Chroniques vaincues, sombres et humaines.



Lu. La mémoire des vaincus. De Michel Ragon.

La mémoire des vaincus est une biographie, mais celle d'un personnage dont le nom réel ne sera pas révélé, et finalement, c'est aussi bien comme ça puisqu'elle ne raconte pas seulement, voire pas vraiment, la vie d'un homme, mais plutôt l'histoire des luttes libertaires pendant la première moitié du vingtième siècle. Une biographie du mouvement anarchiste, pourrait-on dire, ou tout au moins d'une partie de ce mouvement, de sa participation aux grands bouleversements politiques du début du siècle. En effet, après un rapide passage de la bande à Bonnot, c'est d'abord à la révolution russe qu'on va s'intéresser, et à l'éviction progressive des libertaires de la révolution, du gouvernement, puis du pays (comme d'ailleurs, la plupart des opposants réels ou fantasmés du Parti et de son/ses dirigeants). On plonge donc dans les détails de la mise en place du gouvernement bolchevik, des luttes de pouvoir, des interrogations sur les orientations à prendre, de l'intérieur. C'est d'une part très intéressant de manière générale, et d'autre part passionnant (et déprimant, et énervant, et tout plein d'autre chose du même accabit, mais c'est aussi motivant) pour peu que vous ayez un minimum de sensibilité pour les idées et valeurs libertaires. Bien sur, ça ne finit pas tellement bien, et ça ne finira pas non plus bien ensuite dans le cadre de la France puis de l'Espagne, voire de l'Europe entière. Le titre n'est pas usurpé. Mais n'empêche, comme pour Land and Freedom, ça donne surtout envie de se lever et de continuer à bouger et à y croire, justement. C'est vraiment un livre que je recommande très chaudement, et qui peut tenir lieu d'introduction ou de condensé de l'histoire libertaire sur cette période. Comme c'est romancé et que ça suit spécifiquement la vie d'un personnage attachant, c'est en plus plaisant et prenant à lire, et ça vous donnera peut-être envie, comme à moi, d'en lire plus et plus factuel sur certaines périodes et personnages.


Lu. The speed of dark. D'Elizabeth Moon.

The speed of dark est un roman étrange en ce qu'il traite de l'autisme (de haut niveau, une fois de plus, asperger, tout ça), mais dans un cadre et une perspective de science-fiction. Science-fiction proche, certes, puisqu'on est dans un monde qui ressemble largement au monde contemporain, mais science-fiction tout de même puisqu'il s'agit notamment d'envisager les répercussions d'un traitement de l'autisme, et ce à l'age adulte. Ce n'est pas l'argument de départ, mais c'est le point central vers lequel mène le récit. Et le récit est raconté par un narrateur autiste, certes très sociabilisé et ayant déjà eu des traitements et un suivi très en avance sur ce qu'il se fait aujourd'hui, mais néammoins autiste. On retrouve donc une partie de l'intérêt et du charme d'un livre comme « Le bizarre incident du chien pendant la nuit » mais avec une perspective adulte et plus atténuée, et donc sans doute plus facile à comprendre et à pénétrer. L'histoire étant bonne et les personnages attachants, ça fonctionne très bien et c'est tout à fait prenant, en menant à la question finale : prendre le risque d'un traitement ou non, dans quel mesure l'autisme du narrateur le définit-il et fait-il sa personnalité, son identité ? Et c'est traité avec intelligence, et avec une belle fin même si ce n'est de loin pas la partie que j'ai préférée.


Lu. Le festival de la couille (et autres nouvelles). De Chuck Palhniuk.

Au-delà d'un titre drôle et un peu racoleur, il s'agit d'un recueil de nouvelles de Chuck Palahniuk, auteur que j'apprécie de plus en plus (je vous avais parlé de Choke, et c'est aussi l'auteur de Fight Club). Des nouvelles sur tout et n'importe quoi, à première vue, mais avec une vraie substance commune, une vraie interrogation : ce que les gens sont prêts à faire pour simplement se retrouver ensemble, ne pas être seuls, ou justement pour supporter de l'être. Parce que ce n'est pas parce que Palahniuk écrit bien qu'il oublie le fond, ni qu'il manque d'humour d'ailleurs. Trois parties ici : des nouvelles sur des activités de groupes plus ou moins inattendues et barrées (des combats de moissoneuses-batteuses par exemple, ou le festival de la couille justement), des nouvelles sur des gens un peu fous mais tout seuls dans leur coin, notamment des constructeurs de château (je précise pour les spécialistes, on est très loin de la reconstitution, plutôt dans le carton-pâte) et enfin des portraits de célébrités. Il se trouve que les portraits m'ont laissé dubitatifs, sur le fond comme la forme, mais ça reste plus intéressant que ce qu'on trouve majoritairement dans les magazines. Quant au reste, j'ai vraiment beaucoup aimé, une fois de plus, le style, la vivacité et l'humour cruel et lucide de Palahniuk, tout autant que le fond de ce qu'il explore et la bizarrerie de ce qu'il raconte.


