Chroniques ludo-historiques, ludo-féministes et juste avant


Lu. Playing at the world, de Jon Peterson.

J’ai déjà lu deux-trois bouquins sur l’histoire de jeux, et en particulier sur l’histoire du jeu de rôle et de Donjons et dragons, mais là, vraiment, je suis très impressionné. De fait, c’est un vrai travail d’historien, détaillé, documenté, et qui se donne comme champ d’investigation bien plus que ce que font la totalité des autres livres que j’ai lu sur le sujet. En effet, on commence par une première approche chronologique des milieux du wargame aux Etats-unis dans les années 70, en particulier autour de Lake Geneva bien sur, jusqu’à la naissance de D&D. Et cette approche, comme le reste du livre, est documenté de manière détaillée, avec un sérieux dans la recherche impressionnant, autant à partir de fanzine, d’interviews, de documents légaux que de correspondances et de publications. Autant dire que pour une fois, on ne se base pas sur les souvenirs plus ou moins réinterprétés des personnes concernées, mais on les interroge au vu des preuves historiques. Rien que ça, c’est intéressant. Mais ensuite, ça le devient encore plus puisqu’on va explorer de manière détaillée les éléments culturels qui ont amené à cette invention : l’histoire du wargame moderne, en commençant en Prusse ; l’histoire de la littérature fantastique, en commençant aux sources mythologiques et aux auteurs anglais ; et l’histoire des formes culturelles immersives, bref de la partie jouer un rôle. Et ces trois longues parties sont passionnantes et foisonnantes. Quand je dis que je suis impressionné, je n’exagère pas, et j’ai vraiment appris beaucoup de choses. On conclut ensuite avec un nouveau chapitre chronologique sur les premières années après la première édition, puis sur une ouverture sur toutes les formes qui en sont nées et celles à venir. C’est certes un bouquin épais, dense et long à lire (avec des centaines et des centaines de notes de bas de pages, ainsi qu’une bibliographie inégalée), donc plutôt destiné à des passionnés qui veulent aller en profondeur. Mais pour le coup, c’est très loin au-dessus de tout ce que je connais dans le domaine.


Lu. The Rise and fall of DODO, de Neal Stephenson et Nicole Galland

Voilà un Neal Stephenson étonnant, ce qui s’explique en partie parce que c’est une collaboration avec Nicole Galland et qu’on sent bien les influences des deux auteur-e-s. Et pour le coup, le mélange prend bien, en ce sens que ça ne donne pas des parties séparées ou des styles en conflit, mais bien un intermédiaire. On retrouve donc certains aspects classiques de Stephenson, avec un scénario de grande ampleur, et en particulier des passages par de nombreuses périodes historiques. Mais c’est moins documenté, moins dense, et du coup, aussi, moins austère et moins abscons qu’il ne peut l’être parfois (même si, à titre personnel, j’adore ça, je dois bien reconnaitre qu’il n’est pas toujours d’un accès confortable). Et, grâce à cette nouvelle légèreté, c’est aussi largement plus drôle, plus varié, et avec plus de personnages et d’enjeux relationnels. Enfin, relationnels… disons qu’il y a beaucoup de dimensions très drôles mais très critiques du fonctionnement institutionnel (universitaire notamment, mais globalement bureaucratique en général, notamment dans ses versions de management moderne). Une vraie dimension satirique donc. Ce qui fait un très bon livre, distrayant, plein de surprises et des chouettes idées. Mais si je trouve ça bon, je ne trouve pas ça aussi enthousiasmant que d’autres Stephenson. En particulier parce que j’ai trouvé ça un peu lent comme rythme. L’impression donnée est qu’au final, c’est presque entièrement un tome de mise en place, avant d’arriver à des suites qui me feraient à la limite plus envie. Ce qui pourrait bien être le cas, au vu de la manière dont ça se finit.


Lu. #Feminism, A nano-game anthology.

