Chroniques voleuses, scarifiées et cubiques.



The quantum thief et The fractal prince. De Hannu Rajaniemi.

Hannu Rajaniemi, inconnu jusque là, frappe fort avec ces deux premiers romans (qui auront une suite que j'attends avec impatience, tant tout cela n'est pas fini). Il s'agit de science-fiction, mais dans la catégorie transhumaine, voire post-singularité, c'est-à-dire très loin dans le futur, notre monde étant un vague souvenir, avec des factions humaines constituées notamment en fonction de leur rapport au virtuel, et surtout à la manière dont ils manipulent leur esprit (en faire des copies ou pas, le découper et lui ajouter des morceaux ou pas...). Et Hanni Rajaniemi fait un travail impressionnant. Il réussit à construire un monde complexe mais sans qu'on s'y perde, avec des personnages attachants et extrèmement complexes, mais aussi de vrais scénarios d'intrigues imbriquées et retorses qui donnent un crédit total aux personnages en question et à leur complexité, intellectuelle, mais aussi émotionnelle. Dans le premier tome, avec plutôt une thématique Arsène Lupin, qui fonctionne très bien et qui fait du personnage principal quelqu'un qu'on a envie de suivre, ce qui tombe vu qu'on le retrouve, avec d'autres, dans le second tome. Ce dernier est un hommage aux contes des mille et une nuits, entre autre nombreuses choses, et ajoute aux atouts du premier une poésie évidente, mais aussi une trame de fond philosophico-politique digne des grands classiques de la SF. Tout ça en restant vif et léger. Non, vraiment, ce sont deux bouquins excellents, et je n'attends que la suite, et éventuellement fin pour vous confirmer la nécessité de les lire.


The Scar. De China Miéville.

The Scar est la suite, de loin, de Perdido Street Station. La suite au sens où il s'agit du même monde, et qu'il y a une continuité chronologique, mais de loin au sens où on va là faire du bateau et laisser New Crobuzon assez loin (même si politiquement, on en parle quand même). Mêmes points forts que le précédent : un monde riche et complexe, qui arrive à être puissamment baroque sans verser dans le ridicule (alors qu'avec des hommes cactus, hein, c'était quand même pas gagné) ; des personnages fort ; de nombreuses surprises et créations étranges et sombres et poétiques et finalement pleines de sens (symbolique entre autre) ; et un scénario de longue haleine avec des tours et détours. Il a également les faiblesses de son prédécesseur : c'est dense, et il faut s'accrocher un peu pour passer les 50-100 premières pages et réussir à rentrer vraiment dedans. Mais ça mérite l'effort. En effet, c'est une vraie plongée dans un univers de pirates baroques, de plans dans les plans, de créatures marines pas tellement rassurantes, de manipulations, de trahisons, d'amours tordus et de rêves de refaire le monde. C'est du China Miéville donc, c'est riche, c'est fort, c'est torturé et ça ne laisse pas indifférent. Et, sans spoiler, son choix de fin est à mon sens très bien amené et fonctionne mais aurait pu, moins bien construit, tomber très à plat, ça s'est déjà vu. Bref, si vous avez aimé Perdido Street Station, vous pouvez continuer tranquillement avec celui-ci.


Joué. Love letter. De Seiji Kanai.

Love Letter est un tout petit jeu : seize cartes au total, et seulement huit différentes. Et pourtant, ça envoie. Il s'agit d'un jeu, on s'en doute, d'une grande simplicité formelle. C'est expliqué en trois minutes, plus la même durée pour faire une partie d'essai. Mais avec si peu, les variations et le renouvellement de l'intérêt des parties est impressionnant. Le thème : à la cour royale, vous essayez de faire passer vos lettre d'amour à la princesse. En pratique, vous avez en main une carte personnage (le porteur de la lettre). A votre tour, vous piovhez une seconde carte et choisissez parmi ces deux une que vous jouez pour appliquer son effet et une que vous gardez en main (le porteur, toujours). Tout se joue donc sur l'interaction des effets de cartes, et le fait de deviner quel joueur à quelle carte. On élimine ou est éliminé souvent (mais avec des parties de quelques minutes, ce n'est en rien frustrant), et les joueurs qui restent en fin de partie comparent leur carte en main, la plus grosse l'emportant. Il faut essayer Love Letter. Parce que c'est une excellent jeu, facile et rapide (et addictif). Parce que si vous vous intéressez quelque peu aux jeux et au game design, c'est une leçon de sobriété et d'efficacité.


