Chroniques signées, futures et frétillantes


Lu. The signature of all things, d’Elisabeth Gilbert.

Je découvre Elizabeth Gilbert (connue pour Eat, pray, love notamment) avec ce livre, et je dois bien dire que je suis séduit. Une chose est immédiatement évidente : elle sait écrire. Le style est vraiment très beau, très travaillé et sans aucune lourdeur, bien que l’ensemble soit rédigé d’une manière très dix-neuvième, en cohérence avec le récit. L’autre chose qui se dégage au fil du livre, c’est un talent également très évident pour la construction de personnages, et notamment de personnages féminins complexes. En particulier Alma, dont on va suivre la vie tout au long du livre, mais pas seulement. En effet, après un flashback assez détaillé et très prenant quant au parcours chamarré et impressionnant de son père, ce sont les grandes étapes de son parcours que l’on va suivre. Et c’est une vie très particulière, inattendue également. Qui tourne autour de la botanique (et accessoirement, à l’époque, c’est à la pointe de la recherche scientifique et commercial, et c’est très amusant d’en prendre la mesure) et qui va connaître des rebondissements imprévus (oui, parce que pendant longtemps, ça semble tout tracé). Et de manière étonnante, le seul moment que j’ai trouvé un peu longuet et pas très rythmé est celui où elle voyage finalement le plus. Alors que j’ai trouvé le reste complètement passionnant et absorbant et que sur la première moitié j’ai eu vraiment du mal à le poser. Mais à ce bémol près, j’ai vraiment trouvé ça très prenant, très touchant et plein de finesse, et plein de découvertes historiques amusantes (même si c’est une fiction). Jusqu’à la fin, qui est vraiment jolie et émouvante, et non dénuée d’une douceur amère. Le moins que je puisse dire est que je ne regrette pas de m’être égaré hors de mes habitudes actuelles de lectures de fantasy et de SF. Parce qu’à ce niveau de qualité, finalement, on s’en fout de la catégorie dans laquelle ça tombe ;)


Lu. Hawk, de Steven Brust.

Nous en voici donc au “je ne sais plus combientième” tome des aventures de Vlad Taltos. Oui, j’ai un peu perdu le compte : le fait que les tomes ne suivent pas un ordre chronologique et changent grandement de style de l’un à l’autre n’aide pas. Et autant les changements de style me plaisent toujours beaucoup, autant le côté non-linéaire est un peu frustrant. Parce que Vlad Taltos, c’est à la fois une base plutôt policière (mais côté pègre) et un scénario de fond basé sur les secrets cosmiques du monde et des affinités avec des ami-es et allié-es balaises et dans des considérations de haut niveau. J’ai beaucoup aimé pendant tout le début la dimension crapulerie et montage de plans tordus et compliqués, pleins de fourberies et de ressources malins. Mais sur la longueur, j’ai beaucoup plus eu envie de voir avancer la trame de fond et de continuer à découvrir les secrets du monde et les dénouements des mystères et prophéties annoncées depuis un moment. Parce qu’il y a un vrai beau potentiel d’idées et de personnages, et ça s’annonce complexe et plein de surprises. Mais dans ce tome, foin de tout ça, on revient justement aux fondamentaux. Et donc, je trouve ça frustrant. D’autant plus qu’il s’agit de suivre Vlad qui monte un grand plan tordu pour se sortir de la merde. Et qu’il n’explique pas le plan tout le long du livre, seulement la préparation. Et non, il n’y a pas moyen de devenir ce qu’il va faire de tout ce bazar. Enfin, pour moi. Du coup, il reste surtout le plaisir des dialogues et des personnages, ce qui n’est pas rien, parce que oui, Brust est très bon pour tout ça, mais c’est un peu insuffisant. Pas du tout un mauvais livre, donc, mais au vu de là où en est de la série, ce n’est pas ce que j’attends. Et le suivant, dans l’ordre d’écriture, est avant, dans la chronologie, donc ma frustration ne va sans doute pas retomber tout de suite. Mais je ne lâcherai pas la série, elle est vraiment bien.


Lu. L'art de conter nos expériences collectives, de Benjamin Roux.

Ce petit essai s'attaque à une question qui me semblait essentielle a priori : l'enjeu de se réapproprier la capacité de raconter nos histoires collectives et des contre-histoires (militantes, populaires, etc., bref en résistance au storytelling dominant). J'en sors d'autant plus convaincu et avec même quelques pistes de travail. Pour autant, je ne suis pas entièrement convaincu du format. Pour tout dire il y a même une moitié, plus ou moins la première que je n'ai pas trouvée très utile. En effet, il s'agit d'un travail de recherche et la première moitié décrit le cadre théorique, les grandes définitions et la méthodologie employée. Les définitions me semblent un peu utiles, encore qu'elles servent assez peu ensuite mais le reste beaucoup moins. Sans doute parce qu'au vu du propos développé ensuite, je n'avais pas tellement besoin de justifications quant à la manière dont il a été élaboré. Le propos est pour le coup efficace : à partir d'exemples variés (et documentés, ce qui donne des références à aller explorer) montrer l'impact interne et externe de récits composés à partir de traces d'expériences collectives. Et donner des pistes quant à la manière de le faire. Des pistes seulement, ceci dit, ce qui me laisse sur ma fin. Mais bon, vu la taille de l'essai, c'est déjà vraiment bien d'en sortir convaincu, avec un argumentaire structuré et politique, et des pistes de mise en action. En gros, c'est un bon point d'entrée pour se mettre au boulot sur le sujet. Pour réfléchir à l'importance et aux enjeux de la question. Maintenant, il me reste à trouver par où continuer…


Lu. How long til Black future Month, de N-K. Jemisin.