#Feminism est un ouvrage collectif, et même une compilation, de propositions de jeux autour des questions féministes. De mini-jeux plus exactement puisque l’objectif est qu’ils se jouent globalement en une heure maximum. Et, plus exactement, de jeux de rôle. Enfin, au sens large de jeux de rôle puisque si effectivement il s’agit de jouer des rôles et d’improviser, on est par contre assez loin des formats standard du JdR. En particulier parce qu’il y a très peu de règles, mais aussi parce que les dynamiques proposées sont très variées et parfois, à mon sens, plus proche de certains jeux de société. Mais, foin de pinaillage, ce n’est pas ça qui est le plus intéressant. Enfin, ça reste intéressant parce qu’il y a là, dans les formes même, une variété réjouissante, qui m’a donné envie de ré-interroger tout ce qu’on peut faire à partir de ces principes de jeu. Mais le plus intéressant est bien sur le thème général, que chaque jeu va décliner différemment, avec 9 thématiques regroupant chacune trois ou quatre jeux. En effet, chaque mode de jeu est une manière d’explorer des questions de sexe, de genre, et de pouvoir. De féminisme, donc. En allant dans des choses très légères, mais aussi très lourdes, selon. Avec à chaque fois l’idée de faire un temps de jeu puis un temps de débriefing. En ce sens là, ce sont aussi potentiellement de très intéressants outils d’animation (pour peu qu’on dispose d’un groupe prêt à se laisser entrainer dans ce format de jeu). Avec une trentaine de propositions, c’est très riche, et tout ne parlera pas à tout le monde, mais c’est bien le principe. J’y ai trouvé des idées vraiment chouettes et étonnantes, et je pense qu’il y a vraiment de belles choses à faire avec tout ça. Vraiment une belle démarche, et plein de très bonnes idées, dont chacun-e pourra s’inspirer, directement ou non, pour s’amuser, pour échanger ou pour réfléchir.


Lu. Penser avec l’entrainement mental, de Peuple et Culture.

L’entrainement mental, c’est une méthode développée par Peuple et Culture (et en particulier Joffre Dumazedier) pour donner à l’éducation populaire un outil très adaptable d’analyse et de mise en action fortement ancré dans des exigences éthiques. Dis comme ça, ça fait un peu peur, je vous l’accorde. Au final, c’est vraiment une approche très souple et très riche, et je vous recommande d’y jeter un oeil, ou mieux, de tester. Cet ouvrage collectif d’animatrices et d’animateurs de cette méthode propose beaucoup de choses qui vous parlerons différemment selon ce que vous y cherchez. En premier lieu, j’y ai trouvé non pas un guide d’utilisation, mais des commentaires, rappels et réflexions sur la méthode elle-même, et ses logiques et enjeux, que j’ai appréciés. Sur son histoire, aussi, et pourquoi elle porte ce nom aujourd’hui étonnant. Certes, c’est moins simple d’approche que des écrits destinés à apprendre la méthode elle-même, mais ça donne de toutes autres perspectives, et ça rappelle l’importance de se saisir de la méthode et de l’adapter, même si certain-e-s en ont fait quelque chose de très élaboré et transmis de manière très organisée et stricte. D’autre part, on y trouve de nombreux témoignages d’utilisations variées et des résultats et difficultés liées. C’est une partie que j’ai trouvée plus inégale, avec des témoignages passionnants et d’autres résumant trop rapidement et manquant du coup de clarté. Enfin, on y trouve un lexiques et des réflexions ouvrant plus largement sur les usages d’éducation populaire et les outils de réflexion et d’émancipation. En ce qui me concerne, c’est un ouvrage qui m’a enrichi et donné à réfléchir, mais que j’ai trouvé un peu inégal et que je ne recommande pas forcément pour commencer, en tout cas pas en entier.


