Chroniques couillues, éducatives et écoféministes


Lu. Les couilles sur la table, de Victoire Tuaillon. 

Je vous avais fait il y a quelques temps la pub de "Nous, Les mecs" comme point d'entrée vulgarisé sur la question de la masculinité. Malgré certaines réserves, parce que je n'avais rien d'autre sur ce créneau. Bon voilà, ça y est : plus, mieux, à tous points de vue, je suis bien content et bien séduit. D'une part, c'est un livre agréable à lire, voire drôle (le titre le laisse deviner), et très efficace question vulgarisation : des chapitres thématiques percutants, efficaces et documentés qui ne font l'impasse sur aucune question importante. Donc à mettre entre toutes les mains, déjà. Mais ce n'est pas tout, c'est aussi une mine de références et d'informations. Parce que c'est écrit sur la base d'un énorme travail d'entretiens au format podcast par l’autrice. Et elle a donné la parole à des personnes très compétentes, et a su en tirer l'essentiel avec clarté. Derrière chaque chapitre, il y a donc d'excellentes références de bouquins mais aussi des heures de podcast passionnants. C'est donc un excellent bouquin pour servir de point d'entrée dans la question des masculinités mais en plus il fournit de quoi aller tout de suite plus loin dans un format également agréable et accessible. Moi je dis : bravo ! Et je dis : lisez-le. Et je dis aussi : où est-ce que je vais trouver le temps d'écouter tous ces podcasts...

Les podcasts donc : https://www.binge.audio/category/les-couilles-sur-la-table/


Lu. The two of swords (trois volumes), de K-J. Parker.

K. J. Parker m'a suffisamment intrigué pour que je me lance dans une vraie grande trilogie. Et cette trilogie me confirme que Parker aime expérimenter et sortir des sentiers battus, qu'il a un univers étonnant et profond et qu'il écrit de manière efficace et agréable. En termes d'expérimentation, il y a dans cette trilogie deux aspects qui m'ont marqué. Le premier, c'est que chaque chapitre suit un personnage. Et que ce personnage en croise un autre en fin de chapitre et c’est celui-ci qu'on suif dans le prochain (passe le fil narratif à ton voisin ou ta voisine donc). Qui part éventuellement dans une direction très différente. Ce qui peut avoir des aspects frustrants (dans mon cas surtout dans le second tome, qui reste éloigné des personnages auxquels je m'étais attaché (mais ils reviennent en face dans le troisième, ça va)) mais qui fonctionne très bien et est assez ludique. Et si ça fonctionne si bien, c'est en bonne partie du fait de l'autre grosse expérimentation : le scénario de fond est de très grande ampleur mais il est raconté depuis les marges et les arrière-cours, rarement par les événements que l'Histoire jugerait centraux. Ce qui est à la fois malin en termes de point de vue narratif mais aussi dans l'idée que ça véhicule de comment se jouent et se vivent les périodes de grands changements. Accessoirement, sans spoiler, je suis justement très séduit et très étonné du point d'arrivée, qui est très questionnant et très loin des clichés héroïques ou historiques qu'on voit trop souvent. Je dis historique parce que c'est un monde fictif mais ouvertement calqué sur l'histoire européenne, avec toutes les richesses et les clins d'œil que ça permet. Et avec pas mal de morceaux byzantins, ce que j'aime toujours autant. Et dans celui-ci aussi des échos égyptiens (comme province impériale) et franc-maçons. Pour emmener tout ça, Parker use d'une écriture compacte et vive, qui ne traîne pas et qui pourtant permet de développer des personnages profonds et complexes (féminins, notamment, et loin des stéréotypes, à tous points de vue). C’est au total du vraiment bon boulot et qui laisse une impression forte (et des questions morales).


Lu. Bartinaeus, the amulet of Samarkand, de Johnathan Stroud.

Il est parfois bon de trouver des livres de pure distraction, un peu roudoudous. Et on en trouve parfois de très agréables en littérature de jeunes adultes, comme Harry Potter. Et la comparaison n'est pas indue : un monde avec des magiciens, plus ou moins contemporain, et un héros ado qui va commencer son apprentissage. Sauf que les magiciens existent au grand jour depuis un moment et ont pris le contrôle exclusif de l'Empire Britannique qui domine pas mal le monde du coup. Ce qui fait que les magiciens sont donc une aristocratie tyrannique et très méprisante. Avec un jeune héros trop content d'en être et de s'en gonfler l'égo, ça laisse présager une évolution intéressante et maline psychologiquement et politiquement (mais ce n'est qu'esquissé dans ce premier tome, juste assez pour être sûr, en lecteur adulte, qu'on ira là à terme). Autre particularité : les magiciens tirent l'essentiel de leurs pouvoirs de l'invocation de djinns (et affiliés), qui sont taquins, dangereux et d'assez mauvaise volonté (donc pointilleux sur la formulation des ordres (parce qu’être réduit en esclavage rend moins coopératif)). Or donc notre personnage principal et narrateur est Bartimaeus, un djinn à grande bouche cynique et malin, invoqué par un tout jeune magicien. Et il commente, fait du mauvais esprit et des notes de bas de page, ce qui rend la lecture amusante et pas du tout premier degré. Sur cette base, on a un bon scénario mené tambour battant avec son lot de rebondissements. Comme je disais, une très plaisante distraction pour une lecteurice adulte, et probablement un total succès pour ado. 


