Chroniques féministes, chamaniques et draconniques


The Female Man, de Joanna Russ

Je ne connaissais pas du tout Joanna Russ, mais grace aux bons conseils de Tor.com et à la collection Masterworks of SF, j’ai pu découvrir, et ça a été une sorte de claque. Joanna Russ est d’abord militant féministe, depuis les années 70, et ensuite auteure de SF. Ou l’inverse, il faudrait lui demander, mais la dimension féministe est tellement centrale et bien exposée dans ce roman que j’aurais tendance à la mettre en premier. C’est un roman très bien écrit, mais très chaotique. Ceux et celles qui ne supportent pas les structures confuses et montées façon puzzle et qui ont besoin d’une narration linéaire peuvent malheureusement passer leur chemin, donc. Car l’idée de base est le croisement de quatre femmes issues de périodes, et surtout de sociétés, très différentes, en particulier dans la place des femmes dans ces dernières. En particulier, une des protagonistes est issue d’un lointain future dans lequel la société humaine est exclusivement féminine (et très avancée, scientifiquement et socialement). Sa découverte, en particulier, des modes de fonctionnement d’une société plus au moins américaine des années 50-60 permet un contraste très révélateur et qui plus est vraiment drôle. Parce que oui, c’est bien écrit. En particulier certains dialogues. Et certains monologues et exposés également. Au point que parfois, l’aspect didactique saute aux yeux. Ce qui ne m’a pas géné le moins du monde, ceci dit. Je ne sais pas si on peut dire que l’histoire va complètement quelque part, encore plutôt si, mais par contre le propos de fond oui, et il tape assez fort. J’ai vraiment beaucoup aimé et je vous recommande de tester.


Les chamanes de la Préhistoire, de Jean Clottes et David Lewis-Williams

Que se passe-t-il quand un grand spécialiste des grottes ornées de la préhistoire européenne et une spécialiste des grottes ornées shamaniques sud-africaines récentes se mettent à bosser ensemble ? D’une, ça donne un éclairage sur les grottes ornées innovant, passionnant et bien argumenté. De deux, ça vexe à mort une bonne part des préhistoriens établis. Et ce livre raconte les deux de manière prenante et vivante. La première partie explique ce que sont les pratiques shamaniques, ce que la science actuelle a à dire, notamment neurologiquement sur le sujet, et comment ça permet de donner une interprétation du pourquoi et du comment des peintures rupestres qui, sans être prouvable, est diablement convaincante. Et enthousiasmante. Vraiment, j’ai trouvé que ça se lisait comme un roman. Qui plus est, c’est court, efficace et pas verbeux pour un sou. Et vous pouvez n’en lire que cette partie, qui est de fait l’ouvrage d’origine. Mais. Mais cette approche a provoqué des réactions hystériques de la part de beaucoup de préhistoriens, et des attaques aussi basses et de mauvaise foi que les milieux scientifiques sont capables de produire. Et les deux auteurs ont donc ajouté une seconde partie où ils répondent, mais aussi exposent à quels points des méthodes et comportements de ce genre ne devraient pas avoir leur place dans de tels débats. Et, oui, c’est tout à fait intéressant aussi même si ça attriste un peu. Tout au moins, leurs méthodes et postures décrédibilisent un grand coup les chercheurs et chercheuses en question. Bref, un livre dont le propos principal m’a passionné et donc la seconde partie m’a à la fois amusé et attristé.


Shaman, de Kim Stanley Robinson

Je ne suis pas le seul à avoir lu “Les chamanes de la préhistoire”, visiblement, Kim Stanley Robinson aussi. Et tant mieux, vu ce qu’il en fait. Shaman est un roman préhistorique donc, pendant l’age glaciaire, et sans doute situé, même si ce n’est pas dit directement, autour de la grotte Chauvet. Comme à son habitude, Robinson s’est très sérieusement documenté, et c’est un roman qui mérite très clairement la qualification de science-fiction. On s’y retrouve réellement et puissamment plongé dans la vie d’une tribu de la préhistoire. Avec ses difficultés à gérer les stocks de nourriture pendant toute l’année, ses questionnements scientifiques, techniques et spirituels, mais aussi sociaux. Avec ses rites de passage également puisqu’on suit en particulier un jeune garçon, Loon, appelé à devenir shaman. Je suis très admiratif de la manière dont Robinson arrive à créer une ambiance riche et crédible, et à donner une place évidente, mais aussi incontournable et poétique à la nature. C’est aussi un roman dans lequel j’ai eu longtemps l’impression qu’il ne se passerait rien si ce n’est la vie habituelle de la tribu. Et, honnêtement, ça m’aurait largement suffi. Sauf que non, il se passe quand même pas mal de choses. Et c’en est d’autant plus prenant, et émouvant. Parce que c’est vraiment un roman dans lequel je me suis laissé complètement emporter, un roman dont on se prends à rêver, qui laisse un trace pas complètement verbalisable. A ne pas rater.


Dark Lord of Derkholm, de Diana Wynne Jones.

