Chroniques apocalyptiques, ferroviaires et classes.


Seveneves, de Neal Stephenson.

Attention, Neal Stephenson ne fait pas les choses à moitié : Seveneves est un gros roman de SF qui est au final plus ou moins une trilogie en un volume. Et avec une ampleur non-négligeable. Je vais spoiler un peu, mais pas tellement plus que sur le quatrième couverture, donc si vous voulez la surprise, lisez-le directement, ça mérite. Le point de départ : la dislocation inexpliquée de la Lune. Jusque là, c’est rigolo. Mais très vite, le monde réalise les conséquences : les débris vont finir en pluie de météorites qui va stériliser entièrement la Terre, et pour longtemps. La première partie donc : comment en urgence mettre en place de quoi assurer la survie d’au moins un petit échantillon de l’expèce humaine, en orbite. Avec de chouettes personnages, et une découverte solide et détaillée de l’ISS, de plein de technologie et d’un bon bout de politique. Et c’est très prenant. La seconde partie : comment ça se passe une fois la catastrophe arrivant. Et c’est encore plus de la même chose, et beaucoup plus de tension, de rythme, de surprises, et de science (notamment pas mal de mécanique orbitale). Certes, le sujet n’est pas réjouissant, il y a de quoi vouloir de temps en temps des pauses pour digérer, mais le rythme et la tension sont telles que je l’ai dévoré. Un vrai bonheur de SF apocalyptique ultra-documentée. Et ensuite, une troisième partie très différente : cinq mille ans plus tard, où en est l’humanité. Et on est alors dans de l’anticipation un peu lointaine avec une narration et un déroulement presque plus proche de la fantasy que de la SF. Ce qui n’est pas déplaisant mais j’ai trouvé la transition, après la tension extrême de la partie précédente, un peu difficile en termes d’ambiance et de fil narratif. Mais c’est joli et plaisant quand même, et ça permet de finir sur une note beaucoup plus légère et optimiste. Au final, j’ai vraiment bien aimé, je suis toujours impressionné par Stephenson, mais en étant passionné par les deux premières et beaucoup moins par la troisième (que je trouve cependant nécesssaire, mais à la fois trop et pas assez).


Railsea, de China Miéville.

Plus je lis China Miéville, plus je suis séduit et admiratif. Et je placerai Railsea dans le haut du panier en plus. Annoncé pour jeunes adultes, Railsea est vraiment un pur roman d’aventure pour tout le monde, et tout simplement un petit bijou d’écriture et d’inventivité. D’écriture d’abord parce que China Miéville se fait plaisir dans chaque détail de son texte, dans chaque dialogue, description, ponctuation même. C’est de l’artisanat de l’écriture dans le sens le plus noble, avec une attention joueuse et perfectionniste aux mots et aux phrases. Qui plus est, c’est dans la forme comme dans le propos bourré de références aux grands auteurs de romans d’aventure des siècles passés, mais là encore avec toute la vitalité et la légèreté propre au genre. Mais au-delà de la forme, c’est aussi un bijou en termes d’imagination : un monde baroque, décalé et plein de surprises aussi abracadabrantes que plaisantes. La base même du monde : un monde de rails infinis et entrecroisés, formant une mer d’acier parcourue de trains de toutes sortes, au-dessus d’un sol meuble et dangereux dans lequel une mégafaune extraordinaire est à la fois danger et ressource : on suit pour commencer un jeune apprenti sur un train chasseur de taupes géantes dont la capitaine est obsédée par la poursuite d’une taupe albinos qui lui a dévoré un bras (vous avez dit Moby Dick ? Ce n’est qu’un début, les références et le jeu avec ces références va bien plus loin et est bien plus drole). Et dans cet univers, l’histoire serpente et s’amuse, mais à un rythme calqué sur la course permanente des trains. On y retrouve l’émerveillement et le sourire des grands romans d’aventure, sans retenue et sans honte. Ce serait déjà beaucoup, mais c’est China Miéville : la conclusion de l’intrigue est en plus magnifiquement étonnante et pleine de sens (politique et philosophique). Une petite merveille complètement hallucinée.


La guerre des classes, de François Ruffin.

