. La vraie difficulté de ce jeu est à mon sens, de trouver des gens avec qui y jouer. Plus qu'un gadget pour geek, un vrai jeu de stratégie pour deux (vrais geeks).


Joué. Leaders, une extension pour 7 Wonders. De Antoine Bauza.

Là voilà donc arrivée, la première extension pour 7 Wonders, le jeu qu'il vaut le coup grave. Elle s'appelle Leaders puisqu'elle ajoute une phase de jeu au début de chaque âge dans laquelle chaque joueur peut jouer un leader, un héros célèbre de l'antiquité. Ces leaders ont des impacts divers et variés, reprenant et amplifiant des effets existant ou ajoutant des effets nouveaux dans toutes les catégories du jeu. Rien de révolutionnaire quand au mode ou au rythme de jeu, mais il s'agit vraiment d'approfondir les stratégies possibles et de rajouter du suspense et des possibilités de combo, ce qui est pas mal bienvenu pour ceux qui jouent régulièrement à 7 Wonders (et il y en a, mais je ne vais pas commencer à balancer des noms ;). Accessoirement, ça demande aussi de s'orienter plus rapidement et plus nettement, et donc d'avoir une meilleure lisibilité sur le jeu de ses adversaires (mais la souplesse n'est pas exclue non plus, rassurez-vous, la polyvalence reste efficace). Une très bonne extension à mon sens, pour approfondir le jeu sans le modifier réellement. Accessoirement, c'est toujours illustré par Miguel Coimbra, donc c'est toujours splendide, et la qualité de l'édition est à l'avenant. Si vous aimez 7 Wonders, vous pouvez y aller les yeux fermés.