Chroniques lyonnaises, troublées et godzillesques.



Riche, pourquoi pas toi ? De Marion Montaigne, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot.

Coopération inattendue que cette BD, puisqu'elle est dessinée et scénarisée par Marion Montaigne (du blog Tu mourras moins bête, que je vous conseille par ailleurs largement en ce qui concerne les sciences en général) et qu'elle reprend une partie des travaux des Pinçon-Charlot, sociologues spécialisés dans les riches et auteurs des Ghettos du Gotta, du Président des Riches et de la Violence des Riches. Et c'est une vraie réussite. Marion Montaigne réussit à garder son ton et son humour, omniprésents et toujours aussi excellents, et à produire une version facile d'accès et très claire des bases du travail de sociologie des Pinçon-Charlot. Sous couvert d'une trame narrative rigolote : si on gagne au loto, est-ce qu'on fait pour autant parties des riches ?, on passe en revue ce que c'est que de faire partie des vrais riches, en tant que classe sociale. Et donc ce que ça implique de capital culturel, de réseau social et de mode de vie. Et on touche donc là au cœur de ce qui est décrit notamment dans les Ghettos du Gotta, et qui pour le coup a un sens politique important. C'est donc non seulement un vrai plaisir de lecture tout court, que je vous conseille déjà uniquement à ce titre, mais aussi un travail bienvenu, voire salutaire, de vulgarisation scientifique et politique. Je pense même que je vais m'en servir dans un cadre professionnel à un moment ou à un autre.


Le nom de Lyon, de Gilbert Vaudey.

Ce n'est pas, de loin, le premier livre que je lis sur la ville de Lyon, son histoire, ses rues et ses recoins. Mais c'est à la fois le premier qui est aussi personnel, et le premier qui est aussi bien écrit. Bien écrit, mais très écrit, pour commencer. C'est à dire qu'il s'agit vraiment d'une démarche littéraire, très travaillée, ce qui ne se lit donc pas forcément très rapidement ni d'une traite. C'est dense. D'émotions, d'idées, de formules. Et j'ai vraiment apprécié mais cela demande d'entrer dedans tranquillement et de le lire à son rythme. Et personnel, au sens où l'auteur raconte ses liens personnels avec la ville, dans laquelle il a grandi et dans laquelle il est revenu vivre. Il raconte son Lyon avant et comment il l'a vu changer et découvert changé à son retour. Et à travers ce prisme, il livre une masse d'informations plus directement historiques, sociales et factuelles sur la ville, ses quartiers et son passé. Et j'y ai trouvé d'une part des informations historiques que je n'avais pas trouvé ailleurs, mais surtout, et l'auteur étant professeur d'histoire, ce n'est pas complètement incroyable, des analyses plus transversales et plus subjectives sur ces éléments historiques et politiques. Et, bonus, Moi j'm'en fous je triche y est même évoqué, ce qui au-delà du plaisir personnel que j'y trouve, donne une idée d'à quel point cette évocation de Lyon est aussi actuelle et faite au fil de ballades à pieds dans ses rues, et pas forcément les plus touristiques. Une excellente lecture, pour ceux qui auraient envie à la fois d'une belle écriture et d'une découverte fine et détaillée de Lyon.


Sexe ! Le trouble du héros, d'Alexandre Mare.

Ok, le titre ne laisse pas indifférent, et le sous-titre intrigue. A raison, d'ailleurs. Et c'est bien un livre étrange, que je rangerais dans la catégorie des fantaisies érudites. En effet, l'auteur, à grands coups de références et d'analyses relevant de la psychanalyse, de la psychologie, de la littérature et de quelques autres champs, s'amuse à reconstruire ce que serait la psyché et en particulier les pulsions et pratiques sexuelles de héros emblématiques. Ce qui bien sur donne l'occasion de parler de la place de ces tendances dans l'imaginaire moderne et des questions qu'elles soulèvent selon leur acceptabilité ou non et ce qu'elles impliquent socialement. Et là, je pense que vous vous rendez compte que si effectivement l'intention est amusante, on est pas non plus dans du comique permanent au niveau de la forme. Oh, c'est amusant, et intriguant, et parfois drôle directement, mais ça demande quand même un minimum d'effort et de réflexion (et de références, et je ne les ai d'ailleurs pas vraiment toutes dans ce domaine). Je ne peux pas dire : ça a changé mon regard sur un certain nombre de héros, et ça m'a posé des questions beaucoup plus larges en termes d'imaginaire, et de la place accordée à la sexualité, de manière explicite ou non, dans les mythes et les grands récits de l'imaginaire (occidental pour le coup, mais ce serait donc intéressant d'avoir une comparaison avec d'autres civilisations). Et je pense que ça explique aussi la fascination que provoque certains héros. Une fantaisie érudite donc, pour ceux qui en aurotn envie.


A blink on the screen, de Terry Pratchett.

