Chroniques masculines, joueuses et bordéliques


Lu. Nous, les mecs. Daniel Welzer-Lang.

Daniel Welzer-Lang est sociologue et travaille depuis longtemps sur la sexualité, le patriarcat et la masculinité, sur une base pro-féministe. Il propose ici non pas un livre de recherche ou de théorie, mais de vulgarisation, à mon sens, et de questionnement très accessible. Ce qui en fait tout l’intérêt, mais qui peut créer une certaine frustration pour celles et ceux qui voudraient y trouver des arguments et des références plus solides et scientifiques. A mes yeux, ça en fait un très bon ouvrage à partager, un point d’entrée très bienvenu dans ce sujet. En particulier parce qu’il aborde les questions d’égalité et d’évolution des rapports femmes-hommes du côté des hommes. En bref, il pose la question de la manière dont les hommes sont éduqués, dont ils se construisent en tant qu’homme, et ils pointe les diverses manières dont l’avancée de l’égalité vient remettre en cause, et souvent mettre en difficulté, les hommes construits ainsi. Ce qui permet déjà de prendre conscience de la manière dont on a été construit, et ce n’est pas rien ; et de voir ce qui peut être questionnant ou difficile dans les changements actuels, même quand on est convaincu sur le principe. Et c’est un livre qui permet aussi à des lectrices de percevoir comment se fait la construction de la masculinité de l’intérieur. Et qui ouvre donc un champ d’échanges, de compréhension et de questionnement plus que bienvenu. Comme je le disais, c’est présenté avec un rédaction très accessible et agréable, sous forme d’essai et de questionnement, presque une discussion informelle, et c’est un format qui me semble parfaitement adapté à l’objectif. Je dirais que c’est donc un très bon support de prise de conscience et de discussion, dans la perspective de continuer à faire changer les choses en termes d’égalité femmes-hommes, en incluant tout le monde dans la discussion. (PS : Je sais bien que Daniel Welzer-Lang est attaqué sur certains de ses comportements, peut-être à raison, mais je ne crois pas que ça change l’intérêt de ce bouquin, pour le coup).


Lu. La virgnité passé 30 ans. Atsuhiko Nakamura et Bargain Sakuraichi.

Voilà longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi dérangeant, et, d’une certaine manière, d’horrible. Pour autant, il ne s’agit pas de fiction, de démon, de tentacules ou de meurtres terrifiants. Il s’agit d’hommes, non seulement célibataires, mais vierges alors qu’ils ont passé trente ans. Une série de portraits, en manga, adaptés d’un travail d’enquête journalistique sur ce phénomène important au Japon (mais je soupçonne qu’on serait surpris des résultats d’études sur le sujet par chez nous). D’hommes variés mais chez lesquels on retrouve à chaque fois un profond sentiment d’échec, un regard sur les femmes qui navigue entre la naïveté, l’objectification, la colère et la haine. En bref, une illustration parfaite et terriblement dérangeante des effets de la masculinité toxique et de la masculinité fragile.Donc, oui, c’est dérangeant, souvent même vraiment malsain. Sans artifices d’ailleurs, si ce n’est un dessin aux traits marqués et parfois presque difformes, et qui pourtant, d’après le journaliste ayant mené les enquêtes, extrêmement fidèle aux personnes réellement rencontrées. Et si c’est aussi malsain et aussi marquant, c’est bien parce que c’est si fondamentalement banal et quotidien. Et c’est aussi parce que, tout désagréables inquiétant, voire détestables pour certains, que sont ces personnages, on ne peut s’empêcher, régulièrement, une certaine empathie, une pitié pour leur parcours et là où ils en sont arrivés. Pour certains plus que d’autres, mais il y a toujours ce mélange en arrière-plan, qui est à mon sens signe de la finesse de l’écriture et de la manière dont ils sont montrés. Comme je le disais, le dessin est parfaitement adapté, tout en étant un style que je n’aime pas de manière générale. Et, pour une fois, je pense que le format dessiné n’allège pas le propos, mais le rapproche, et force à le voir de manière moins distanciée et intellectuelle. Ce qui, donc, en fait un ouvrage fort. Je ne dirais pas que je vous le conseille, parce qu’on en sort quand même troublé et beurk, mais si le sujet vous intrigue, je garantis que ça ne vous laissera pas indifférent-e.