L’idée de départ de ce livre est simple et amusante : et si un monde traditionnel de fantasy se trouvait colonisé par l’industrie du tourisme de notre monde. Chaque année, pendant trois mois, des groupes de touristes sont accompagnés sur des itinéraires d’aventure où ils vont rencontrer de nombreuses péripéties, trouver des éléments de prophétie, traverser de grandes batailles et au final abattre le Sombre Seigneur. Et, oui, chacun des groupe devra vivre l’ensemble, ce qui suppose donc une logistique et des dégats collatéraux considérables. Mais l’organisateur des tours tient, par un moyen qu’on ne connait, les plus grands magiciens, les seigneurs nains, les dragons, etc. Bref, ils sont obligés, mais ça ne plait à personne. Jusqu’au jour où la cheffe des magiciens décide d’aller consulter l’oracle pour savoir comment mettre fin au tourisme… Et tout ça, aussi bizarre que ça semble, fait un excellent roman. C’est écrit de manière simple mais très efficace, et souvent touchante, ce qui va avec le fait que DIana Wynne Jones est d’abord une auteure jeunesse. Les personnages sont variés, très variés, et vraiment touchants et bien amenés. Et le scénario de fond est surprenamment plein de surprises et de bonnes idées. Vraiment un roman à découvrir si vous aimez la fantasy un peu décalé et drôle.


Year of the griffin, de Diana Wynne Jones.

Je ne vais pas vous surprendre en vous disant que, ayant beaucoup aimé Dark Lord of Derkholm, j’ai lu le tome suivant. Et, bon, j’ai été un peu déçu. Pas complètement, c’est resté une lecture plaisante, mais tout de même, ce n’est pas du tout du même niveau que le précédent. D’une part, et ça explique une partie de ma déception, ça se passe dans le même monde, mais pas vraiment avec les mêmes personnages. Alors qu’honnêtement, le fait de les retrouver faisait partie de mes motivations. Bon, on les voit passer quand même un peu, mais ils sont en arrière-plan. Et d’autre part, je n’ai pas trouvé le scénario très convaincant. Il y a plein d’idées rigolotes et inventives, mais le fil rouge de l’ensemble est un peu inexistant et mène à une fin pleine de surprises qui n’en sont en fait pas tellement elles sont téléphonées. De fait, on suit un groupe d’étudiants en magie, pendant leur année d’université, et chacun à ses casseroles familiales. Au final, ils finissent tous les uns avec les autres et tous leurs problèmes familiaux se résolvent en se croisant et se complétant. Probalement que ça a une chance de bien marcher avec un public plus jeune qui voir moins venir l’ensemble...


L’Amour, de Ronald de Sousa

Ronald de Sousa est philosophe, mais je vous rassure tout de suite, il n’est vraiment pas dans les pires sur la forme : il s’exprime de manière raisonnablement simple, avec pas mal d’humour, et sans faire tout le temps des références à tel ou tel philosophe passé. Il fait quand même des références, ceci étant, et en particulier dans la première partie de ce petit ouvrage dont l’intention est de faire une sorte d’état des lieux des perspectives philosophiques sur l’Amour. L’Amour au sens amoureux et sexuel, ce qui permet de limiter un peu le champ. J’ai trouvé la première partie relativement répétitive, puisque l’auteur y passe en revue les différentes approches et réflexions sur l’amour de différentes écoles de philosophie pour montrer leurs limites et le fait que ça n’apporte pas tellement de réposnes satisfaisantes. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, mais disons que ce n’est pas vraiment ça que je venais chercher. La seconde partie m’a plus plu, puisqu’elle intègre des apports des sciences cognitives et de la recherche actuelle avec des réflexions philosophiques pour éclairer un peu mieux le sujet et proposer une approche plus ouverte et plus en accord avec la manière dont je peux penser ce genre de choses. Ceci étant, je n’ai pas trouvé ça ni bouleversant, ni passionnant à lire, malgré des idées intéressantes et un style plutôt détendu.


The Gospel of Loki, de Joanne Harris

Ah, la mythologie scandinave, les nains, les haches, le poil, tout ce genre de choses… Non, justement, Joanne Harris se fait plaisir, et fait plaisir au lecteur, en proposant une lecture décalée de la mythologie scandinave, puisqu’on la découvre par les yeux de Loki, le dieu pas comme les autres, menteur, manipulateur, exclu, etc. Il s’agit donc d’un roman avec une tonalité plutôt satirique, mais sans virer dans le vraiment comique ou dans le clownesque. Il y a même une dimension franchement tragique dans la manière dont Loki ne sait pas faire autre chose que ce qu’il est et de comment il n’arrive donc jamais à être en paix avec les autres dieux et à se sentir accepté et accueilli quelque part. Parce que même en étant narratif, Loki n’est pas exactement un personnage sympathique. Drôle, oui, touchant, oui, mais on n’a pas vraiment envie de l’avoir comme pote. Accessoirement, Joanne Harris suit vraiment la trame et le récit de la mythologie classique et ne s’en éloigne pas. Vous aurez donc, bien qu’avec un point de vue particulier, la mythologie scandinave des débuts jusqu’au Ragnarok. C’est une lecture que j’ai trouvé tout à fait plaisante, mais finalement, une fois le ton donné, pas suffisamment surprenante ou satirique pour que je n’ai pas l’impression de lire de la mythologie, avec ses intérêts et ses limites.