Lu. Fall, de Neal Stephenson.

Je lis ce qu'écrit Stephenson systématiquement, et je continuerai à le faire, mais je dois bien avouer que ce dernier (gros) roman me laisse une impression tout à fait mitigée. En fait, j'ai trouvé la première moitié brillante et très bien écrite et construite, et la seconde progressivement de plus en plus répétitive et décevante. Surtout en termes de construction narrative. Je vais spoiler un peu pour en dire plus, vous êtes prévenu-es. Le point de départ du scénario : un billionnaire du jeu vidéo se retrouve dans un coma irréversible, plus ou moins demain. Et il a rédigé quelques années auparavant un testament demandant à ce que tout soit mis en œuvre pour transférer son cerveau en digital et idéalement le rebooter. Et la technologie est balbutiante mais c'est jouable, surtout avec les moyens considérables qu'il laisse. Toute la première partie est donc plutôt techno-thriller autour de ce sujet, avec de larges détours. Et Stephenson est absolument brillant dans ce registre. Avec qui plus est une écriture maîtrisée, compacte et pleine de finesses et d'émotions, meilleure que dans mes souvenirs. Ensuite, on alterne entre l'au-delà numérique dans ses balbutiements (ce qui permet une exploration et des jeux de références sur les mythologies de la genèse); et les conséquences dans le monde réel. Là encore, ça fonctionne très bien et c'est riche d'idées et de personnages inattendu-es. Mais après ça, sur la (longue) dernière partie, je n'y ai pas trouvé mon compte : tout se passe dans l'au-delà numérique et donc dans des mythologies med-fan. Ce qui n'est pas inintéressant mais ça reste assez cliché et avec peu d'enjeux ou de profondeur. Enfin, si ça se trouve, si, mais tellement dans des références subtiles que je ne l'ai pas saisi. Du coup, on finit sur du (presque) pur mythologique, genre grande quête médiévale-fantastique. Et je trouve ça décevant. Même si on peut dire qu'il y a un bout de pirouette conclusive pour dire que c'est cohérent avec le propos, je trouve ça décevant d'un point de vue narratif, surtout vu la longueur. Plus court, j'aurais apprécié la pirouette et le bottage en touche, là je trouve que c’est un peu trop en roue libre.


Lu. Boite à outils d'éducation active, CEMEA Pays de Loire.

Parlons boulot, parlons technique : on a toutes et tous en animation plus ou moins des tas d'outils, plus ou moins centralisés et plus ou moins formalisés. En pratique, c'est rarement un problème sauf quand on veut trouver un nouvel outil ou, pire, donner en formation une référence un peu complète et propre de boîte à outils. Mais les CEMEA pays de Loire arrivent avec ce bouquin qui répond parfaitement à mes besoins d'animateur comme de formateur. On y trouve donc beaucoup d'outils, présentés succinctement et clairement et qui plus est avec un décryptage, certes rapide, mais empreint d'un esprit éducation active / éducation populaire qui me convient parfaitement. Qui plus est, les outils sont classés par types d’usages et d'intentions, ce qui correspond bien à ma pratique, et surtout sans oublier les aspects analyse collective, délibération et recherches de solution. En d'autres termes : il n'y a pas que des brise-glace, le panel est équilibré et complet. Au final, aujourd’hui, je n'ai pas mieux à conseiller comme boîte à outils d'animation en un seul recueil. Donc, oui, à mettre dans vos biblios de référence pour l'animation.

(Et je me rends compte qu’il est hyper-difficile à trouver en termes de distribution, donc soit le site des CEMEA Pays de Loire, soit la très bonne librairie Terre des Livres à Lyon).


Lu. The Penelopiad, de Margaret Atwood. 

