Chroniques impériales, désirantes et communardes


Lu (BD). L’Empire, une histoire politique du christianisme, d'Olivier Bobineau et Pascal Magnat.

En voilà une BD inattendue, par le format comme par le contenu, mais surtout, en voilà une BD qui m’a passionné et dont j’ai envie de faire la pub ! L’Empire, c’est le premier tome de ce qui est annoncé comme une série de trois, et qui est une adaptation en format dessinée d’un gros ouvrage de recherche du CNRS sur l’histoire de l’Eglise catholique et ses liens avec la construction politique de l’Europe (voire un peu plus, mais surtout l’Europe). Alors oui, il faut s’intéresser au thème. En ce qui me concerne, c’était gagné d’avance, ça fait clairement partie des sujets historiques qui me passionnent. C’est, vous vous en doutez, un gros morceau. Parce que du contenu, il y a en a un paquet : origines du christianisme avec Jésus et son contexte historique, puis premiers siècles de l’église, oppositions entre orient et occident, naissance de l’Islam, naissance de l’Empire Carolingien, émergences des grands mouvements monastiques et reformateurs. Ce qui, en un tome, même épais, donne de quoi se nourrir. Mais tout celà est bien découpé, et bien illustré, et superbement éclairant en termes de lecture historique et sociologique. Alors, ce n’est pas léger, c’est de la vulgarisation solide et dense, mais agréable à lire, par morceaux, et avec le sourire parce qu’il y a quand même pas mal d’humour. J’aime beaucoup le propos, et l’intelligence de l’analyse historique et de la mise en contexte, qui fait notamment que c’est excessivement pertinent pour comprendre où on en est aujourd’hui culturellement. J’aime assez le dessin, sans qu’il soit exceptionnel, et je regrette juste que tout ne soit pas entièrement en couleur (enfin, surtout le début). Au final, ça joue à mon sens le rôle d’un vrai livre sur le sujet, mais d’un accès beaucoup plus facile et agréable, donc j’attends avec impatience la suite et je vous recommande de tester celui-ci si le sujet vous intrigue au moins un peu.


Lu. Among others, de Jo Walton.

Je n’en suis qu’au début de ma découverte des oeuvres de Jo Walton, et je commence par ceux dont tout le monde dit du bien, ce qui fait que je suis assez impressionné. Among others est un roman étonnant, très fin, tout à fait dans la lignée de My real children. C’est du fantastique, quasi-contemporain, mais le fantastique sert finalement de moteur, d’excuse, de couleur, pour un roman qui est un roman d’apprentissage adolescent extrêmement touchant et délicat. Et un roman de geek, de fan de science-fiction. En effet, l’héroïne est une jeune galloise envoyée dans une école anglaise de la haute société, dans laquelle elle ne s’intègre pas du tout, du fait à la fois d’un handicap physique, et d’une sociabilité de geek fan de livres de science-fiction. Et avec ça, il y a de la magie. Mais au final, c’est de la magie qui parle surtout de relations familiales et de rapport à la réalité, à la sortie de l’enfance justement, et pas tellement de la magie pour de la magie pour faire des jolies couleurs et faire rêver de pouvoirs cosmiques. Et tant mieux, dirais-je, tant Jo Walton fait de belles choses émouvantes avec ce parti-pris. Pour moi, ça rentre vraiment dans cette catégorie qui fait toute la grandeur de la SF, voire du fantastique (mais c’est plus rare) : utiliser une excuse fantastique pour réussir avec légèreté un roman très profond et très fin. Et très émouvant. Accessoirement, en bonus, ça donne envie de reprendre tous les classiques de la SF mentionnés dans le livre (mais, et c’est mon seul reproche : il n’y a pas de bibliographie à la fin alors que franchement, j’aurais trouvé ça très utile). Bref, un autre magnifique roman de Jo Walton, que je vous recommande sans la moindre hésitation.


Lu. Capitalisme, désir et servitude, de Frédéric Lordon.

C’est le premier livre de Frédéric Lordon dans lequel je me lance, et je me dis que c’est un tort, j’aurais du. Car Frédéric Lordon parle de choses qui me passionnent, avec une analyse très puissante et très construite (un vrai travail de chercheur quoi) et une forme que je trouve très facilement compréhensible et lisible, ce qui est toujours un équilibre difficile à trouver. Ici, Frédéric Lordon part d’un questionnement sur les stratégies actuelles des grandes entreprises capitalistes destinées à obtenir l’adhésion plein des salariés et, mieux, leur enthousiasme. Il éclaire ce questionnement avec une analyse de la colinéarisation des désirs, ce qui semble bizarre mais est passionnant et clair, et sur la philosophie des affects de Spinoza. Et je peux dire que comme résumé accessible de Spinoza et de la pertinence aujourd’hui de cette grille de lecture, c’est brillant (et je dis ça aussi parce que j’avais essayé Spinoza Mais la forme m’avait vraiment repoussé). Le mélange des deux permet un décryptage des enjeux politiques actuels dans l’image et les stratégies du capitalisme (dans la droite lignée des réflexions de Boltanski), avec l’intelligence de poser ces questions en termes d’affects et pas de jugements moraux plus difficilement tenables dans une analyse fine et honnête. Mieux que ça même : tout ça apporte un élairage large des stratégies et enjeux d’un fonctionnement collectif tout court. De fait, cette grille de lecture des désirs et désirs-maitres et des modes d’accord dans la construction d’un collectif est puissante et pose des questions que je trouve très riches, pour ma pratique professionnelle mais bien au-delà. J’ajoute ça à ma bibliothèque recommandée sur le champ politique et collectif, et je mettrais un jour mes notes de lecture en ordre pour ceux qui voudraient en profiter.