Un recueil de nouvelles donc, le premier de N-K. Jemisin. Avec un titre brillant, mais il n'y a pas que le titre, pour tout vous dire. L'autrice confirme ici clairement la haute place qu'elle a acquise dans mon estime. Car, oui, outre des séries multi-volumes qui moissonnent des Hugo, elle sait également écrire des nouvelles. Avec la même tonalité d'ensemble, c'est-à-dire une priorité donnée au point de vue des dominé-es et une saine colère, politisée, vis-à-vis de ce qu’elles et ils vivent, subissent et ressentent. Pour autant, ce n'est en rien monotone ou répétitif (pas plus que Banks, ou Asimov, ou tout autre auteur avec un regard spécifique) tant elle a d'imagination et de variété dans les univers et les contextes abordés et exploités. Mais il y a toujours de la vie et de la tension, et en général de l'humour. L'ensemble des nouvelles est de mon point de vue excellent, avec bien sur des variations. Certaines sont vraiment puissantes et marquantes (et ont fini de me convaincre, s'il était besoin, de mettre tout le reste de ses livres dans mes piles à lire pour dans pas trop longtemps), d’autres sont "seulement" très bien. Certaines pour celles et ceux qui ont lu La cinquième saison, parce qu'on y voit la genèse de son style ou de certaines idées. Et puis, oui, il y en a que j'ai trouvé oubliables. Genre : deux sur une trentaine. Et je n'ai pas peiné à les lire, juste j'ai enchaîné sur la suivante sans souffler. Alors que toutes les autres : non, j'ai fait une pause pour digérer, pour savourer. Vous pouvez y aller sans hésiter, et en sachant que Jemisin ce n'est jamais anodin. Mais c'est bien bien bien, et je compte bien bien bien tout lire d'elle.


Joué. Saumon frétillant, de Ken Gruhl et Quentin Weir.

Vous allez me dire : la boite est drôle mais ça n'annonce pas un grand jeu. Et : avec des règles qui tiennent sur un post-it, pareil. Ouais, mais si, c'est étonnamment très bien. Parce que très con. Dans mon usage professionnel spécifique : en jeu d'inclusion, c’est juste parfait. Et en jeu de déconne débile pour crier et faire n'imp : aussi. En deux mots : on cherche à se débarrasser de ses cartes et chaque carte demande de faire un geste (high five, fist bump...) avec un-e autre joueur-se. On crie donc à la volée le nom de sa carte pour trouver un binôme, faire le geste, jeter cette carte et recommencer avec la suivante. Debout, autour d'une chaise ou d’une petite table, frénétique, très drôle, très simple et bien plus addictif qu'on ne croirait. Et vu de l'extérieur, ça donne envie de rejoindre pour la partie suivante, toujours un plus en animation. Par contre, la boite / trousse ne sert à rien si ce n’est intriguer (ce qui marche parfaitement avec Olympe par exemple). A tester, et si vous animez avec des petits jeux : foncez. Plongez, en fait.


Joué. Yogi, de Behrooz Shahriari.

Encore un petit jeu simple et idiot pour rigoler à l’apéro en prenant des poses idiotes (ou en inclusion, vous me connaissez). Chacun-e à son tour pioche une carte qui lui impose une contrainte de position, parfois en tenant la carte, parfois non. Les tours passent, les contraintes s'accumulent, les positions deviennent aussi ridicules qu'intenables et quand on n'arrive plus à en rajouter, on est éliminé-e. Il faut supporter le n'importe quoi et le ridicule (et c'est un jeu qui attire fortement les spectatrices et spectateurs) mais c'est vraiment drôle, on y retrouve clairement une partie du principe et du plaisir de la Danse des œufs. Accessoirement, c'est un poil moins limitant puisque ça se joue entièrement assis-e. Et sinon, question compétition, c’est assez vite un tel bordel que c 'est difficilement arbitrable correctement, on joue donc pour le plaisir et la rigolade.


Joué. Zik, de Cyril Blondel.

Encore un petit jeu rapide pour apéros, pour temps d’inclusion, voire pour soirées entre potes, et même fin de soirée dans le cas présent. Dans Zik, on va chanter des chansons. Sauf que, contrairement à Shabadabada, ou équivalent, nul besoin d’avoir un répertoire étendu, ni d’ailleurs de compétences en chant. Parce qu’il va s’agir de chanter des chansons connues, pour les faire deviner, et avec une contrainte telle qu’elle prends le pas sur quelque question de talent : on chante uniquement avec des onomatopées. Enfin, une seule au premier tour (oui, vous allez peut-être faire deviner En rouge et noir avec comme seul vocable : Tsoin. Ou Gling), deux au second en les alternant, puis trois, et enfin quatre. C’est vraiment drôle tant ça met tout le monde à égalité dans le n’importe quoi. Et ça donne lieu à de magnifiques moments décalés et absurdes. Alors, oui, si vous aimez chanter, c’est mieux, mais sinon, il suffit d’aimer les party games à contraintes idiotes, ça marche aussi. Et ça fait pour le même prix un très beau spectacle. Amateurs et amatrices de jeux musicaux et de jeux d’ambiance, je vous conseille de tester.