Lu. Les nouvelles hétérosexualités. Daniel Welzer-Lang.

Autant “Nous, les mecs” est un essai informel sous forme de partage de questionnement, autant celui-ci, que j’avais lu juste avant, est plutôt une tentative d’inventaire dont l’usage semble particulièrement adapté à des professionnel-le-s (en tout cas, c’est en partie l’intention que j’y décèle). En effet, on procède ici à une sorte de panorama, assez exhaustif (oui, j’ai vraiment appris des choses) des pratiques relationnelles, amoureuses et sexuelles d’aujourd’hui, et ce dans un cadre hétérosexuel. Et c’est bien plus varié et questionnant que ce qu’on pourrait penser, d’autant que les typologies concernent aussi bien les modes de relations, de liens, de configuration, de rapport à la sexualité qu’aux sentiments. Ce qui donne donc bien une image diversifiée des hétérosexualités et de leurs mutations. En soi, c’est déjà très intéressant de prendre la mesure de toutes ces approches et des questionnements qu’il y a derrière. Mais ce n’est pas tout : le propos est aussi de montrer comment ces différentes formes sont, de manières plus ou moins construites et conscientisées, des modalités expérimentales de remise en cause du patriarcat et de la domination masculine (ne serait-ce qu’en remettant en cause le couple traditionnel). Et donc de légitimer ces formes, et l’expertise non-universitaire des personnes concernées, comme des objets sociaux et politiques, et comme des contributions à l’évolution de la société. J’ai trouvé très bienvenu et très riche le fait de replacer ces descriptions dans le cadre d’une réflexion politique, et de légitimer le savoir (auto-construit ou expérimental) des personnes concernées. L’ensemble oscille donc entre le descriptif et l’inscription dans des questionnements d’égalité et de déconstruction plus large, ce qui en fait une bonne approche synthétique, même si on aura potentiellement l’impression de survoler un peu rapidement certains aspects, selon ses intérêts propres.


Lu. Auteur de jeux de société. Michel Lalet.

Michel Lalet est un des auteurs d’Abalone, ce qui pose une sorte de pedigree en tant qu’auteur de jeux, mais surtout il est depuis un moment agent pour des auteur-e-s, ce qui le met en position d’analyser et de comprendre leur démarche, leur style et leurs intentions. Il propose ici un plaidoyer extrêmement solide et argumenté sur la dimension artistique et créative de la création de jeu. C’est rare, en soi, mais c’est encore plus rare de trouver un discours aussi bien argumenté, fin et solide sur le sujet. Je dirais que c’est à mon sens le bouquin le plus important sur le sujet du jeu de société depuis Roger Caillois. Ce qui n’est pas rien. De fait, on n’en reste pas à la déclaration d’intentions, mais bien sur à la fois une analyse de là où en est aujourd’hui en termes de marché, de cadre juridique et de pratiques, et sur un décryptage argumenté de la dimension créative et artistique dans la création de jeu. Avec de nombreux exemples solides et pertinents, et avec des pistes de travail pour les années à venir. Parce que oui, c’est une première pierre, de grande qualité, pour ouvrir un débat qui m’importe, voire un champ de recherches et d’écriture. Il y a tellement plus à dire à partir des idées exposées là, tellement de travail de fond à faire pour revendiquer cette place en tant qu’objet culturel de plein droit, et tellement de travail de création à faire pour continuer à développer cette approche au-delà des contraintes de marché. Pour celles et ceux qui sont dans le jeu, et qui s’intéressent à la dimension créative et culturelle de la chose, c’est vraiment un livre essentiel et fondateur. Accessoirement, c’est agréable et rapide à lire.


