Chroniques étatiques, comptables et cauchemardesques


Lu. La société contre l’état, de Pierre Clastres

Je venais à ce livre intrigué par le résumé et le discours sur le pouvoir dans la société. Ce que j’y ai trouvé, et de manière très originale et prenante, mais j’y ai également trouvé plein de choses inattendues et tout à fait passionnantes également sur les rôles sociaux et les sociétés dites primitives. De fait, il s’agit d’une série de chapitres thématiques publiés majoritairement sous forme d’articles à l’origine, d’ethnologie/anthropologie des sociétés traditionnelles d’Amérique du Sud, principalement de la forêt amazonienne. On commence avec des considérations tout à fait bien amenées et compréhensibles sur l’aspect très occidental et biaisé des chercheurs historiques sur ces sociétés, en particulier en ce qui concerne leur dimension primitive et l’idée que le fait de ne pas avoir un état centralisé à grande échelle est une marque justement d’un manque, d’une absence. Et Pierre Clastres va sur l’ensemble de l’ouvrage montrer à quel point cet a-priori est faux (et non-pensé par beaucoup) et montrer de manière passionnante et très fine comment l’absence d’un pouvoir étatique est au contraire un choix refait en permanence dans l’organisation même de la société. Ces sociétés sont organisées pour empêcher l’émergence d’un pouvoir centralisé, en excluant et ridiculisant la fonction de chef, dont les prérogatives sont excessivement limitées. Il explore également la manière dont certains sociétés glissent quand même vers un état, les rôles genrés et leurs bordures, mais aussi les stratégies pour y survivre socialement et individuellement. Bref, que des choses passionnantes, bien écrites accessoirement.


Lu. Neptune’s brood, de Charles Stross.

Charles Stross écrit principalement des séries, et avec grand talent d’ailleurs, mais il écrit également des romans indépendants, comme celui-ci. C’est de la science-fiction, accessoirement dans un futur assez lointain, mais la science sur laquelle est centrée son travail d’anticipation est la science économique. En particulier : les systèmes monétaires et les systèmes de dettes. Oui, il a lu David Graeber, et ça se sent bien quand on l’a lu aussi. Et il en fait quelque chose de très inattendu mais de très réussi. Le roman est construit sur une trame plutôt policière, d’enquête, mais d’enquête autour de questions financières, et d’arnaques à très très grande échelle. Et le rythme est bon, la construction efficace. Tout ça dans un monde baroque et bizarre, orienté transhumanisme et post-humanisme dans la manière dont les personnages ne sont plus humains, dans des proportions plus ou moins différentes et plus ou moins visibles. Pour le même prix, comme toujours avec Stross, c’est plein d’allusions et de réflexions politiques et sociales franchement bien amenées et convaincantes. Et étant donné le sujet de fond, il y a de quoi faire. Pour finir, je préciserais que, et c’est important, c’est franchement amusant comme monde et comme lecture en général, c’est plein de bizarrerie et d’exotisme. Ce qui permet d’avoir une thématique de fond potentiellement aride traitée de manière au contraire colorée et rythmée.


Lu. The dark forest et Death’s end, de Cixin Liu.

Vous vous souviendrez peut-être, pour les plus attentif-ve-s, du fait que j’avais lu le premier tome de cette trilogie (The three body problem) et que j’en étais sorti avec une impression plutôt mitigée. Ce qui ne m’a pas empêché de finalement me laisser tenter par la suite. Et j’ai bien fait. Parce que sur la base posé dans le premier tome, Cixin Liu construit ensuite une saga absolument impressionnante et qui m’a complètement absorbé.Impressionnante par son ampleur, tant on va rapidement passer de la Terre au systéme solaire, puis à la galaxie et plus, en termes de préoccupations. Et pareil, voire plus, en termes d’échelle de temps. Donc, oui, il voit grand, mais il voit grand avec beaucoup d’adresse et énormément d’idées étonnantes et captivantes, aussi bien sur les aspects classiques de technologies et de développement, que sur les aspects sociaux, politiques et surtout philosophiques. Honnêtement, je n’ai pas souvent lu de science-fiction qui balayait aussi large et qui envoyait autant d’idées en une seule histoire. Et c’est très honnêtement rythmé, avec de vraies surprises, plus ou moins brutales, mais qui relancent toujours l’histoire de manière intéressante. On continue d’ailleurs à avoir cette couleur particulière du fait d’être centrés sur le monde chinois, ce qui change quand même pas mal de choses, et de manière amusante d’ailleurs. Bon, les personnages sont par contre certes sympathiques et pour la plupart assez bien posés, ce n’est pas par l’attachement qu’ils créent que cette trilogie brille le plus. Rien de terrible, mais ce n’est pas le plus central. Pour conclure, je dirais que ça vaut largement le coup de s’accrocher pendant le premier tome pour arriver à ces deux-là.


