Chroniques révolutionnaires (encore), lutines et dérisoires.


Lu. Théorie générale de la révolution. De Michel Bakounine.

Quelle belle idée ont eu les nuits rouges de compiler et de structurer ainsi une partie des écrits de Bakounine ! Car autant il écrit bien et avec une pertinence frappante, autant il écrivait un peu en vrac et de manière très fragmentaire. Le travail fait ici est remarquable et aboutit à un bouquin dense mais ordonné de manière très agréable. Quant au contenu, c'est à lire d'urgence. Une première partie replaçant les idées libertaires dans le cadre de la philosophie matérialiste et de la pensée rationnelle et scientifique, qui ne passionnera pas tout le monde mais que j'ai trouvé splendide. Bakounine a un recul sur la place des sciences (de manière générale, et les sciences humaines en particulier) que je n'hésiterais pas à qualifier de visionnaire étant donné l'époque à laquelle il écrit. C'est d'ailleurs vrai pour le reste aussi tant ce qu'il à écrit il y maintenant 150 ans est toujours d'une actualité brulante. Seconde partie sur la notion d'état, qui est donc attaquée et dénoncée avec talent et clarté, vous ne serez pas surpris sur le fond mais la forme est encore une fois remarquable. Troisième partie contre le socialisme autoritaire et ses dérives à venir, où on parle notamment d'un certain Charles Marx (Bakounine écrivait en français). Et quatrième partie sur le socialisme libertaire et sa mise en oeuvre. Et sur l'ensemble, je ne peux m'empêcher d'admirer Bakounine, non seulement dans son positionnement, mais aussi énormément dans la clarté et la justesse de sa pensée, de son argumentation et de son écriture. Si vous êtes un tant soit peu sensible à la pensée libertaire, c'est à ne pas rater. Sinon, lisez-le quand même, ça ne pourra que vous faire du bien et vous donner une idée claire, voire lumineuse, de ce dont il s'agit. Un superbe travail de compilation d'un auteur incontournable donc.


Lu. Le Dernier Shogun. De Shiba Ryotaro.

Shiba Ryotaro est un auteur célèbre au Japon pour ses grandes fresques historiques, mais je le découvre avec ce roman. Il s'agit de la biographie romancée du dernier Shogun Tokugawa, celui qui donc a du faire face à la chute du Shogunat et la mise en place de la restauration Meiji. L'écriture est effectivement efficace et plutôt fluide et ne se perds pas dans les détails. L'histoire, elle, un peu plus. Non pas que l'auteur y soit pour quoi que ce soit, mais l'époque et le personnage sont particulièrement complexes et zigzagants. De fait, Yoshinobu n'était pas né pour devenir Shogun, il ne faisait pas partie de la bonne maison, et n'en avait pas non plus l'ambition (mais son père et un certain nombre d'autres si). Jeune homme brillant et prudent, il s'est trouvé poussé aux plus hautes responsabilités dans un contexte de luttes politiques et courtisanes qui laisse rêveur. De fait, ça se manoeuvre, contre-manoeuvre et manipule dans tous les sens, dans une période de plus particulièrement troublée, puisque le Shogunat s'affaiblit au profit de la cour de Kyoto et les américains, par le bras du Commandeur Perry, viennent imposer l'ouverture du pays. Au milieu de tout ça, Yoshinobu navigue comme il peut, avec une grande intelligence, et finit Shogun. Et, même si ses manoeuvres peuvent sembler un peu excessives, il réussit à démanteler le pouvoir shogunal en évitant la guerre civile autant que l'annexion du Japon par une puissance étrangère. Il sera conspué pour cela puis réhabilité bien plus tard. Il est assez passionnant de suivre le parcours d'un chef d'état qui n'est pas connu pour ses faits d'armes et conquêtes mais pour avoir su mettre fin de manière pacifique à un système politique tout entier. Un bon roman pour peu que vous vous intéressiez à ce genre de thèmes.


Lu. Guide des amours plurielles. De Françoise Simpère.

