Chroniques économiques, littéraires et libres.


Lu. Petit cours d'autodéfense en économie, de Jim Stanford.

Publié dans le même format que le petit guide d'autodéfense intellectuelle, cet ouvrage, également du à un canadien, se propose de donner les clés de compréhensions du capitalisme, et d'une lecture critique de celui-ci. Programme certes ambitieux, mais donc la réussite n'est que plus appréciable. Certes, ce n'est ni léger, ni rapide puisqu'il y a pas loin de cinq cent pages, mais c'est très compréhensible, ancré dans des considérations et des exemples des plus concrets. D'une part, la présentation des fondamentaux de la science économique est faite de manière très didactique et progressive, en emboitant progressivement les différentes éléments et sujets. D'autre part, à chaque étape, un recul critique est proposé, aussi bien sur la manière dont s'est construite la science économique et ses différents courants, que sur la dimension politique de tout discours et de toute perspective théorique sur l'économie. Ces deux aspects permettent donc progressivement de comprendre les bases du discours économique, mais surtout de comprendre ce que signifie ce discours et ce qu'il peut imposer de pré-supposés plus ou moins criticables. Et Stanford termine en proposant des perspectives d'améliorations du capitalisme, notamment sur ses aspects les plus catastrophiques (inégalités sociales, environnement, etc.), ainsi que quelques éléments de réflexion sur de vraies alternatives socialistes (au sens : préoccupées en premier lieu du bien commun, par opposition au profit). Ce texte a été préparé suite à une commande du syndicat de l'automobile canadien qui voulait pour ses membres une formation de base à l'économie. A mon sens, le boulot est fait et bien fait, et mérite d'être largement diffusé. L'ensemble ne finit pas pour rien sur un appel à l'action politique et à l'échelle locale : si tout le monde lisait tout ça, ça aiderait certainement à bouger et à donner des idées.


Lu. The Eyre Affair, Lost in a good book et The Well of Lost plots, de Jasper Fforde.

Attention, livres étranges ! Ces trois romans sont le début d'une série partageant une héroîne commune : Thursday Next. Oui, Jeudi Prochain. Mais son père est agent secret du gouvernement britannique, à la section voyage temporel. Bon, il a été éradiqué avant sa naissance suite à des désagréments avec ses supérieurs. Mais il rend encore visite régulièrement, en arrêtant le temps, à Thursday. Qui travaille aussi pour les services secrets, mais dans la section crimes littéraires. Car, oui, ce n'est pas tout à fait notre monde. Disons qu'il y ressemble, mais avec quelques changements importants, qui contribuent à la bizarrerie et à l'originalité de l'ensemble. Un peu. Parce que question originalité et bizarrerie, ce n'est que le début. Thursday va passer dans les livres et y régler certains problèmes. Ce qui permettra de découvrir ce que font les personnages de roman hors des scènes écrites, entre autres choses merveilleuses. Je vous ai dit que Thursday avait un dodo comme animal de compagnie, et un inventeur fou dans sa famille ? Bref, ça foisonne de références et d'idées foutraques toutes plus amusantes les unes que les autres. C'est inventif, surprenant, et irrésistible pour tout amoureux des livres. Je ne nierais pas que, de livre en livre, on perd on peut de l'émerveillement de la découverte, mais ça reste vraiment très bon, tant qu'on est prêt à se laisser surprendre et balader dans tous les sens.


Lu. Side Jobs, de Jim Butcher.

Oui, en attendant la suite de la vraie série en poche, avec un suspense je vous raconte même pas, je me suis envoyé le recueil de nouvelles des Dresden Files. Et c'est très bien. Je vous dis ça alors que d'habitude, moi, les nouvelles, hein... Bon, l'attachement aux personnages fait beaucoup, c'est certain, mais pas seulement. Car si sur le fond des histoires, on retrouve le cocktail classique de Dresden : enquête, histoires personnelles et gros affrontement final avec des créatures surnaturelles, ce qui n'est déjà pas désagréable, s'y ajoute un élément qui pour moi a été des plus appréciables : le changement de perspective. Ce n'est pas systématique, mais certaines nouvelles ne sont pas écrites du point de vue d'Harry Dresden. Et ça change pas mal de choses. Certes, ça permet de découvrir de l'intérieur d'autres personnages, mais surtout, ça permet de découvrir Harry lui-même de l'extérieur, par le regard de ceux qui l'entourent. Et, oui, c'est assez différent et ça replace un certain nombre de choses. Comme, en plus, ce sont des personnages proches, Thomas et Murphy, leurs liens en sont aussi renforcés. Quant à la dernière, et la plus longue des nouvelles, elle se déroule après Changes, ses changements et son cliffhanger, et ça le fait bien bien. Je dirais même que, idéalement, ce recueil est à lire à ce moment-là.