François Ruffin en a marre : marre de voir en permanence la lutte des classes dénoncée comme périmée, d’entendre qu’il n’y a plus aucune pertinence à penser la division entre capital et travail, et marre de voir que même dans les milieux militants, on n’ose plus utiliser ces grilles d’analyse. Alors François Ruffin écrit, avec colère, avec humour, avec enthousiasme, avec vivacité, pour rappeler pourquoi il est important de continuer à utiliser ces idées, et de les expliquer, et dans la foulée, il le fait et donne un outil de vulgarisation très réussi. Le fait qu’il soit journaliste explique sans doute en partie sa capacité à raconter, rythmer, et dire de manière légère et vivante des choses qui pourraient être lourdes. Et ses racines populaires expliquent sans doute la simplicité et sa clarté. Reste son humour, et sa colère, qui donnent à l’ensemble une vitalité qui fait du bien. On est très loin d’un discours universitaire ou militant soporifique, et bien loin d’un texte déprimant. En rappelant des élements fondamentaux, il redonne l’envie de repartir, aussi dans le discours, de points de base simples et efficaces, transmissibles. Et il dénonce la capacité d’une partie de la gauche à s’auto-saboter en n’osant plus ce discours sous prétexte de complexité, de réalisme, ou autre soumission aux modes médiatiques. Et au passage, le PS en prend pour son argent. C’est un livre qui se lit vite, et sans peiner, et qui redonne de l’énergie. Et de l’espoir aussi, en rappelant qu’il n’est pas si compliqué de pointer quelques éléments simples concernant la répartition des richesses et certaines injustices sociales. Un très bon boulot de vulgarisation, un coup de pied au cul, et un moment de plaisir tout en un.


Ecologie et culture populaire, de Paul Ariès

Paul Ariès s’intéresse à deux choses qui m’intéressent : les cultures populaires et les problématiques écologiques. Mieux, il croise les deux. Son hyppthèse est assez simple : et si les cultures populaires disposaient déjà de manières de vivre et de penser favorables à la transition écologique ? Ce qui est assez raccord avec le constat évident que ce sont les riches (pays comme classes) qui produisent le plus de déchets, CO2, etc. Après un argumentaire général en faveur de cette idée, Paul Ariès déroule différentes thématiques, des champs culturels, et pour chacune de ces thématiques décrit les pratiques populaires, ou tout au moins celles qui permettrait de vivre dans des conditions plus durables. Nonobstant une écriture parfois un peu plate, les idées développées sont très intéressantes, et assez réjouissantes, et donnent complètement envie de le suivre dans cette direction. Elles revalorisent du même coup un certain nombre de pratiques qui sont largement ignorées sinon franchement méprisées. Et rien que pour cette mise en lumière et cette défense des cultures populaires, c’est un livre qui mériterait d’être largement diffusé. Ceci étant, le propos même concernant la tendance écologique des classes populaires n’est pas sans certains paradoxes, que Paul Ariès n’oublie pas entièrement, mais auxquels il répond sans forcément ancrer ses arguments dans des éléments factuels. Ce qui est d’ailleurs le cas de l’ensemble du bouquin, ça manque un peu de données plus solides. Maintenant, c’est une critique tout à fait positive au final puisque ce que je dis en fait c’est : c’est vraiment chouette mais maintenant j’en veux bien plus sur cette idée, et je voudrais que des gens travaillent là-dessus très sérieusement et à grande échelle.


Elite : Dangerous, de Frontier Development.