Je vous avais parlé il y a quelque temps de Ethical Slut, un livre anglais sur les relations amoureuses plurielles, il se trouve qu'un ouvrage sur le même thème et avec le même genre d'approche est sorti récemment en français, sous la plume de Françoise Simpère (dont le blog mérite d'ailleurs un coup d'oeil, soit dit en passant). On y retrouve globalement le même genre d'opinions et de conseils, même si j'avais trouvé Ethical Slut plus riche sur les questions de communication et d'appropriation de ses propres sentiments. L'intérêt supplémentaire par contre de celui-ci, outre un vocabulaire en français (et j'aime bien Lutin par exemple, de lutiner, je trouve ça assez joli, même si c'est nettement moins revendicatif et engagé que Slut, mais c'est un autre débat), est de donner sans doute bien plus d'exemples et d'être plus dans une logique de guide et de questions-réponses. C'est donc plus directement un guide pratique, et le fait que Françoise Simpère écrive depuis longtemps sur ce type de questions fait qu'elle dispose aussi de pas mal de correspondances et d'expériences racontées par ses lecteurs, ce qui est à la fois rassurant et enrichissant. Je dois avouer que le coté militant de Ethical Slut me manque un peu, ainsi que certaines connections avec d'autres contenus autour des manières de penser les relations et la communication, mais c'est tout de même très complet, et ça a l'avantage important d'être en français. Si, donc, ce type de questions et de modes de vie vous questionne ou vous tente, ça me semble une très bon ressource, voire un point d'entrée très enrichissant.


Lu. Encyclopédie du dérisoire, tome 4. De Bruno Léandri.

Bruno Léandri écrit de toute éternité des chroniques du dérisoire dans Fluide Glacial, soit une double page sur un thème en général anecdotique, souvent pointu et érudit, et toujours drôle et étonnant. J'ai rattrapé un peu mon retard avec ce quatrième tome, vert, mais le cinquième est déjà sorti. Pour les curieux de tout, c'est une source inépuisable de bonheur. Et quand je dis tout, c'est vraiment tout, des guerres idiotes d'Amérique du sud, aux bizarreries des hymnes nationaux, en passant par les vacances de Sartre ou les petits tracas du quotidien. Et en ce qui me concerne, je ne suis jamais déçu. En plus, ça se lit par petits morceaux, en picorant, puisque chaque article fait autour de quatre pages (avec des illustrations de l'auteur qui, malgré les années, ne dessine toujours pas mieux, mais ça fait partie du charme). Une vraie bible pour tout ceux qui s'émerveillent des petites incongruités du monde et qui aiment être perpétuellement surpris.


Joué. Robot Master. De Reiner Knizia.

On ne présente plus Reiner Knizia, un des auteurs de jeu les plus prolifiques qui soit. Il nous offre ici un tout petit jeu plutôt retors, édité chez Cocktail Games, vous savez, les petites boites en métal. C'est un jeu pour deux (avec une option pour quatre, mais ça ne me semble pas apporter grand chose), dans la famille des jeux de calcul et de réflexion où on cherche quand même surtout a piéger son adversaire avant, ou plus, qu'il ne nous piègera. Chacun son tour place un robot, soit une carte carrée ayant une valeur de 0 à 5, jusqu'à ce que soit composé un grand carré de 5 X 5 cartes. On compte alors les points, un joueur ayant les colonnes, l'autre les lignes (sachant que les cartes par deux ou par trois sur la même ligne colonne voient leur valeur multipliée par dix). Et que perds celui qui a la ligne/colonne de la plus basse valeur. Et oui, à l'usage, c'est assez retors, puisque toute carte posée compte à la fois pour vous et pour l'adversaire, mais pas de la même manière. Et comme ne compte au final que le total le plus faible, il s'agit de créer une ligne/colonne pour l'autre toute pourrie plus que de se faire des scores colossaux. Ce n'est pas révolutionnaire mais ça fonctionne bien et c'est assez dynamique. Un bon petit jeu pour deux joueurs qui aiment se prendre la tête en se faisant des crasses donc.