Chroniques dragonnesques, immigrées et libertaires.



Lu. Rule 34, de Charles Stross.

Décidément, plus je lis Stross et plus j'apprécie. Je pense aussi qu'il va en s'améliorant. Jusque là, mon préféré était Halting State, et en voilà la suite, qui ne démérite pas, même si l'effet de surprise est pour le coup passé. On retrouve donc certains personnages, mais surtout le cadre futuriste proche et écossais, et le style de narration. En effet, la narration se fait toujours à la seconde personne du singulier, c'est à dire comme un manuel informatique, en s'adressant au lecteur comme s'il était le personnage, et ce en changeant de personnage principal de chapitre en chapitre. Et, comme l'avait prouvé le tome précédent, ça fonctionne. Je dirais même que ça fonctionne extrêmement bien : c'est très prenant et encore plus vif et drôle que du Stross habituel (ce qui est vraiment beaucoup pour le coup). Ne serait-ce que pour ça, je recommande cette série, en fait, même si je ne sais comment un tel style survivra à la traduction... Au-delà du style et de l'agrément de lecture, il y a un vrai scénario, touffu et complexe, d'anticipation informatico-policière et géopolitique, qui est très documenté et malheureusement raisonnablement réaliste pour une grande partie. Bien écrit, plein d'idées inédites, avec un vrai scénario, c'est du Stross et je le recommande à nouveau sans hésiter.


Lu. A dance with dragons, de George R. R. Martin.

Me voici donc au bout de ce cinquième tome du Trône de Fer (A song of ice and fire, en VO, ce qui a de plus en plus de sens par ailleurs), avec des sentiments partagés. Il est indiscutable que George Martin sait écrire, construire des personnages et des rebondissements, et la lecture de ce tome en est de fait, comme pour les précédents, agréable et prenante. C'est une lecture dense, cependant, et dont la fluidité est discutable pour les deux premiers tiers. En effet, les deux premiers tiers reprennent la structure du tome précédent : on suit quatre ou cinq personnages seulement, et alternativement. Ce qui fonctionne, certes, mais surtout parce que ce sont des personnages attachants, Tyrion en particulier, mais Jon Snow également (et Daenerys, égale à elle-même), car on peut largement leur reprocher de ne pas avancer des masses. Le dernier tiers rattrape le tome précédent et on retrouve donc tout le monde, et une intrigue qui se remet à avancer un peu. Oui, un peu seulement, et c'est ce qui me frustre le plus au final : on avance un peu sur la fin, mais sans que rien de ne débloque complètement. En fait, tout est en place pour la suite, avec des personnages (re)-construits et (re)-placés dans des situations porteuses, donc il se passera certainement plein de choses. Mais du coup, deux gros tomes juste pour passer d'une situation finale à une situation initiale bien calée mais pas tellement bouleversée, c'est quand même sacrément long à mon goût. Ce qui ne m'empêchera pas de lire la suite dès qu'elle sortira, hein, je suis pas comme ça...


Lu. Les Mohamed, de Jérôme Ruillier, d'après Yamina Benguigui.

Les Mohamed est une mise en bande dessinée de l'ouvrage de Yamina Benguigui intitulé « Mémoires d'immigrés » et c'est une vraie réussite. Comme pour le livre d'origine, il s'agit de donner la parole aux immigrés nord-africains, à la première génération venue pour répondre aux besoins de l'industrie française, automobile et bâtiment en premier lieu. Ceux qu'on a parqué dans des bidonvilles avant de les déplacer dans des foyers sonacotra ou des HLMs dans le meilleur des cas. Donc non, ce n'est globalement pas très réjouissant de voir ce qu'ils ont subi. Mais c'est aussi très touchant et très fort de découvrir ces parcours individuels, ces souffrances certes, mais aussi ces convictions, ces rêves, ce courage. Parfois aussi, la bonté de certaines personnes qui ont voulu les accueillir vraiment, plutôt que des parquer et de les garder à l'écart. Bref, pour ce qui est du fond, c'est un travail de mémoire essentiel et marquant, qui devrait être diffusé le plus largement possible. Et c'est là que la forme BD me semble particulièrement pertinente : rien de la force du propos n'est perdu, mais c'est pour le coup facile d'accès et extrêmement facile à lire. Le dessin est simple mais doux et facile, et rappelle Maus dans le choix des visages animaux. Accessoirement, les petites notes ajoutées par l'auteur, et établissant quelques parallèles avec sa vie et la place de son enfant trisomique ajoutent encore un petit peu d'humanité et de sensibilité à l'ensemble, qui n'en avait pourtant pas besoin. A lire absolument donc, et à faire circuler.