Joué. Dominare. De Jim Pinto.

Dominare est un gros jeu, disons-le tout de suite. Pour des joueurs donc ayant envie d'un jeu de deux-trois heures, avec pas mal de choses dedans, et notamment une part de chaos et de visibilité limitée. On y joue chacun une conspiration qui va tenter de prendre le contrôle d'une cité-état (Tempest, puisque l'éditeur publie une série de jeux dans le même monde). Cette conspiration est constituée de personnages qu'on révèle progressivement, personnages donnant diverses possibilités d'actions permettant notamment de prendre le contrôle de différentes parties de la ville (avec des petits cubes donc). Et ce coté personnages et pouvoirs multiples donne une complexité au jeu que j'apprécie grandement, mais aussi, et c'est également important en ce qui me concerne, une ambiance et une adéquation théme et mécanismes très agréable. D'autres mécanismes renforcent astucieusement cet aspect, en particulier le fait que plus votre conspiration est constituée de personnages puissants et donc visibles, plus elle va se faire taper dessus par les différents évènements. A mon sens, Dominare est une réussite. On pourra lui reprocher le fait de ne pas être plus lisible en cours de partie, mais cela fait complètement partie de l'intérêt en ce qui me concerne, et les incertitudes que cela créé sont pour moi bienvenues. Bref, amateurs de gros jeux, venez essayer Dominare.


Joué. Lords of Waterdeep. De Peter Lee et Rodney Thompson.

Un jeu de plateau dans l'univers des Royaumes Oubliés (Donjons et Dragons, trade mark, copyright, tout ça, tout ça), et réussi pour le même prix, oui, de nos jours tout est possible. Lords of Waterdeep est un jeu sur la base classique du placement d'ouvrier, ces jeux où vous disposez de petits bonhommes que vous envoyez réaliser différentes actions. Ici, ce sont vos agents, et ces derniers vont en particulier recruter des aventuriers (sous forme de cubes de couleur malheureusement, mais au vu de la quantité, c'était la seule solution viable) que vous allez ensuite envoyer sur des quêtes plus ou moins épaisses. Oui, rôlistes de donjons, ce jeu vous met dans la peau de vos employeurs habituels (et, oui, on stocke les aventuriers en partance à l'auberge) et c'est bonheur. Sur cette base s'ajoutent un certain nombre de détails, constructions de batiments ajoutant des possibilités d'action, cartes intrigues permettant diverses magouilles et objectifs cachés. Et tout cela tourne fort bien. Qui plus est, et c'est un gros atout, le thème est présent et fonctionne très bien, ce qui a deux gros avantages : c'est immersif et ça rend la compréhension des mécanismes faciles et assez spontanées (pour un jeu pas si petit au final). Qui plus est, le nombre de quêtes et d'options de jeu permet une grande rejouabilité sans avoir l'impression qu'il se passe la même chose. Pour finir, un mot sur la boite : elle est grande et d'un format standard de rien du tout, c'est relou, et le thermoformage est tellement détaillé et précis que c'est un peu pénible de remettre tous les pions dans leur petit logement (et en plus, si on bascule la boite, la moitié s'évade quand même). Mais au-dela de ce pinaillage, c'est un fort bon jeu, honnêtement accessible pour des joueurs motivés par le thème et pas forcément habitué à ce format.