Chroniques cérébrales, hydrogénées et favorites.


The emotional life of your brain, de Richard Davidson.

Richard Davidson est un chercheur et professeur de psychologie américain, avec une certaine carrure. Disons que c'est un peu une pointure dans le domaine, du genre à avoir en bonne partie défini le domaine de recherche qui est le sien. Et son domaine concerne donc la psychologie, mais plus spécifiquement la place des émotions dans le fonctionnement du cerveau, et ce avec une approche très empirique et expérimentale, puisqu'il a également fait partie des pionniers de l'utilisation d'IRM cérébraux. On peut donc dire que son approche marie psychologie et neurosciences. Dans cet ouvrage, il présente une synthèse, accessible et opérationnelle, de ses décennies de recherche dans le domaine. Et c'est passionnant, voire essentiel, tant il a été découvert de choses importantes récemment dans le domaine (et il en reste encore bien plus que ça à décvourir par ailleurs). Il brosse donc un tableau de ce que sont les différents éléments constituant la personnalité et le fonctionnement émotionnel (et ce à partir de ce qu'ils ont pu observer du fonctionnement cérébral, pas à partir de catégories de caractères tirées d'a prioris plus ou moins fondés). La manière dont ils s'articulent permet de comprendre un certain nombre de choses, et il propose des passages d'auto-évaluation pour se positionner rapidement, et réfléchir à son propre fonctionnement. Largement émaillés de parties autobiographiques et d'anecdotes sur ses protocoles de recherche les plus étonnants, ce sont des passages faciles à lire et à assimiler. Ensuite, on avance vers des perspectives plus opérationnelles, c'est-à-dire à la fois des expérimentations et recherches thérapeutiques, et des travaux spécifiques autour de différentes formes de méditation et de leur impact. Ceci débouchant sur des pistes permettant à chacun de travailler sur des aspects spécifiques de son fonctionnement mental et émotionnel, dans la mesure où on en a envie, c'est-à-dire sans du tout essayer de mettre en avant un modèle normatif de fonctionnement. C'est très riche, très éclairant et très convaincant (en particulier pour un rationnaliste comme moi). Je vous le conseille très très fortement, d'autant qu'il a des chances de sortir en français dans des délais pas trop exagérés.


Hydrogen Sonata, de Iain Banks.

Il m'a été difficile de me lancer dans ce roman, comme il m'est difficile de le chroniquer, puisqu'il s'agit du dernier Iain Banks (en science-fiction, en tout cas, en roman classique, il m'en reste un mais je ne sais pas quand j'aurais le dourage de m'y lancer). Mais, ces considérations sentimentales mises en partie de coté, ce fut, comme presque toujours, un pur plaisir de lecture. On retrouve donc l'univers de la Culture, avec une intrigue articulée autour de la fin d'une civilisation, sa Sublimation. On y parle donc de Sublimation, de la fin de civilisations et surtout d'héritages culturels, ce qui, en soi, avec le regard de Banks, est déjà riche et plaisant. Mais ce n'est que la toile de fond de ce qui est au final surtout une grande enquête impliquant des esprits de vaisseaux et des anciens de la Culture. Donc une très belle gallerie d'excentriques de fort beaux gabarit. Et c'est sans doute ce qui m'a toujours le plus plu dans la Culture de Banks, et on en a ici une dose absolument remarquable, avec toujours la même finesse, le même humour et les mêmes références érudites mais jamais mises en avant de manière grossière. L'enquête erre et rebondit, et aboutit à une fin tout à fait satisfaisante, mais franchement, de mon point de vue, ce n'est pas vraiment l'argument central, en tout cas pas le plaisir central. Comme avec Excession, c'est avant tout les personnages, leurs personnalités, bizarreries et dialogues qui font que j'ai eu tant de plaisir à la lecture de ce dernier roman de la Culture. Maintenant, il va falloir que je me fasse à l'idée qu'il n'y en aura pas de suivant...


Lu. L'esprit du poker, de Lionel Esparza

Je ne suis pas particulièrement féru de poker. Pour le dire simplement, un jeu dans lequel il faut mentir et ne pas montrer d'émotions, tout ça pour gagner de l'argent, comment dire... je ne suis pas le public cible. Mais du coup, ça m'intéresse, qui plus est quand l'auteur a une lecture culturelle et largement politique du phénomène poker et de son histoire en général (ce n'est pas pour rien que c'est publié chez Zones (collection que je recommande largement, et qui a d'ailleurs récemment pris l'initiative inédite mais extrèmement réjouissante de mettre un version pdf de tous ses livres en ligne, foncez donc sur leur site)). Lionel Esparza, avec dont une érudition très interdisciplinaire, s'attaque à l'histoire du poker et a son esprit. Il fait donc de manière très détaillée pour ce jeu ce que d'autres auteurs ont fait de manière plus superficielle pour d'autres jeux, traditionnels en général : analyser les valeurs que véhiculent ce jeu, la culture qu'il véhicule et qu'il transmet et la manière dont il a évolué et s'est adapté à des époques et contextes différents. Et il fait ça très bien. La description des fondements historiques et de l'évolution du jeu est très documentée et fine, et j'y ai appris beaucoup de détails très intéressants. Le regard sur les spécificités des joueurs et leur culture, c'est-à-dire ce qui est nécessité et valorisé pour jouer au poker est éclairant et là encore bien documenté. Enfin, le lien fait avec le libéralisme et le discours idéologique, voire largement politique, du poker et autour du poker, sont certes nettement engagés, mais aussi assez clairement argumentés et difficiles à réfuter tant le poker est le jeu d'une idéologie. C'est donc un excellent ouvrage, qui plus est facile et agréable à lire, à la rencontre de la réflexion politique et de l'érudition ludique, ce qui vise certes un public spécifique, mais là je suis pile dedans.