Vous avez toutes et tous plus ou moins entendu parler d'Ulysse et de l'Odyssée, et de son retour auprès de sa femme restée fidèle malgré les assauts des prétendants (et de la pendaison des dix servantes pour les plus érudit-es). Mais qu'est-il arrivé à Pénélope pendant ces longues années, puis lors du retour d'Ulysse, puis après ? Quelle est l'histoire de Pénélope et de ses servantes ? C'est à cette question que répond ici Margaret Atwood. Avec finesse et dans une ambiance tout à fait poétique et mythologique. La vie et la psychologie de Pénélope sont à la fois crédibles et déprimantes. Déprimantes parce que la vie de princesse grecque, question émancipation, c'est pas fou. Mais ce n'est rien comparé à celle des servantes. Qui servent de contrepoint, en chanson, au point de vue de Pénélope. Ce qui donne une touche inattendue et un rythme amusant. Même si le contenu n'est pas drôle, la forme est plaisante. Et le propos agréablement ambigu et troublant. Une chouette réponse féminine à l'Odyssée. 


Lu. Françoise d’Eaubonne et l'éco féminisme, de Caroline Goldblum.

Ça faisait un moment que je voulais m'intéresser un peu plus à l’écoféminisme, et cette nouvelle collection de petits livres de vulgarisation m'a permis de le faire facilement et agréablement. Et m'a permis surtout de découvrir Françoise d’Eaubonne (qui la première proposé le terme écoféminisme donc) et c’est une sacrée personnage. Parce que l'ouvrage raconte autant sa biographie que la naissance de l’éco féminisme). Et sa biographie est tout à fait étonnante et impressionnante. Tout comme sa bibliographie, pléthorique et mélant essais militants et de réflexion, romans classiques et même de la science-fiction (éco féministe, des années 70, autant vous dire que ça me rend sacrément curieux). Et son investissement militant est du même acabit : féministe, écolo, anti-homophobie (elle est une des égéries du FHAR), et toujours dans une veine résolument radicale et offensive. Ce qui fait que déjà je trouve ça un peu fou de ne la découvrir que maintenant. Et si on garde son caractère de pionnière de la réflexion éco-féministe (avec une analyse très claire de l'opposition au système patriarcal et capitaliste, dénominateur commun de l’oppression et exploitation des femmes comme de la nature) c’est d’autant plus utile de la (re) découvrir (sachant qu'il y a des pays où elle n'a pas été oubliée, heureusement). C'est donc un petit ouvrage qui fait très bien son boulot de découverte et de vulgarisation sur un personnage et des idées que je suis vraiment heureux de toucher mieux du doigt.


Vu. The Good Place, jusqu'à la fin, de Michael Schur.

The Good Place, c'est une sitcom sur la philosophie morale, avec comme cadre l’au-delà. C'est très drôle, parce que très bien joué et très très bien écrit (par Michael Schur, dont je suis fan notamment pour Parks and Recreations), mais pas du tout dépourvu de fond. Après une première saison brillante, les questions étaient forcément : est-ce possible de relancer pour plusieurs saisons ? Et est-ce possible d'arriver à une conclusion satisfaisante vu l'ampleur du thème ? A la première question, je répondrais oui pour chacune des quatre saisons. De manière efficace et différente à chaque fois. Et même quand le fil rouge est un peu moins bon, la qualité de l'écriture et des épisodes fait que ça fonctionne vraiment bien. Quant à la seconde question, maintenant arrivé-es à l'issue de la quatrième et dernière saison, je peux dire oui également. Avec de vrais moments émouvants, des personnages toujours drôles (voire très drôle, spéciale dédicace à la Juge Ultime de l'Univers), des messages politiques et philosophiques engagés et engageants et une très jolie et humaine manière de terminer. Oui, on ne pleure pas que de rire. Et si les deux derniers épisodes sont plus lents, c'est aussi pour prendre le temps de se quitter à la fin de cette très belle série qui réussit un équilibre inédit entre philosophie et comédie. 


Joué. Le savoir-vivre à la française. Cartes en main. Edité par l’Abbaye Ste Madeleine du Barroux.

Je fréquente trop rarement les vraies librairies catholiques de ma ville : la visite m'en réjouit toujours grandement, et j'y trouve parfois quelques pépites. Dont celle-ci : un jeu pédagogique pour apprendre les bonnes manières. Traditionnelles. Très. À la française. Pas qu'un peu. Question jeu, passons rapidement, c'est le niveau zéro, c'est un quizz. Avec un design suranné que je trouve par contre parfaitement adapté. Non, l'intérêt, comme attendu, c'est le contenu, avec 4 catégories : la table, la tenue, la langue française et Nec plus ultra. Et donc les vraies manières de faire de la bonne société, jusque dans les détails absurdes (en particulier pour la partie Nec plus ultra, qui fait un peu fonction de best of). Il n’y a que la catégorie Langue qui est décevante, c'est un peu le Bescherelle sans plus. C'est un jeu qui va me faire un magnifique support pour parler de culture de classe de manière concrète. En croisant aussi bien sur avec les questions de sexisme (parce qu’il y a une belle série sur l'homme et la femme) et de racisme (comment traiter les étrangers ? Avec courtoisie. Mais ce sont des étrangers). Bref, je ne le conseille à personne mais j'en suis ravi.