Lu. La révolte des élites et la trahison de la démocratie. Christopher Lasch

Un livre que j’ai donc suite à un article du figaro, c’est une vraie première, et je ne sais pas si ça se reproduira. Enfin, peut-être que si, à en juger par cette expérience là, parce que c’est vraiment un ouvrage intéressant. Mais pas facile. D’une part parce que Christopher Lasch n’écrit pas de manière particulièrement absconse mais enfin disons qu’il manie du concept et de la référence sans retenue et qu’il ne fait pas d’efforts trop marqués pour s’exprimer de manière simple. D’autre part parce que j’ai beaucoup de mal à trouver une cohérence à l’ensemble. J’ai plutôt l’impression d’une série d’articles de réflexions regroupés en un livre, certains connectés et d’autres pas tellement. Etant donné la densité des réflexions et des propos, ça n’aide pas à assimiler et à suivre un fil. Du coup, mieux vaut abandonner l’idée qu’on lit un essai et se laisser questionner chapitre par chapitre. Et il y a de quoi faire. C’est vraiment un bouquin dans lequel j’ai trouvé nombre de nouvelles idées et de nouvelles perspectives. C’est un auteur qui réfléchit, pour de vrai, et qui fait réfléchir. Qui plus est avec un positionnement politique assez hybride et pas tellement dogmatique. Plutôt anti-capitaliste, encore que, et plutôt conservateur, mais pas trop, avec des bouts d’autres choses. Ce qui m’a plutôt donné l’impression de quelqu’un qui réfléchit librement et en profondeur. Et donc, pour le contenu en deux mots : il y a effectivement des choses fortes et bien construites sur la démocratie, l’abandon des élites de cette dernière et une remise en lumière du populisme qui m’a beaucoup intrigué ; mais aussi des choses sur l’éducation, sur la religion et la psychanalyse, sur l’autonomie, l’aide sociale, et plein d’autres sujets. Je dirais donc que c’est un bon bouquin pour réfléchir et se faire un peu bousculer sur tous ces sujets, mais pas pour avoir un plaidoyer ou des explications.


Lu. Fées, weed et guillotines, de Karim Berrouka.

J’avais beaucoup aimé le Club des punks contre l’apocalypse zombie, je continue donc à explorer les écrits de Karim Berrouka. Ici, c’est donc un mélange entre roman noir, avec détective bourru et efficace inside, fées arrachées et passablement grossières et déconnades variées, notamment historiques. C’est donc plutôt plus construit que le Ckub des punks, en termes de récit, puisqu’il y a une enquête, des retournements de situation, de la politique, tout ce genre de choses. Bon, en termes de conclusion, ça partage le côté lacunaire et incomplet, mais c’est une choix qui génère une frustration somme toute gérable. Par contre, c’est thématiquement plus décousu et bordélique. Ce qui, sur une intention de ce type, ne me gène pas beaucoup, faut pas déconner, d’autant que tout se raccroche plutôt pas mal à l’enquête générale. Le fait est cependant que ça m’amuse moins que les punks et les zombies, et que les personnages sont de la même manière plus classique et donc moins attachants et moins marquants. Je dirais donc que c’est un très honnête roman, construit de manière compétente, et rempli de trucs rigolos et bordéliques, mais sans touchés à quoi que ce soit de vraiment exceptionnel ou très inattendu.


Ecouté. Bordeliko, de Sidi Wacho.

Enfin, le second album de Sidi Wacho. Sachant que le premier tournait très souvent à la maison et fait même partie des préférences musicales actuelles d’Olympe (qui hérite donc naturellement des bons goûts musicaux de ses parents, c’est bien le minimum), je l’attendais donc avec un certaine impatience. Et je ne suis pas déçu, il tourne en priorité pendant mes trajets et mes temps de boulot devant l’ordi. C’est de mon point de vue tout aussi bon que le premier, et pour autant ça ne fait pas répétition, il y a une vraie évolution. En particulier, je le trouve plus mélodieux, la dimension latino est plus sensible musicalement, ce qui renouvelle pas mal les rythmes et laisse plus de place aux cuivres, sans perdre la base hip-hip et dynamique. De la même manière, les parties chantées en espagnol s’aventure dans plus de variations et de jeux de voix, et plus j’écoute, plus ce sont des dimensions qui me plaisent. Avec ça, on garde bien sûr la même base, donc beaucoup d’énergie, un positionnement politique radical et populaire que j’aime beaucoup, de l’humour, de la tchatche, ça marche très très bien. Bon, ok, il y a une chanson que j’aime moins. Enfin, depuis que j’ai fait attention au détail des paroles, je l’aime quand même, mais moins. Presque un sans faute, donc, je vous le recommande très chaudement, comme le précédent, ça fait une bonne bande son pour militer avec le sourire.


