Chroniques encrées, ignorantes et doctoresques.



Lu. Snuff, de Terry Pratchett.

Un nouveau Pratchett, ça me fait toujours plaisir. Il s'agit ici d'une nouvelle enquête, spécifiquement de Samuel Vimes, même si le reste de la garde intervient à la marge. A la marge seulement parce que Vimes part, contraint plus que de bon gré, en vacances à la campagne. Une part du plaisir de la chose vient de ce décalage justement : un personnage exclusivement urbain, dans son histoire comme dans sa manière de penser, qui découvre le monde rural (et on est bien dans un contexte de campagne traditionnelle anglaise, malgré le monde fantastique). Une occasion pour Pratchett, une nouvelle fois, de briller dans sa manière de décrire les gens, leurs manières de vivre et de penser. Au-delà de ça, il y a donc une enquête, qui se met en place progressivement, et de manière intéressante. Elle a pour principal intérêt, à mon sens, d'être une métaphore très directe de questions sociales et politiques, notamment en termes de racisme et de discrimination. Sans être révolutionnaire ou incroyablement surprenant, c'est plaisant et réconfortant, dans la tradition, finalement, de nombreux autres tomes du Disque-Monde. J'ai beaucoup apprécié de découvrir certains personnages secondaires, attachants et drôles, en particulier le majordome de Vimes, mais aussi Sybil et le jeune Sam. Bref, des personnages rodés, une écriture qui fonctionne toujours très bien : un bon Disque-Monde de plus, qui ne se distingue pas particulièrement à mon sens, mais enfin, vu le niveau de l'ensemble, c'est déjà très bien.


Lu. Ink, de Hal Duncan.

Je me dois d'avouer que j'avais commencé Ink dans la foulée de Vellum, et que j'ai fait une très grosse pause au milieu. En effet, on y retrouve ce qui fait tout le sel de Vellum, puisque c'est la suite (et fin), mais j'ai un peu saturé. Hal Duncan écrit très bien, et il a plein de très bonnes idées, de personnes attachants, de références mythologiques et historiques variées, mais l'aspect déstructuré de la chose, sur la longueur, peut lasser. Le fait d'être à moitié perdu dans les différents développements fracturés, redites et erratas des différents chapitres, même si on sent que ça va quelque part, m'a donné envie de mettre ça de coté un moment avant de retrouver l'envie de m'y perdre à nouveau. Car, comme Vellum, c'est un livre dans lequel on se perds, en se raccrochant là où on peut (et il y a de quoi faire, tant les références et recoupements des différentes trames, mondes et personnages sont nombreux). Un livre passablement chaotique, donc, mais toujours fascinant. Je me demande en fait si ça n'aurait pas été plus efficace en condensant un peu, ou en donnant un peu plus de repères au lecteur. Peut-être sinon qu'en le relisant... Bref, c'est une expérience de lecture que je recommande, si vous avez accroché au premier, parce qu'au moins on arrive à une vraie fin et que l'ensemble a effectivement une cohérence (ce dont on ne doute pas en le lisant, mais ça fait plaisir d'avoir une confirmation) et que, de toutes façons, c'est très bien écrit, avec des personnages vraiment enthousiasmants. Maintenant, ne vous y lancez pas pour une lecture reposante et facile, vous seriez vite déçus, et sans doute passablement perdus.


Lu. The city and the city, de China Miéville.

China Miéville est vraiment un auteur étrange, et c'est un vrai compliment. Il propose ici, sur une trame d'enquête policière, la découverte d'un monde étrange, niché dans le monde réel : deux villes superposées aux règles étranges. Il y a une dimension fantastique, mais elle ne constitue pas l'argument central de l'histoire, elle ne sert finalement qu'à permettre un environnement étrange dans lequel on va surtout parler de frontières, de séparation entre les gens, les cultures et les histoires. Le thème et l'ambiance évoquent incontournablement Kafka, voire Philip K. Dick, dans la manière d'utiliser une excuse fantastique pour aborder l'altérité, l'étrangeté et l'étranger, particulièrement quand il est physiquement proche. Exercice réussi à mon sens, et intriguant. Au-delà de ce thème, qui est tout de même très central, on suit une enquête policière, avec ses rebondissements, ses personnages un peu attendus mais bien amenés et sa résolution. L'ensemble est bien construit et on découvre progressivement les bizarreries de cet environnement, avec leurs échos dans le monde réel, et on se laisse prendre au jeu de miroir de cette double-cité improbable. Le résultat est assez inclassable, mais fonctionne bien en ce qui me concerne.


