Chroniques vides, pleines et peu glorieuses.


Lu. Le vide et le plein. De Nicolas Bouvier.

Il est des auteurs dont j'ai l'impression de vous faire l'éloge chaque fois que j'en parle. C'est le cas de Nicolas Bouvier (mais aussi de Baricco juste en dessous), et c'est mérité. Chacun de ses livres est un émerveillement, et celui-là peut-être plus encore que les précédents. De fait, le Vide et le Plein est un carnet de voyages (enfin, un sélection parmi ses carnets de voyages) du Japon, de son second (long) séjour au Japon, entre 1964 et 1970. On y retrouve toute la finesse, l'humanité et l'humour de Bouvier, dans le regard qu'il porte sur le pays et ses habitants. De nombreux anecdotes mais aussi une compréhension très profonde et très fine de ce pays. Et tout cela écrite avec un talent impressionnant, une maitrise de la langue exigeante et légère. Mais ce n'est pas tout. Car le vide et le plein est un livre plus personnels que ses autres carnets de voyages, plus profond aussi certainement, puisqu'on y trouve aussi de nombreux passages où Bouvier raconte sa vie, ses émotions, sa famille, ses hésitations. On découvre l'homme autant que le pays qu'il visite, et c'est d'ailleurs bien sa conception du voyage, non pas d'aller voir, de faire un pays, mais de s'y laisser toucher, changer, bouleverser. Et, de fait, Bouvier arrive à transmettre avec beaucoup de finesse mais aussi beaucoup de force, ce qu'il ressent, et à en tirer des observations extrêmement profondes et marquantes, sur le voyage, sur la vie, sur l'amour, sur tout ce qui nous fait humains. Un livre vraiment superbe, autant pour le regard porté sur le Japon que pour l'humanité et la finesse de Bouvier lui-même.


Lu. Cette histoire-là. De Alessandro Baricco.

Ils sont rares les écrivains dont l'écriture m'émerveille mais là... une fois de plus, Alessandro Baricco me... oui, ben, après des livres comme ça, il n'est pas si facile d'écrire, je vous le dis. Pourtant, au départ, Baricco parle de voitures, autant vous dire que ce n'était pas gagné. Sauf que non, les voitures ne sont en rien importantes, ce sont des gens qu'il s'agit, et du sens qu'ils donnent, ou qu'ils peuvent donner à leur vie. Et c'est splendide, léger, touchant, profond, sans jamais être niais ni facile. Au contraire. C'est un livre qui, dans le style, dans la construction, prend des risques, et même beaucoup. Parce que la construction n'est en rien linéaire, et le style lui-même change, s'adapte aux nombreux narrateurs, dont aucun n'est le personnage principal. Il n'est même pas très souvent là. Sauf que si, ce n'est même que de lui qu'on parle à travers cette mosaïque étrange. Et d'autres s'y seraient cassé les dents, sauf que Baricco a une telle écriture, et une telle capacité à toucher et à construire en même temps, qu'il emporte avec lui, sans hésitation, sans possibilité d'échapper à cette histoire qui se construit sans même être vraiment là. Et comme le fond est à la mesure de la construction et du style, je me vois dans l'obligation de vous le conseiller fermement. Comme un peu tout ce qu'il a écrit (sauf l'Iliade, à réserver à ceux que le thème intéresse vraiment), cela vous fera sourire, et sans doute pleurer aussi, mais avec le sourire. Que demander de plus.


Lu. The Geek's guide to world domination. De Garth Sundem.

Ne vous fiez pas au titre, il n'y a que le mot geek de vraiment pertinent. Et il l'est entièrement puisqu'il s'agit d'un fourre-tout, de type miscellanées, de références, connaissances, énigmes et amusements de geek. Oui, de vrai geek, avec par exemple une entrée sur l'équilibrage des équations de réactions chimiques, avec jeu-exercice (dont la correction précise : si ça vous a amusé, vous êtes un vrai geek. Je plaide coupable). Il y a vraiment de tout, mais pas grand chose pour dominer le monde. Par contre, pour se distraire, s'émerveiller (de connaissances inutiles majoritairement, hein, en bons geeks), c'est absolument parfait. Je vous donne quelques exemples parmi d'autres : des statistiques sur les amputations de doigts, une analyse des stratégies de sudoku, le code des drapeaux marins, comment mesurer votre densité corporelle, des astuces de calcul mental, les épées les plus célèbres, quatre recettes utilisant uniquement de la farine, des oeufs, du lait du beurre et de l'eau, les partitions en touches de téléphone de chansons célèbres, les trois étapes d'un exorcisme, Richard Feynman et l'ouverture des coffre-forts, etc. Chaque entrée faisant une demi-page, en moyenne, avec presque 250 pages, il y a de quoi s'occuper. Que dire de plus si ce n'est que c'est de qualité, fait par un vrai geek et que ça se sent, et que c'est un plaisir évident pour ceux qui se reconnaitront dans ce genre de choses.