Joué. Fast fouille. De Jack Degnan.

Allez, un jeu d’ambiance et de communication de plus. Avec une dimension bordélique que je ne trouve pas du tout désagréable. Le principe : une pile au centre de la table, avec 400 cartes sur lesquelles sont figurés des objets de tous types. Chacun-e pioche une carte lieu : derrière mon canapé, à l’université, chez ma grand-mère, etc. Et là, avec un temps très limité, on fouille dans le tas central pour trouver une série d’objets correspondant plus ou moins à notre lieu. Ceci fait, on passe à la phase où on va essayer de deviner, avec les objets et les lieux visibles (mais aussi d’autres lieux pour brouiller) : qui avait quel lieu. Une base de jeu de communication symbolique et de représentations, donc, avec des modalités de détail plutôt malines et ludiques, ce qui marche toujours très bien. Mais on y ajoute ici une dimension d’urgence et donc de bordel et d’approximation. Ce qui plaira à certain-e-s, parce que c’est du coup plus drôle, aléatoire et chaotique, mais beaucoup moins à d’autres, puisque c’est donc beaucoup moins fin en termes de communication et de représentations, et que ça laisse assez peu de place à la maitrise. Un hybride que je trouve personnellement assez sympathique, même si je trouve quand même la quantité de matériel un peu disproportionnée par rapport à l’intérêt fondamental du jeu (mais c’est aussi beaucoup mon côté animateur qui part avec ses jeux sur le dos qui parle, sur ce coup-là).


Joué. The Mind. De Wolfgang Warsch.

Plus qu’un jeu, une expérience. Un jeu de 100 cartes, numérotées de 1 à 100. On les mélange, on en distribue une par joueur-se, et, sans parler et même sans communiquer du tout, en jouant chacun-e quand on veut, on essaie de les jouer dans l’ordre croissant au milieu de la table. Et si ça marche, on recommence en distribuant deux cartes. Et ainsi de suite. Et certes, il y a trois détails de règles en plus, mais le principe est vraiment aussi simple que ça. Au point qu’on peut légitimement se demander si il y a vraiment là un jeu. Et, très clairement, il y a là un jeu, et un excellent jeu qui plus est. D’une part parce que c’est une expérience en soi de comprendre ce qui fait le jeu, et ensuite parce que c’en est une autre de tenter de le jouer vraiment. Donc, soyons clair : c’est un des jeux les plus étonnants que j’ai testé ces derniers temps, je vous encourage très fortement à l’essayer. Pour ceux et celles qui veulent en savoir plus, je vous explique ce qu’il ya derrière, mais si vous voulez profiter de la découverte, arrêtez votre lecture ici. Donc, au fond, c’est purement un jeu de rythme et de synchronisation. Au fil du jeu, on va commencer, intuitivement, à se caler sur le même rythme, à se laisser des intervalles cohérents avant de jouer, en incluant les particularités de celui ou celle qui a tendance à jouer plus vite… tout ça de manière très intuitive voire inconsciente, c’est ça qui en fait un expérience très particulière.


Joué. Texto. De Treo Games Designer.

Voilà un petit jeu qui ne faisait pas encore partie de mon stock professionnel, alors que franchement, il a tout pour y être à sa place. Expliqué en vingt secondes, joué en quelques minutes, pour un nombre de personnes sans vraiment de limites, c’est idéal pour faire un temps d’inclusion ou un jeu d’apéro. Bon, pour jouer vraiment, par contre, honnêtement, c’est tellement le service minimum que ça ne me motive pas beaucoup. Le principe : on pioche un thème, une lettre et il faut annoncer le premier un truc qui colle. Ok, il y a plus, il y a en fait trois lettres, et il faut bien choisir celle de la bonne couleur (la même couleur que le thème). Donc, oui, c’est le plus sobre possible pour un jeu de ce type, mais c’est tout à fait efficace. Juste, n’en attendez pas plus. Comme je disais, pour jouer, ça ne m’occupera pas longtemps, mais pour un mini-temps de jeu, on ne fait pas plus facile à lancer.