Que les vieux qui ont joué à Elite en 1984 lèvent la main. J’en suis, hein, je ne me moque pas gratuitement. Elite :  Dangerous est donc la nouvelle incarnation de cette vénérable série de jeux vidéos, avec un graphisme moderne et en multi-joueur en ligne. Le principe de base est toujours le même : vous pilotez un vaisseau de station spatiale en station spatiale, sans autres buts que ceux que vous vous donnerez : faire du commerce, miner les astéroides, bastonner dans l’espace (de diverses manières) ou explorer. Et l’univers est vaste. Et réaliste puisqu’il est calqué sur la vraie voie lactée, au plus proche de ce qu’on en connait (donc : 400 milliards de systèmes stellaires, il y a de quoi explorer, je vous le garantis), mais dans le futur, avec donc quelques centaines de systèmes peuplés, autour du système solaire. Plus qu’un jeu, Elite est un univers bac à sable. Certes, il y a un certain nombre de mécanismes, mais chacun se saisira de ceux qui le tentent : pas de scénario, peu de quêtes dirigées. Vous êtes donc un pilote qui fera ce qu’il aura envie. Ce qui ne conviendra pas à tout le monde, soyons clair. Et vous êtes un pilote, ce sera votre occupation principale, donc il faut prendre plaisir à piloter un vaisseau spatial (et avoir un joystick, sinon, ça va être pénible). De manière générale, c’est multijoueur mais il y a de la place si vous n’avez pas envie d’interagir, riche mais pas forcément très accompagné (il faut vouloir découvrir soi-même comment sa marche) et plutôt relaxant. Le jeu est payant mais sans abonnement, et toujours en développement, avec de gros bouts qui se rajoutent (et qui ajoutent des couches d’activités possibles, politiques notamment, mais sans modifier le fond du fonctionnement, ça enrichit simplement). Et c’est beau. Et tant mieux, parce que le plaisir de se balader dans son vaisseau en profitant des étoiles, planètes, stations spatiales et autres vaisseaux est quand même central. Je suis franchement séduit par le pilotage et le succès graphique, par l’ampleur et le réalisme de l’ensemble et aussi beaucoup par le fait que c’est un jeu dans lequel on joue à son rythme, avec ses objectifs, sans se faire tenir par la main. Ce ne sera pas le cas de tout le monde, mais si ces principes vous plaisent, c’est un bien beau jeu.


Glean, de They Might Be Giants.

A chaque nouvel album de TMBG, il m’arrive un peu la même chose : je l’attends avec impatiance, je l’écoute, je me dis que finalement celui-ci est assez basique et pas forcément si accrocheur, je le réécoute, des chansons me restent en tête, je réécoute, je découvre de plus en plus de finesses, je réécoute, et je finis par le trouver tout aussi excellent que les précédents. Ce qui est symptomatique des grands forces de TMBG : faire de la pop qui ne se la raconte pas, qui semble anodiine et qui est fait hyper léché, pleine de profondeur aussi dans les textes que dans les musiques et arrangements, et varier sérieusement d’une chanson à l’autre alors que d’abord on dirait que non. Je continue donc à être impressionné par la capacité des deux John à se renouveller et varier sans s’éloigner réellement de ce qui fait leur identité. Ils ont une forme de grâce rare. Et une capacité à rester justes et sans aucune prétention (alors qu’honnêtement, ils pourraient se la raconter un peu vu leur production) qui s’entend dans ce qu’ils produisent.  Avec toujours des vrais bouts de nerd souriants. Une villanelle écrite et mise en musique pour médire sur cette forme-là (oui, je suis allé réviser les spécificités de la villanelle, du coup). Bref, je suis fan, je ne suis pas déçu, tout très bien donc.


Game It

Game it est une escape room, à Lyon, à coté du métro Valmy. Qu’est-ce donc qu’une escape room me direz-vous ? C’est une forme de jeu d’énigme/enquête grandeur nature, qui se joue en équipe. Vous êtes enfermés (avec un bouton d’urgence, hein, on est pas chez les sauvages) dans une pièce dans laquelle se trouve objets, meubles à fouiller, énigmes, etc, qui vous permettront de trouver le truc qui vous permettra de sortir. Dans le cas présent : le code final qui ouvrira la porte. La thématique de cette escape romm spécifique : Nostradamus. Et pour le coup, la mise en ambiance est bien réussie et sérieusement soignée (certes, pas à un niveau de maniaque sérieux, mais à un niveau très suffisant pour se plonger dans l’ambiance et trouver ça joli et prenant). Les énigmes et étapes à réussir sont chouettes et assez accessibles. C’est toujours difficile d’équilibrer ce genre de choses, mais en joueur assez efficace de ce genre de choses, j’y ai trouvé mon compte (même si on a fini finalement assez vite par rapport à l’objectif annoncé de sortir dans l’heure), et je pense que ça fonctionne bien avec des gens moins habitués. Accessoirement, l’animateur est en contact avec vous et peut vous envoyer des indices et des encouragements, ce qui permet de réguler la difficulté. Je n’en dirai pas plus pour ne rien révéler mais c’est une expérience vraiment sympa. Certes assez courte, une heure, et un peu chère (une vingtaine d’euros par personne) mais c’est bien foutu et mis en scène, et vous ne le ferez qu’une fois. Si ce genre de format vous intrigue, ou vous branche carrément, je pense que c’est une bonne adresse pour découvrir.