Lu. Cyberabad days, de Ian McDonald.

M'a pris récemment une envie de replonger un peu dans les oeuvres de Ian McDonald, que j'avais beaucoup apprécié avec River of Gods et Brasyl. Donc, recueil de nouvelles se déroulant dans l'Inde de River of Gods, en même temps, voire après le roman en question. Bon, à choisir, hein, lisez le roman d'abord, quand même, mais ensuite, c'est un recueil qui vaut le coup. On y retrouve le talent remarquable de McDonald pour peindre une Inde futuriste terriblement crédible dans son mélange de traditions et de bonds en avant. Ce n'est toujours pas du cyber occidental, et tant mieux. Les nouvelles sont variées, autant en termes de thèmes que d'intérêt. On retrouve dans la plupart un humour qui, sans être omniprésent, n'est jamais très loin non plus. Et Ian McDonald en profite donc pour explorer des thèmes et personnages plus spécifiques : la course aux jeunes femmes dans une société où la sélection génétique a donné naissance à une génération de 80% de garçons dans la haute société, la guerre robotique vue de la rue, la guerre des grandes familles pour le contrôle de l'eau, une histoire d'amour entre une femme et une IA de soap-opera et, surtout : Vishnu at the Cat Circus. Je dis surtout parce que c'est celle qui sort du lot, à mon sens, tant il s'agit plus d'une longue postface, sous forme de vrai récit prenant et touchant, à River of Gods. Bref, de bonnes choses pour ceux qui ont apprécié River of Gods.


Lu. Better than sex, de Hunter S. Thompson.

Comme La chasse au grand requin blanc le faisait pour l'élection de Nixon, Better than Sex est le récit de la campagne américaine de 92, qui vit l'élection de Clinton, par les yeux de Thompson. Et Thompson la suivit, en partie contre son gré, en participant, comme il le fit toujours. Bon, soyons honnêtes, c'est pas mal bordélique et décousu. Plus que d'habitude avec Thompson, j'entends. Au point de n'en être pas très facile à suivre. Vous êtes prévenu, si vous voulez quelque chose de strcturé et qui se lit de manière un peu suivi, c'est pas le bon endroit. On alterne vrais textes, faxs hallucinés, collages et remarques en vrac. Maintenant, ce n'est pas dépourvu d'intérêt si on supporte la forme. D'une part parce que la forme elle-même raconte justement ce déroulement de campagne chaotique et décousu, en brosse par sa forme même un tableau qui a du sens. Et d'autre part parce qu'au milieu de ce bordel jaillissent des éclairs remarquables de lucidité, des clés de lecture de la politique et de ses acteurs, au dela de cette campagne même, qui méritent à eux seuls la lecture. La description des grands acteurs des campagnes électorales comme des junkies en manque est par exemple extrêmement convaincante et donne un éclairage tout autre à toute campagne électorale. Bref, c'est du Thompson, toujours aussi brillant mais pas mal plus bordélique que dans d'autres de ses écrits.


Lu. Les milieux libres, vivre en anarchiste à la belle époque, de Céline Beaudet.

Les milieux libres est issu d'un travail de thèse, qui visait à répertorier et analyser certaines expériences de vie collective libertaire pendant la belle époque. Et c'est bien ce dont il s'agit, décrire et faire l'histoire de certains milieux libres. Milieux qui sont donc nés de la volonté de militants anarchistes de mettre en place une société alternative et auto-suffisante à petite échelle. Très petite échelle la plupart du temps. Ce sont donc quelques-unes des ces expériences (peu nombreuses déjà au départ et particulièrement mal documentées) qui sont décrites et replacées dans leur cadre plus général. En soit, c'est intéressant, mais la forme ne m'a pas tellement enchanté. Pour tout dire, pour toutes les parties descriptives, j'ai trouvé qu'on sentait quand même bien la patte universitaire. Disons que ce n'est pas très vivant, très linéaire au point d'en être parfois morne et un peu chiant à lire, et que les notes de bas de page prennent parfois des proportions rendant la lecture très fractionnée (quand il s'agit d'une biographie entière par exemple). Et c'est dommage, parce que la lecture en est fort ralentie, malgré des éclairages très intéressants, notamment dans la seocnde partie sur les valeurs défendues, les moyens de diffusion mis en place, les relations avec les populations locales et l'éducation. Au final, je ne suis pas mécontent de l'avoir lu, au contraire, mais si les deux premiers tiers étaient refondus pour être plus vivants et lisibles, ça aiderait grandement. Sinon, vous pouvez lire juste le dernier tiers, il vaut le temps passé dessus.