The Quarry, de Iain Banks

Le dernier Iain Banks, donc. Le vrai dernier. En pas SF. Je me le gardais depuis longtemps et ça m’a fait un petit bout des vacances. Que dire si ce n’est que c’est effectivement du Banks, sans la moindre question. Sans doute pas le meilleur, mais certainement pas le moins bon non plus. En Angleterre, aujourd’hui, un jeune adulte, autiste, vit seul avec son père en phase terminale d’un cancer. Un père qui a mené une vie de débauche et de ruptures, d’éternel étudiant provocateur. Et ce père convoque ses amis d’université pour un dernier week-end, avec comme prétexte/chantage une cassette vidéo de leur jeunesse. Qui pourrait nuire à leurs carrières, pour ceux qui en ont une. Et c’est donc une fois de plus des personnages vivants, complexes, drôles et décalés qui vont discuter, s’engueuler et se révéler, comme Banks sait si bien le faire, dans un huis clos à la fois débauché, nostalgique et inquiet. Dans lequel, bien sur, on parle et on tourne beaucoup autour de l’idée de la mort, et de ce qu’est une vie satisfaisante. Avec un finesse évidente, et sans faire trop de manière. C’est globalement un roman que j’ai trouvé assez nostalgique, assez triste sur le fond, tout en gardant une forme vivante et pleine de petites étincelles. Bref, rien d’inattendu, et rien de décevant : c’est le dernier Banks.


Schotten Totten, de Reiner Knizia

Schotten Totten est probablement un des meilleurs jeux tactiques pour deux joueurs que je connaisse. Deux clans écossais s’affrontent pour déplacer en leur faveur les bornes frontière entre leurs deux territoires. Ce qui se règle avec des cartes puisqu’il s’agit avant tout d’un jeu de combinaisons, de gestion de son stock de cartes, et aussi, pour une part d’autant moins négligeable qu’on multiplie les parties, de bluff. Les règles sont sobres et efficaces et les parties courtes mais toujours tendues et intéressantes. Il a longtemps été édité avec un design à l’allemande des années 80-90, donc sans dire que c’était moche, ce n’était pas forcément très attirant. Or, et c’est pour ça que je vous en parle, Iello vient de le rééditer dans sa gamme de tout petits jeux. Avec des illustrations modernes, colorées, et que je trouve très agréables. Et rigolotes. Du coup, si un jeu à deux rapide et tactique vous tente, et que vous aimez bien les jeux de cartes où il faut un peu réfléchir, c’est un très bon choix. Accessoirement, il existe deux variantes de règles : une sobre et tendue, que je préfère, et une avec des cartes optionnelles qui foutent le bordel, plus destinée au plus jeunes ou à ceux et celles qui aiment bien un peu plus de chaos et un peu moins de calcul. Ce qui permet donc de varier les plaisirs.


Puzzle and Dragons, de Gungho.

Ces derniers temps, je ne joue plus sur ordi, notamment parce que je n’ai plus forcément le temps, mais aussi parce que j’ai trouvé de la bonne drogue sur téléphone ;) Puzzle and Dragons est, pour le dire rapidement, un mélange entre Candy Crush et Pokémon. Le mode de jeu de base est en effet du match-three, c’est-à-dire de l’alignement de trois sphères de couleur pour qu’elles fassent pop. Sauf que. Sauf qu’avec un changement qui a l’air basique, PAD transforme cette base en un mécanisme avec une profondeur de jeu étonnante : on prend une sphère et on a un temps limité pour la déplacer à travers tout le tableau en ré-organisant derrière soi les autres sphères. Et au début, on se rend compte que ça permet de faire deux-trois trucs rigolos, mais ensuite on se rend compte qu’il y a des mois d’apprentissage de stratégies et de méthodes potentiels. Et, vraiment, ça fait des mois que j’y joue, et je continue à découvrir et affiner des mouvements et des stratégies. Ce qui est grandement aidé par la courbe de progression proposée par le jeu, que je trouve admirablement maitrisée à tous points de vue : c’est une progression permanente mais sans panique ni blocages. D’autant que le contenu global est vraiment important. L’autre volet du jeu, c’est pokémon, puisqu’on collectionne des monstres avec lesquels on compose des équipes, et les sphères qui font pop activent les couleurs et pouvoirs de l’équipe. Sachant qu’il y a plus de 3000 monstres actuellement, avec tous des pouvoirs et des particularités, je ne vous fais pas un dessin sur les perspectives de jeu que ça ouvre… Bref, je suis devenu très très fan de PAD, et je crois que ce n’est pas fini. C’est un gros jeu qui ressemble au début à un petit jeu, mais une fois dedans… une fois dedans, faites-moi signe, il y a aussi du multijoueur très sympa ;)

PS : Pour des raisons de traduction idiotes, il n’est pas sur le google store, mais il se télécharge très bien en apk chez logitheque.com par exemple (en version NA).