Lu (BD). Le voyage des pères 2 : Alphée. De David Ratte.

J'avais beaucoup aimé le premier tome de cette série se déroulant en Judée pendant la vie du christ. Les pères de plusieurs apôtres partent à la recherche de leurs fils, disparu à la suite d'un illuminé qui se prétends fils de dieu. On continue ici la suite de leurs voyages, dans le même ton que le premier tome, c'est à dire en ne voyant le christ et ses miracles qu'indirectement, ce qui fonctionne très bien. Les dialogues sont toujours très drôles et décalés, avec pas mal de clins d'oeil modernes, presque trop à mon goût, et d'engueulades colorées. C'est là que c'est à mon sens moins bien que le premier : on est moins surpris et ces aspects là prennent plus de place, en laissant moins pour l'histoire elle-même, et la finesse avec laquelle est traitée le cadre historique. Bien sur, les personnages sont sympathiques et on prends plaisir à les voir évoluer, mais tout de même, j'aurais préféré un équilibre plus en faveur de l'histoire et des lieux. Ca n'empêche pas de passer un très bon moment et d'avoir envie de la suite, d'autant qu'on finit sur un cliffhanger, mais je trouve ça plus mou et moins exceptionnel que le premier. Maintenant, les dessins sont toujours superbes, paysages comme personnages, et ont toute la place qu'il leur faut, avec beaucoup de douceur dans le trait et de très belles couleurs. Une suite agréable donc mais pas exceptionnelle.


Vu. Inglourious Basterds. De Quentin Tarantino.

Quentin Tarantino peut-il tout se permettre ? C'est un peu la question qu'on se pose en sortant de ce film. Et j'aurais tendance à dire que quand il s'y prends avec autant de maitrise et d'humour : oui. Je vais essayer de ne pas spoiler cependant. Il s'agit donc d'un (long) film sur la seconde guerre mondiale. Enfin, avec la seconde guerre mondiale comme cadre parce qu'on est pas dans du film historique réaliste. Non, non, on est là pour se faire plaisir et en faire des caisses, quand même, il faut le reconnaître. On suit donc les aventures de Shoshanna, jeune juive ayant échappé au massacre de sa famille, et des Basterds, une unité américaine composée de soldats juifs (sauf le lieutenant, joué par Brad Pitt, caricatural et absolument splendide) ayant pour but de terroriser les nazis en les massacrant de manière cruelle. Les deux finiront par se rejoindre, mais pas rapidement. C'est un film en plusieurs chapitres, avec un montage tarantinesque, grand spectacle, décalé. Et en ce qui me concerne, ça fonctionne parfaitement. Mais il faut se dire que ce n'est pas sérieux et pas avec une volonté de film historique. Ca massacre donc, ça envoie du dialogue mémorable et parfois long, ça part dans tous les sens, avec des vrais moments de violence au milieu de tout ça. Et ça fonctionne vraiment. Comme quoi, Tarantino maitrise son machin, mais non sans risques et non sans culot, ce qui est un vrai plus pour ceux avec qui ça fonctionne, mais ce ne sera peut-être pas le cas de tout le monde.


Joué. Kakerlaken Poker. De Jacques Zeimeit.

Le poker des cafards est un tout petit jeu de bluff et de méchanceté des plus sympathiques. Il ne faut pas s'attendre à un système très compliqué, mais c'est aussi un avantage tant il est rapide d'expliquer comment ça marche et de commencer à jouer : chacun essaie de refiler à ses voisins diverses bestioles (cafards, puces, scorpions, araignées, crapauds, etc, huit types en tout). Dès qu'un joueur se retrouve avec quatre bestioles similaires, il a perdu. C'est donc un jeu avec un perdant et plusieurs gagnants, j'avais prévenu que c'était méchant. Pour refiler ses bestioles, on les propose face cachée en annonçant de quelle bestiole il s'agit. Le joueur à qui elle est offerte dit vrai ou faux, et si il a raison, c'est le donneur qui récupère la bestiole devant lui, sinon, c'est celui qui reçoit qui la récupère. Autre option, le receveur peut ne rien dire, regarder la bestiole et la transmettre à un autre joueur en disant à nouveau de quoi il s'agit (mais pas forcément la même chose que ce qu'avait dit le précédent). C'est tout simple mais ça tourne très bien, avec pas mal de stress et un système basé fondamentalement sur du bluff direct. Facile, se joue jusqu'à six, méchant et drôle, un bon petit jeu.