Lu. La favorite, anonyme.

Oui, on me fait parfois des cadeaux magnifiques (merci Zog), et ce tome immortel en fait partie. Cinquième de la collection : les grandes pécheresses de l'histoire, il raconte donc la vie et les péripéties de la marquise de Montespan, favorite de Louis XIV. Je ne peux pas dire que j'abordais ce livre sans a prioris, mais il s'est révélé au final bien moins mauvais que ce que j'aurais pu craindre. Parce qu'en fait, il est quand même très raisonnablement bien écrit, bien que ce soit par un auteur resté anonyme. Bon, c'est une biographie rapide et pas forcément très très exacte ou documentée, mais rien d'abherrant, rien de vulgairement exagéré (ni de très explicitement sexuel d'ailleurs, même si il est clairement évoqué ses amours, voire quelques moments ou elle montre ses miches). Et ce n'est pas très long, tout en retraçant globalement le parcours depuis la volonté de la marquise de grimper à la cour jusqu'à sa fin, donc ça reste relativement vif et entrainant. Bon, ce n'est pas une lecture que je peux honnêtement recommander directement, mais franchement, c'était une lecture amusante et sympa.


Vu. Treme, saison 4.

Cette saison a failli ne pas exister et elle a finalement du être raccourcie pour être effectivment réalisée. Elle ne comprend donc que cinq épisodes, soit une petite moitié des précédentes. On pourra regretter cette durée, mais je suis moi surtout réjoui que nous ayons ainsi pu avoir une vraie conlusion à cette très belle série. Enfin, conclusion... on est pas dans un film d'action, rien n'explose à la fin, chacun continue sa vie et la ville de la Nouvelle Orléans continue à se reconstruire. Ce qui est bien la thématique de fond de la série depuis le début, et cette dernière saison ne déçoit pas, elle reste parfaitement cohérente en termes d'ambiance et de parcours, et, bien évidemment, de musiques, avec toujours autant de découvertes que l'on a envie de creuser ensuite. Certes, certaines choses touchent à leur fin, et il y a des moments vraiment tristes, et beaux, mais l'impression d'ensemble est bien justement celle de la vie qui continue, et de vies qui continuent à se reconstruire avec la ville après la catastrophe. Une série de petites victoires donc, où chacun progressivement retrouve un peu mieux sa place et avance. Et c'est beau. D'autant plus parce que ça change des modèles narratifs trop classiques avec chute et péripéties téléguidées. Et que tous les personnages et thématiques abordées pendant les saisons précédentes sont repris et au moins cités pour les tisser dans cette saison de conclusion. Je vous en avais fait la promotion précédemment, et maintenant que c'est terminé, je peux vous le confirmer : c'est une très belle série, riche et humaine, qui mérite de prendre le temps de la regarder, de l'écouter et de la savourer.


Ecouté. Dimanche, d'Oldelaf.

J'avais déjà beaucoup aimé le précédent album d'Oldelaf, et celui-ci me confirme cette bonne impression. On y retrouve effectivement ce mélange de textes parfois touchants, parfois drôles et bêtes, et de vraies musiques variées et riches. Oldelaf chante bien, et joue bien. Il sait aussi s'entourer pour varier ses approches musicales et ne pas rester toujours dans le même style. Je suis, comme toujours, particulièrement sensible aux textes, et j'aime la manière dont il écrit, sans faire de manières mais avec pourtant de vrais morceaux de bravoure, de vrais exercices de style tout à fait réussis (Kleenex par exemple, si vous avez l'occasion de jeter une oreille, qui combine exercice de style inattendu et décalé avec une vraie émotion). C'est donc un album vivant et varié, doux-amer souvent, à la mesure du précédent, et auquel ça vaut le coup de jeter au moins une oreille atentive pour voir (attentive parce que certaines chansons méritent de saisir certaines finesses pour être appréciées). Il est sans doute un peu moins débilo-rigolo que le précédent, par contre, mais j'ai compensé en achetant du même coup sur son site les albums précédents de ce monsieur, sous le nom Oldelaf et Monsieur D. Et si on y retrouve la même compétence musicale, le registre est par contre joyeusement à la con, pas très éloigné des pistes cachées des fatals picards auxquelles il a par ailleurs participé.


Vu. Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson.

Grand Budapest Hotel est un vrai film de distraction, et en même temps il a des qualités telles qu'il mérite une attention plus qu'anecdotique. Il s'agit d'un récit téléscopant les mêmes lieux et personnages à plusieurs époques, en Europe Centrale. Même si le pays est officiellement fictif, on y retrouve de manière tellement marquée l'ambiance de la mitteleuropa que cette époque et cette culture sont presque le sujet principal du film. Et c'est d'ailleurs en grande partie ce qui fait que j'ai autant apprécié. C'est excessivement rafraichissant et dépaysant, et ça change de manière salvatrice des ambiances américaines ou trop proprement européennes. Dans ce cadre, on suit les péripéties abracadabrantes et picaresques de plusieurs personnages, mais principalement de Monsieur Gustave, concierge de l'hotel, et de Zero, son protégé. Les acteurs jouent parfaitement, dans une démesure parfaitement adapté au style et au propos, et on rit autant qu'on est ému. Effectivement, alternent des scènes décalées et extrèmement drôles (avec des mises en scènes et des techniques très variées, ce qui ajoute à l'intérêt et à l'amusement) et des scènes authentiquement profondes et émouvantes (sans pour autant qu'elles se prennent excessivement au sérieux). Une fresque bigarrée donc, que j'ai vraiment beaucoup aimée.