Lu. Louvre secret et insolite, de Daniel Soulié.

Pour le dire rapidement, j'ai été assez déçu par ce petit guide. Sans doute en attendais-je trop, mais son titre et sa présentation promettent de l'insolite, des anecdotes secrètes et inattendues, bref, annonce des surprises et du dépaysement. Or : pas tellement. Certes, ce n'est pas un guide visite linéaire du Louvre. Certes, on peut faire infiniment plus classique. N'empêche, il s'agit plus d'une visite des collections que d'une plongée dans les anecdotes et l'insolite. Enfin, j'imagine que c'est une question de point de vue. Pour un conservateur spécialisé en histoire de l'art, ce guide est sans doute terriblement insolite et iconoclaste, par les libertés qu'il se permet, à savoir : ne pas se limiter aux chefs d'œuvre les plus célèbres et reconnus. Maintenant, il présente tout de même, classés selon les différentes ailes du Louvre, des œuvres majeures, chacune avec une notice d'une page retraçant soit son parcours, soit ses origines, soit des anecdotes concernant sa découverte ou redécouverte. Alors, certes, ce n'est pas inintéressant, mais ça aurait pu s'appeler : guide pas trop chiant et traditionnel des collections du Louvre, j'aurais trouvé ça plus juste.


Lu. Liliane est au lycée, de Normand Baillargeon.

J'ai découvert un peu par hasard ce petit volume récent de Baillargeon, et, au vu de la thématique, je n'ai pas hésité. Il s'agit d'une réflexion, riche mais facile à suivre et à lire, concernant la culture générale, voire la culture en général. Le point de départ est justement cette notion de culture générale, si évidente pour nous, et pourtant très étonnante et difficile à saisir pour un canadien (et pour beaucoup d'autres cultures tout autant). Qu'est-ce donc que la culture générale, et pourquoi est-il si essentiel d'en avoir ? Pourquoi doit-on avoir une culture générale solide ? Voilà la question de départ. Baillargeon s'en saisit avec un humour certain, mais surtout, malgré sa formation de philosophe et son statut d'universitaire, de manière extrêmement lisible et ouverte. Ce qui, pour le coup, est parfaitement en adéquation avec son propos (mais beaucoup trop rare par chez nous, justement). Il déroule donc cette pelotte : pourquoi cette notion de culture générale, par qui et comment est-elle construite, validée et définie. En quoi est-ce une particularité française, aussi, ce qui est intéressant, mais pas tellement réjouissant. Et, partant donc de cette analyse, le deuxième temps est consacré à tenter de proposer ce que pourrait être une culture générale qui ait un vrai sens et qui colle à des valeurs humanistes et à une éducation saine. Le texte n'est pas très long et ne prétend rien révolutionner, mais il fait un très bon boulot de mise à plat et de synthèse de beaucoup de questions liées à la culture et à l'éducation. Pour ceux qui ont donc envie de s'alimenter, ou simplement de prendre un temps de synthèse et de réflexion sur le sujet, c'est un petit volume qui mérite les quelques heures qu'on y passe.


Lu en BD. Les ignorants, d'Etienne Davodeau.

J'ai beaucoup aimé tout ce que j'ai lu de Davodeau jusque là, qu'il s'agisse de fiction ou de documentaire. Il s'essaie ici à quelque chose de nouveau en ce qui le concerne : de l'autobiographie. Maintenant, il ne s'agit pas de raconter sa vie en général, mais de raconter une expérience : apprendre les métiers de la vigne en travaillant pendant un an avec un vigneron, et lui faire découvrir le métier et la culture de la BD en retour. Avec son trait doux et réaliste, Davodeau nous raconte donc cette année particulière, nous fait rentrer dans ce quotidien et ces échanges très riches qu'il vit avec Richard, vigneron et rapidement ami. Du coup, on découvre la vigne par les yeux d'un passionné, de quelqu'un qui s'y consacre pleinement, qui y est attaché. C'est riche, varié et touchant, et, en ce qui me concerne en tout cas, ça permet de vraiment découvrir certains aspects et de comprendre la dimension humaine et affective de la chose. Et en miroir, c'est la même chose pour le travail d'auteur, qu'on découvre par les yeux, là aussi, d'un ignorant auquel un passionné explique son métier, sa manière de vivre cette activité. Comme toujours chez Davodeau, l'ensemble est extrêmement humain et sensible, raconté avec beaucoup de finesse et d'humour. Et la BD comme le vin sont des activités qui se prêtent à un tel traitement, parce qu'elles sont des liens, des cultures en soi. Le ton est juste, le contenu prenant comme un roman à suspense et on se laisse complètement prendre à ce double voyage initiatique. Comme d'habitude avec Davodeau, je recommande chaudement ce gros volume plein de bonnes choses.