Lu (BD). Les cahiers japonais, un voyage dans l’empire des signes, de Igort

Plus qu’une BD, il s’agit de carnets dessinés, de cahiers donc, d’un dessinateur de BD qui a vsiité le Japon à plusieurs reprises, s’est passionné pour et y a finalement travaillé assez longuement. Autant dire que c’est un bon bouquin pour les fans de Japon qui connaissent déjà un peu le pays, voire qui ont quelques références question culture et littérature japonaise. Enfin, ce n’est pas obligatoire, mais je pense que sans repères, ce n’est pas forcément si simple que ça de faire le lien entre les différents morceaux, vignettes, récits historiques et récits autobiographiques. Parce qu’il y a tout ça, mélé de manière poétique et agréable, avec un semblant de chronologie mais ce n’est pas si important. Et Igort connait le Japon, mais surtout l’a vécu, ce qui donne une épaisseur et une émotion à ce qu’il raconte. J’aime aussi bien le dessin, qui change beaucoup d’une partie à l’autre. Il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer au trait mais vu la taille de l’ouvrage, ce n’était en rien un problème, et j’ai beaucoup aimé les reproductions de dessins historiques de différentes sortes, les photos complétées et commentées, et globalement la dimension documentaire et pas seulement narrative de l’ensemble. C'est donc un ouvrage dans lequel il est agréable de déambuler et de découvrir, sans en attendre une histoire ou un fil conducteur important. Pour les amateurs de Japon, c'est un vrai bon choix.


Lu (BD). Communardes : Les éléphants rouges et L'aristocrate fantôme.

Communardes, c’est une série de BDs qui ne se suivent pas, avec des dessinateurs différents, mais un scénariste et un thème identiques. Le thème : les femmes dans la commune de Paris, donc forcément ça me parle, et le scénariste : Lupano, excellent sur les vieux fourneaux (et quelques autres d’ailleurs). Sur cette base, on a donc pour commencer deux BDs assez différentes. L’une, les éléphants rouges, s’intéresse au siège de Paris par le petit bout de la lorgnette : une petite fille fan des éléphants du zoo de vincennes, et sa bande. C’est touchant, très bien vu sur les conditions de vie populaires et les difficultés du siège, souvent drôle mais surtout assez triste au final. Globalement très réussi, j’ai vraiment aimé (et pour le coté triste, honnêtement, à partir du moment où on parle de la commune de Paris…). L’autre, l’Aristocrate fantôme, se déroule bien plus au coeur des événements, avec une aristocrate russe tentant d’organiser des comités de femmes pour se battre et s’attaquer à la vraie racine du déséquilibre des forces : la Banque de France. C’est plus classique comme approche mais c’est joliment tourné, et très pertinent politiquement. Et, là aussi, ça se finit de manière triste, on y coupe pas. Globalement, deux BDs que je trouve bonnes et agréables mais qui ne se hissent pas au niveau des vieux fourneaux, ce qu’on peut difficilement leur reprocher mais qui reste un peu regrettable.


Lu. Looking for Jake, de China Miéville.

Je ne suis pas très fan de nouvelles et de formats courts habituellement, mais je suis tellement fan de China Miéville que je me suis lancé dans ce premier recueil de ses formats courts. Et j’ai bien fait, parce que Miéville réussit systématiquement quelque chose que je trouve souvent faillible dans des formats courts : poser tout de suite une ambiance et un ton dans lesquels on plonge. Les nouvelles sont variées en termes de sujet et de rythme, et de taille aussi d’ailleurs, mais sont globalement toutes dans une veine très typique de China Miéville, mélant des ambiances urbaines sombres, des menaces venues d’autres dimensions (et autres monstres des coulisses du monde) et un regard social aiguisé. Certaines m’ont vraiment marqué, en particulier la dernière, The Tain, dont j’en suis même venu à regretter que ça ne soit pas devenu un roman entier (l’idée est relativement connue, mais l’interprétation de Miéville est parfaitement dérangeante et inattendue). Globalement, pas grosse surprise, donc, c’est juste du bon boulot. Si vous aimez les nouvelles et que vous voulez découvrir Miéville, ça peut faire un bon point d’entrée par exemple.


Lu. L’aurochs rouge,

M’offrir des livres que je n’ai pas lu n’est pas toujours facile, ma petite soeur a donc trouvé un auteur local auto-édité pour mon cadeau de Noël, histoire d’être sûre (Merci Marion :). C’est du médiéval-fantastique, pas terriblement original, mais qui a réussi à me tenir tout le long sans grande difficulté malgré tout, ce qui n’est pas négligeable. Globalement, c’est un univers assez classique, avec un royaume unifiant des maisons différentes, une menace barbare venue du Nord, et un ordre de templiers élémentaires mystiques. Une partie de la construction du monde est un peu trop schématique pour me convaincre complètement, un peu trop propre et systématique (un peu background de jeu de rôle, quoi), mais il y aussi quelques idées et formes amusantes, en premier lieu les barbares, qu’on appelle gueules parce qu’ils se battent avec des masques de gueules d’animaux. Et dans tout ça, sans surprise, les barbares reviennent à l’assaut, les nobles s’entredéchirent et ne se fédèrent pas, quelques jeunes se rendent compte qu’il se passe quelque chose de plus mystérieux que d’habitude… et malheureusement, et c’est au final mon principal reproche, on n’avance pas tant que ça dans ce premier tome. Pour un format classique, ça fonctionne plutôt bien, moyennant certaines maladresses et facilités, mais ce n’est quasiment qu’une mise en place pour une suite qui se voudra sans doute plus épique et plus mouvementée. Je l’ai lu de manière plutôt plaisante, sans me trouver bloqué par les défauts mentionnés, mais j’en sors un peu frustré, j’aurais aimé que ça avance plus, que ça prenne plus de risques.