Visité. Maya, un exposition du Quai Branly.

On peut reprocher plein de choses au musée du Quai Branly, ce que je ferais éventuellement lors d'une prochaine occasion, mais pas de manquer de moyens. C'est évident pour cette exposition temporaire mise en œuvre avec les autorités guatémaltèques, des spécialistes internationaux et des collections qui n'avaient jusque là jamais quitté leur pays d'origine. Donc oui, pour ce qui est des objets présentés, c'est très impressionnant : poteries peintes avec un luxe de détail et dans un état de conservation parfait, sculptures de calendriers, bijoux exceptionnels, etc. Des objets que je n'avais jamais vu en vrai, mais dont, pour certains, je ne savais même pas qu'il y en avait encore dans un tel état de conservation ou qu'il en ait jamais existé. Pour ce qui est de la scénographie, par contre, rien de très exceptionnel, et, j'irais même plus loin, des choix qui ne me convainquent pas tellement, comme souvent à Branly : peu d'explications, peu de détails sur le contexte, on est là pour admirer les objets en priorité , pas pour comprendre. Cela n'empêche pas qu'il y ait des choses tout à fait passionnantes, notamment sur les fouilles actuelles au fond de la jungle et le peu d'évocation de la chute des empires mayas et de ses causes politiques et économiques. J'aurais apprécié que le contenu soit aussi complet et bien amené que les objets étaient remarquables, mais malgré ça, c'est une exposition qui mérite quelques heures.


Visité et Lu. Brassens, ou la liberté, à la Cité de la Musique.

L'affiche et le titre font carrément envie, non ? Le fait qu'une exposition, accompagnée d'un gros livre-catalogue sur Brassens, sa vie, son œuvre, il était plus que temps. C'est donc chose faite et je suis plutôt séduit par le résultat, même si je préfère de très loin le livre. Les deux sont structurés plus ou moins de la même manière, c'est-à-dire sur des lignes globalement chronologiques, avec une partie centrale concernant les valeurs et les thèmes récurrents, dont le rapport au texte, aux mots, à la poésie. Le choix, sans être original, a le mérite d'être facile à suivre et de balayer large. L'exposition, sur cette base-là, fait un boulot agréable de mise en forme, coloré, avec beaucoup de son mais sans que ça ne devienne une cacophonie, et avec pas mal d'humour(notamment des petites mises en scène interactives pour enfants très bien vues). Les interventions de Sfar, qui illustre le tout, dans des styles variés d'ailleurs, y sont pour beaucoup. Je suis globalement très convaincu par ce qu'il a fait en illustration, mais beaucoup moins par les BDs qui émaillent la partie enfant de l'exposition et les chapitres du bouquin, que je trouve longues, inutiles, voire franchement irritantes. Mon autre grand reproche concerne l'exposition, dans laquelle la partie sur les convictions politiques de Brassens est expédiée de manière excessivement rapide, ce qui n'est pas le cas pour le bouquin avec un très gros chapitre intitulé Le Libertaire, ce qui prouve que non seulement il y a beaucoup de choses intéressantes à dire sur le sujet, mais que les auteurs les connaissaient. Je ne sais pour quelle obscure raison politique c'est autant passé sous silence, mais je trouve ça extrêmement dommage tant ça éclaire l'ensemble de ses choix et prises de position. Ceci étant, ça reste une exposition qui mérite le détour. Quant au livre, plus que mériter le détour, c'est un vrai plaisir, et une compilation importante, très bien illustrée et complète concernant Brassens, sa vie, son œuvre.