Lu. The nightmare stacks, de Charles Stross.

La suite de The Laundry, donc, avec toujours le même monde et les mêmes enjeux, mais, changement important pour ce tome-ci : un autre narrateur. Pas de bob ce coup-ci, mais un jeune vampire/analyste financier issu du tome précédent et recruté par The Laundry. Ce qui donne d’une part un peu de respiration et un changement de perspective sur l’ensemble, et d’autre part permet de s’intéresser à une histoire plus spécifique et moins liée aux grands enjeux de la série (même si c’est complètement raccord et que ça va reboucler parfaitement avec le prochain). Au final, j’aurais même tendance à dire que c’est presque un conte de fées. Bon, en fait non, parce qu’on est toujours dans les invasions de créatures extra-dimensionnelles, avec éventuellement des tentacules. Mais n’empêche, les personnages et leurs parcours, et leur fraîcheur, voire leur naïveté, donne une vraie légèreté et la conclusion va d’ailleurs dans ce sens. C’est donc aussi malin et drôle que le reste de la série, mais avec une fraîcheur bienvenue. Et accessoirement, la suite reprendra avec Bob mais vu ce qu’il s’est passé là, ça va valoir le coup.


Joué. Profiler, de Romaric Galonnier

Profiler fait partie de ces party games dont on pourrait se dire a priori que ça n’est pas très original et que ça ne va pas casser des briques. A tort dans le cas présent, parce que certes ça ne révolutionne pas le domaine, mais ça marche sacrément bien et c’est beaucoup plus fin qu’on ne pourrait le croire. Il s’agit d’un jeu dans lequel une personne connait le coupable, présenté parmi une série de suspects (il y a de tout, mais surtout du rigolo et du décalé, donc ça fait une belle galerie), et va essayer de faire deviner lequel aux autres. Pour celà, il va simplement noter le coupable sur une échelle de -5 à +5 par rapport à deux phrases prises au hasard et souvent idiotes (“Porte bien le tutu”, “Ferait un bon président”, “Survivrait à une attaque de zombies”...). A partir de cette seule information, les joueur-se-s vont essayer d’éliminer progressivement les suspects pour arriver au coupable. Et c’est étonnant de voir à quel point ça fonctionne, et à quel point ça donne lieu à des discussions abracadabrantes et rigolotes. Seul point d’attention : au début, on se mélange un peu en termes de logique puisqu’il faut d’abord éliminer ceux et celles qui ne collent pas aux critères exprimées. Si vous avez envie d’un jeu de groupe détendu pour mélanger déduction et discussions de n’importe quoi, ça fonctionne très bien.


Joué. Tiny Epic Galaxies, de Scott Almes

Un jeu de type 4X (en général, de gros jeux d’exploration, développement, conquête) jouable en moins d’une heure, avec un matériel tenant dans une toute petite boite, ça impressionne forcément, surtout parce que ça marche très bien. En effet, ça se joue en 30-40 minutes à trois, un peu plus à plus nombreux. Et le matériel est sobre et optimisé mais réussit à quand même être honnête et dans une thématique SF standard. Ce qui pose la base d’un jeu efficace, simple mais en fait très tactique et retors, avec une profondeur étonnante. Et, comme annoncé, on développe sa galaxie, on explore, on conquiert et on embête ses petit-e-s camarades. Avec peu de moyens, mais des résultats efficaces. Notamment dans les batons qu’on peut se mettre dans les roues, qui semblent au départ limités, mais étant donné la dimension optimisée de tous les mécanismes, on découvre qu’en fait, ces moyens ne sont pas du tout réduits quand ils sont utilisés de manière astucieuse. C’est donc un jeu qui fera le bonheur des amateurs de gros jeux, et qui veulent une version plus courte sans perdre trop en profondeur. Par contre, ce n’est pas un jeu pour celles et ceux qui aiment les ambiances bien posées, prendre leur temps sans optimiser, ou la dimension narrative.


Joué. Kikou le coucou, de Josep Maria Allué

Jeu de l’année pour enfants cette année à Cannes, Kikou le coucou mérite son prix de mon point de vue. C’est simple, c’est drôle, c’est hyper efficace comme design et le matériel est parfait. Et accessoirement, ça sort agréablement des modes de jeu classiques de chez Haba. Kikou le coucou est un jeu d’adresse dans lequel on va essayer d’aider Kikou à construire un nid pour y mettre ses oeufs (parce qu’il n’a pas réussi à en piquer un). C’est donc une sorte de mikado à l’envers, où la boite sert de base et de réserve. On pioche des baguettes, on les mets en équilibre et on pose des oeufs dessus. C’est simple. Mais ça fonctionne très très bien, et notamment en mélangeant enfants et adultes. Je vous le recommande vivement.