Faut-il vraiment que je vous fasse une fois de plus l'article de Terry Pratchett, de son talent et de tout le bien que j'en pense ? Je pense que non, je vais donc rester sobre et relativement factuel. A blink on the screen est donc un recueil de textes courts de Pratchett, regroupés enfin en un seul tome après des publications d'origine dans différentes compilations, journaux professionnels et amateurs, etc. Si j'en avais déjà lu une partie, c'était loin d'être le cas de tous, alors que je suis plutôt du genre à faire des efforts pour ce type de textes. Donc déjà, pour les vrais fans, c'est l'occasion de compléter votre collection. Ceci étant, ce sont surtout de bons textes. Bons tout court pour la plupart, dont ceux concernant le disque-monde, et en particulier le dernier sur Granny Weatherwax, avec un bonus pour le coté nostalgie et complément concernant des personnages aimés. Et pour les plus vieux, bons aussi pour ce qu'ils montrent de l'évolution de Pratchett depuis ces premiers textes (qui valaient déjà honnêtement le coup, et qui dessinent le début de ce qui fera sa force). Et comme chaque texte est précédé d'une petite introduction de l'auteur, l'impression est vraiment de parcourir ses archives en sa compagnie et c'est des plus agréable. Bien sur, c'est surtout un ouvrage qui plaira aux déjà fans, mais en même temps, ça peut aussi être un moyen de découvrir du Pratchett par petits bouts pour ceux qui ne connaissent pas encore.


Byzantium, de Judith Herrin.

Ce livre n'est pas, clairement, le premier que je lise sur l'histoire de l'Empire Byzantin, mais c'est, de bien loin, le meilleur. Aussi bien en termes de qualité d'écriture, que de facilité de lecture ou même de la qualité des contenus et la hauteur de vue. Ce qui n'est pas si étonnant pour le fond puisque l'auteure est une spécialiste renommée, mais qui l'est plus sur la forme puisque sont rares sont les scientifiques capables d'un travail de vulgarisation aussi efficace et agréable. Je trouve particulièrement impressionnant le fait de réussir à rendre compte d'analyses historiques aussi étendues et fines avec une narration vivante et pleine d'anecdotes amusantes. Autant les livres d'histoire byzantine que j'avais lu précédemment s'en tenaient à des descriptions narratives et parfois à des analyses thématiques, autant elles restaient assez plates et ne se permettient pas des analyses de grande portée. Là, si. Du coup, non seulement, on y aborde l'Empire Byzantin avec plus de variété, mais surtout on y découvre à quel point il a influé sur l'histoire de l'europe et du bassin méditerranéen pendant des siècles et donc conditionné un certain nombre d'aspects actuels de notre monde. La structure même de l'ensemble est admirable puisqu'elle respecte la chronologie mais en enchainant des chapitres thématiques avec chacun sa narration et ses anecotes. Non, vraiment, si il y a un bouquin sur Byzance à recommander, c'est celui-là. Et si vous connaissez déjà un peu le sujet, c'est juste un bonheur de le reprendre aussi bien et de l'approfondir comme ça.


Joué. Rampage, de Antoine Bauza et Ludovic Maublanc.

Rampage est un vrai jeu pour rigoler bêtement, puisqu'il va s'agir de piétonner une ville dans la peau d'un monstre géant, et d'en avaler goulument les habitants qui fuient en hurlant dans les rues. Fans de Godzilla, vous voilà déjà convaincus, et vous faites bien. Pour les autres, je continue quand même. Donc : chacun son monstre, mais pas pour un jeu de plateau abstrait. De fait, la ville est construite en volume, avec des immeubles qui vont vraiment d'écrouler et des pions (des meeples pour ceux quiconnaissent) habitants de toutes les couleurs représentants les héros, les blondes, les militaires, journalistes, personnes agées et businessmen, ainsi que quelques véhicules à projeter sur les immeubles et ses petits camarades. C'est donc un jeu d'adresse pour une grande part : pichenettes, souffle atomique, saut sur les immeubles et lancer de minibus. Mais un jeu d'adresse avec suffisamment de finesse dans les objectifs et pouvoirs de chaque joueur pour en faire également un vrai jeu tactique. Un mélange tout à fait réussi donc d'un point de vue plaisir de jeu, avec un thème qui, honnêtement, ne peut que plaire, et un magnifique matériel qui donne à lui seul envie de jouer. Bon, comme il y a du matériel, c'est une grosse boite et du coup un peu cher. Mais il faut au moins l'essayer, franchement.


Joué. Quantum d'Eric Zimmerman.

Quantum est un beau jeu, un jeu sobre et efficace. C'est un gros jeu thématiquement, de science-fiction dans lequel chacun va partir à la conquête de la galaxie en développant sa flotte, conquérant des planètes et améliorant ses technologies. Rien de très original jusque là, même si la thématique « quantique » est bien mise en avant dans la dimensions narrative. Et cette excuse quantique va permettre de justifier des mécanismes de jeu inattendus et accélérant grandement ce qu'on attendrais de ce type de jeu : les vaisseaux se transforment instantanément, reviennent en jeu immédiatement après avoir été détruit, ce genre de choses. Conjugué au fait qu'on joue jusqu'à ce qu'un joueur pose ses cinq cubes quantiques, ce qui évite de tourner en rond ou de s'éterniser puisqu'un cube posé ne peut être perdu. Donc : ça va vite, et ce avec des mécanismes très malins et efficaces, et globalement faciles à mémoriser (mais permettant des finesses non-négligeables une fois pris en main). Par contre, et ça ne plaira pas à tout le monde, c'est du coup un jeu nettement agressif, dans lequel il faut rentrer dans les autres joueurs fréquemment. Et c'est une habitude qui a été perdue dans beaucoup de jeux, mais je trouve ça très bienvenu ici, d'autant qu'on ne fait que retarder les autres joueurs, on ne leur fait pas perdre ce qu'ils ont déjà acquis, ce qui évite des déséquilibres ou des frustrations trop cruelles. Quantum est donc un jeu au format particulier, mais vraiment très réussi dans sa catégorie, et mérite un essai.