Joué. Mondo, de Michael Schacht.

Mondo est un jeu de puzzle, chronométré, et à plusieurs joueurs. Donc, oui, à partir de mécanismes assez classique, c'est un mélange inattendu et original. Et, disons-le tout de suite, très réussi. Sauf pour l'aspect graphique, peut-être, qui sans être moche, loin de là, est quand même très sage et classique. Ce qui, ceci dit, facilite certainement le jeu. Pour ce qui est du jeu donc, il s'agit, pour chaque joueur, de construire sa petite île (ou portion de continent selon l'option choisie) avec des petites pièces carrées sur lesquelles on trouve différents types de paysages et quelques animaux. L'idéal est donc, c'est l'aspect puzzle, de connecter les pièces qu'on pose au mieux pour éviter les frontières toutes moches. Au-delà de ça, cependant, il va aussi être question de remplir un certain nombre d'objectifs, une partie fixe (les volcans notamment, qu'il faut éviter autant que possible) et l'autre variant à chaque partie. Tout ceci se fait en temps limité et avec le tas de pièces partagé au centre de la table entre tous les joueurs. On y pioche et on y fouille donc tous en même temps, ce qui ajoute de l'interaction et une certaine tension. Quand le chrono sonne, on fait le compte pour chaque joueur, des objectifs remplis et des erreurs faites, qu'on additionne sur trois manches pour obtenir un score final. Comme pour beaucoup de bons jeux innovants, l'idée est simple et on se demande pourquoi ça n'a pas été fait avant. Pour les joueurs qui aiment les puzzles, le plaisir de construire son petit monde, tout ça avec une certaine urgence, c'est un pur plaisir. Non, vraiment, c'est un jeu à essayer.


Vu. Doctor Who saisons 5 et 6. Avec Matt Smith en onzième docteur.

Ayant découverte le Docteur, cette institution anglaise incontournable, de manière un peu morcelé, nous nous sommes finalement lancé dans un visionnage organisé en commençant par la cinquième saisons. Petit rappel : Doctor Who est une série qui a presque cinquante ans. Dans celle-ci, on suit les aventures du Docteur, un Seigneur du Temps (un alien à forme humaine, qui voyage dans le temps et l'espace), qui a, entre autre, la capacité de se régénérer et de changer d'apparence à ce moment-là. Du coup, tant en restant le même personnage, le Docteur a des visages, et acteurs donc, différents, ce qui permet une continuité tout en renouvelant son style et sa personnalité. Avantage annexe : il est donc facile de rentrer dedans en commençant avec le démarrage d'un nouveau Docteur. Ce que nous avons donc fait, en commençant avec la saison 5 de la déclinaison moderne et Matt Smith, qui incarne le onzième visage du Docteur. Fantasque, très intelligent, non-violent, hyperactif et bienveillant, le Docteur est un personnage attachant et riche, et aux valeurs réjouissantes. Matt Smith fait un Docteur particulièrement drôle, fantasque et agité, ce qui donne une série très dynamique et réjouissante. Accompagné de ses acolytes, il parcours donc le temps et l'espace, alternant des épisodes para-historiques et d'autres franchement science-fictionnesque, tout ça avec de vrais scénarios, des dialogues remarquables et des acteurs attachants et drôles. Sur ces deux saisons, le rythme est bon, et, malgré certains épisodes plus faibles, la trame reliant l'ensemble est tortueuse et franchement satisfaisante. Les scénaristes s'amusent, notamment avec les aspects un peu surannés de la série et son budget limité complètement assumé, les acteurs ont plaisir à être là tout autant et du coup : nous aussi. Avant toute chose, je dirais que c'est une série réjouissante, qui se fait plaisir, qui joue avec plein d'idées et de codes, sans jamais se prendre complètement au sérieux, mais sans jamais non plus oublier d'avoir des messages de fond, bref, sans jamais prendre ses spectateurs pour des cons. Je vous recommande donc chaudement de découvrir Doctor Who, et ce point de départ là me semble un bon choix si vous ne voulez pas reprendre plus loin avant (bon, après avoir fini ces deux saisons, nous sommes en train de reprendre à partir de 2005, mais avec un série de voyageurs du temps, ça ne pose pas tellement de problème, c'est un autre avantage).