Lu. Bonne journée, et bonne continuation, d’Olivier Tallec

Olivier Tallec est illustrateur, et traditionnellement plutôt illustrateur de livres pour enfants, ce qui ne permet pas forcément de deviner qu’il a un humour très fin, parfois cruel et parfois absurde, et souvent les deux. Ces deux recueils proposent une compilation de ses dessins d’humour. A chaque page, c’est un seul dessin, avec en général une légende. Les dessins sont vraiment beaux, on sent bien sa compétence première d’illustrateur. C’est bien composé, avec des traits doux, des personnages très expressifs et de vraiment belles couleurs. Les textes sont également très réussis : courts et bien écrits, très efficaces. Et avec ça, c’est drôle. Vraiment. D’un humour qui me rappelle régulièrement Gary Larson, ce qui est un beau compliment. Et comme je le disais, c’est souvent un peu acide, voire cruel, mais parfois c’est aussi doux et nostalgique. Dans les deux cas, ça a vraiment tendance à me faire rire. Dans certains cas de manière tout à fait irrépressible. Après, selon vos goûts, ce sont les plus décalés et tranchants ou les plus doux qui vous plairont le plus, mais globalement, il y en a pour tout le monde. Mais vraiment, certains ont des chances de vous marquer tant ils sont réussis. Pour tout dire, on en a déjà d’affichés au format carte postale, et je pense qu’il va y en avoir quelques autres dans vraiment pas longtemps.


Lu. La balade nationale, De Sylvain Venayre et Etienne Davodeau

L’équipe de la Revue Dessinée (que je lis toujours assidument, et que je vous recommande toujours aussi chaudement) s’acoquine avec des historiens pour aborder en une série de BDs l’histoire de France. Il s’agit donc là du premier tome, associant un historien et Etienne Davodeau (dont j’aime vraiment beaucoup le travail). On y suit une équipe de personnages historiques français, embarqués dans un véhicule utilitaire pour un road trip à la recherche de l’identité nationale. Le propos est très fortement lié à la manière dont l’histoire de france est instrumentalisée politiquement ces dernières années. Presque trop, je dirais. Parce que du coup, ça manque un peu de finesse dans la manière d’amener le propos. Et je ne suis pas sur que ça soit efficace, au sens où ça risque de parler à ceux et celles qui sont déjà convaincu-e-s du propos, et que ça ne leur apporte pas forcément tant que ça. Certes, l’instrumentalisation de l’histoire est abordée plus largement, mais ça fait pamphlet pédagogique quand même. De la même manière, la mise en BD est un peu artificielle, au sens où il s’agit vraiment d’illustrer un argumentaire, avec une trame de road-trip qui du coup n’a aucun intérêt narratif ni aucune tension, ou surprise d’ailleurs. Du coup, j’ai quand même appris deux-trois trucs, mais l’équilibre entre le propos pédagogique et le format BD est à mon sens plutôt raté, d’autant plus qu’on y rajoute quelques dizaines de pages d’essais de synthèse et de biographie et fin d’ouvrage. Ce qui ne rend pas l’ensemble désagréable, surtout quand on aime le dessin de Davodeau, mais ça ne le rends pas passionnant, ni forcément facile à faire circuler et à diffuser.


Vu. The good place, Saison 1.

Une nouvelle série télé, essayée un peu au hasard après avoir lu de bons échos de la saison 2, et une bonne surprise pour le coup. Le point de départ est simple : Eleanor se réveille sur un canapé confortable, et accueillie dans le bureau de Michael, qui lui apprend qu’elle est morte, mais que, au vu de ses bonnes actions, elle est au bon endroit : the Good Place. Or, Eleanor était plutôt une connasse égoiste : il y a erreur sur la personne, mais, apprenant rapidement que The Bad Place, c’est vraiment pas bien, elle va tout faire pour passer inaperçue et rester. Sauf que sa présence même va provoquer un certain nombre de problème. Qui vont faire boule de neige. Et ce n’est que le point de départ, puisqu’on va aussi suivre de plus près certains autres personnages. Sans que ça se disperse cependant, parce que c’est une série courte, mais dynamique, en 13 épisodes de 20 minutes. Le scénario avance, il se passe pas mal de choses, et surtout, c’est vraiment drôle. C’est acide, décalé, très bien écrit et très bien joué. Et il y a même un fond philosophique, pas si anecdotique que ça, même ça reste optionnel. Et, oui, ça va quelque part : il y a un vrai scénario sur l’ensemble de la saison, et je l’ai trouvé tout à fait satisfaisant. Et il y a une saison 2, également, que nous avons commencée, et qui pour l’instant s’en sort très bien alors que ce n’était pas du tout évident de rebondir intelligemment. Si vous voulez une série pas trop longue, mais vraiment drôle et efficace, vous pouvez tenter la première saison sans hésiter.