Lu. Le pavillon des hommes. De Fumi Yoshinaga.

Le pavillon des hommes est un manga qui, sans se détacher vraiment des codes et schémas classiques, réussit à être vraiment original dans son propos et son idée de fond. L'histoire se déroule à la période Edo gobalement (d'un tome à l'autre, on passe quelques décennies), mais dans une uchronie dont le postulat est le suivant : une épidémie touche les hommes, uniquement, et à très grande échelle, laissant les femmes prendre progressivement leur place à tous les niveaux de la société. En particulier, le Shogun devient une Shogun (avec une transition intéressante qui est l'objet du second tome justement) et le pavillon des femmes, des concubines du Shogun, devient de fait le pavillon des hommes, dans lequel vivent les plus beaux et nobles jeunes hommes de l'Empire, dans l'oisiveté et les jalousies. Un vrai Harem masculin donc, dans un monde féminin et japonais, vous reconnaitrez quand même que c'est une base pour le moins intrigante. A partir de cette idée, chacun des tomes raconte l'histoire de quelques personnages, à une période donnée, et de manière raisonnablement finie (ce qui est quand même agréable, on évite la série sans fin), dans et autour de ce pavillon cloitré. L'inversion des rôles n'est pas soulignée lourdement mais c'en est d'autant plus efficace et malin, et les histoires sont bonnes, sans être d'une originalité fracassante, avec un dessin que je trouve tout à fait agréable et réussi. Je ne sais pas ce que donnera la suite mais ces deux premiers tomes méritent largement votre attention.


Vu. Being Human. De Toby Whithouse.

Mitchell et George, grouillots à l'hôpital de Bristol, décident de louer un appartement ensemble. Mais dans l'appartement en question sévit Annie, fantôme fraichement décédée. Si Mitchell n'avait pas été un vampire et George un loup-garou, ça ne serait sans doute pas bien passé. Mais là, si. Enfin... bien, c'est loin d'être simple. En six épisodes, cette série britannique s'interroge et nous interroge sur ce que c'est qu'être humain, sur la différence, sur le fait d'accepter l'autre et de s'accepter soi. C'est court mais c'est très fort, notamment parce que les scénaristes ont fait un boulot remarquable et eut un courage rare dans les thèmes abordés et la manière de les traiter. Ce qui n'enlève rien au rythme, ni à l'humour ni à la finesse des personnages auxquels on s'attache rapidement. Accessoirement, le fait que soit anglais, et de manière visible à tous points de vue, plutôt qu'une fois de plus américain, rajoute en ce qui me concerne un charme certain. C'est un série qui a des choses à dire, des questions à poser, sans virer au sermon ou à la diatribe, et c'est donc une série où, malgré un vampire, un loup-garou et une fantôme, il ne faut pas venir pour des effets spéciaux, des super-pouvoirs ou de grands moments d'action. Il y aura une seconde saison, mais la première tient debout toute seule (si ce n'est deux ouvertures vers une suite dans les dernières minutes) et est vraiment excellente.


Joué. Victor et le château aux mille miroirs. De Inka et Markus Brand.

J'attendais la sortie de Victor depuis un petit moment tant il est vrai que j'apprécie les jeux utilisant un matériel et un mécanisme inattendu et original. Il s'agit ici d'utiliser les reflets de plusieurs miroirs pour réussir à repérer tel ou tel objet. La boite du jeu sert de plateau fermé, avec un trou dans un des cotés, et des fentes sur le dessus permettent de placer des miroirs afin qu'on voie par le trou, dans leurs reflets, les objets disposés sur les faces intérieures de la boite. Et ça fonctionne très bien, avec quatre miroirs, l'image est claire pour peu qu'on ait un peu de lumière. Pour ce qui est du jeu, il s'agit d'un jeu de mémoire puisqu'il faut se rappeler où est l'objet à trouver à ce tour et arranger les miroirs pour qu'il apparaisse par la fenêtre. C'est difficile, niveau mémoire, mais malin, avec en plus un système de paris sur le succès des adversaires. Un peu lourd peut-être comme mécanismes mais sans vrais problèmes. La question que je me pose est par contre celle de l'intérêt des miroirs eux-mêmes, au-delà du fait que c'est attractif et intriguant. Disons que pour le peu d'expérience que j'ai du jeu jusque-là, soit on saisit comment fonctionnent les reflets (et il ne s'agit que d'angles droits donc pas d'évaluations complexes en perspective), auquel cas les miroirs font joli et ne rajoutent rien au jeu, soit pas et ça devient très aléatoire. J'imagine qu'avec certaines tranches d'age, ça doit pouvoir fonctionner, c'est-à-dire garder une part de challenge sans réussir à chaque fois ou être totalement aléatoire, mais je crains que ce ne soit un créneau assez fin. Maintenant, c'est joli, original et attractif.