Chroniques ambassadrices, cajun et orlanthi.


Lu. Reamde, de Neal Stephenson.

Reamde est un gros volume, d'un auteur connu, et apprécié, pour ses fresques pleines de références historiques et techniques, et s'éloigne relativement de ce que j'attendais de lui, ce qui est finalement la seule chose que je peux vraiment lui reprocher. En effet, j'en sors avec un certain nombre de regrets, alors qu'objectivement, c'est un très bon bouquin. Si vous êtes tentés par un gros roman d'espionnage/action avec une petite sous-couche liée au monde du jeu vidéo en ligne, c'est même excellent. Pour tout dire, j'aurais préféré l'inverse, tant les idées que Stephenson commencent à développer concernant l'avenir des MMO et leurs dérives sont passionnantes. Mais elles passent vite au second plan, et disparaissent même complètement au final. Ce deuil fait, cependant, je redis que c'est un excellent roman, très rythmé et plein de rebondissements, très documenté et riche de détails (sur la chine, les armes, le terrorisme, les avions, etc etc), avec des personnages variés, riches et amusants. Et attachants aussi, sans aucun doute, avec même des petits cotés conte de fée qui m'ont amusé (mais qui restent suffisament fins pour bien passer à mon sens). Si, donc, vous avez envie d'une grosse lecture dépaysante et rythmée, vous pouvez y aller très tranquillement, c'est de la belle ouvrage, mais n'allez pas y chercher de la SF ou même trop d'anticipatin technico-vidéo-ludique.


Lu. Embassytown, de China Miéville.

Embassytown est un roman étrange et fascinant. Embassytown est un roman de China Miéville. Ces deux phrases sont dans mon expérience synonymes. Cette fois-ci dans un cadre de science-fiction, on retrouve les ambiances étranges qu'il aime développer et des personnages complexes et riches. C'est de la vraie science-fiction à plusieurs titres. D'abord parce que ça se passe loin dans l'espace et loin dans le futur, avec des aliens bizarres et tout ce genre de choses. Mais aussi, et surtout, parce que tout cela n'est qu'une excuse pour se projeter dans des réflexions à longue portée sur les tenants et les évolutions possible d'une science ou d'un champ scientifique. Ce qui est inattendu et particulièrement riche, c'est que la science en question, c'est la linguistique, avec donc de grandes interrogations sur ce qu'est le langage, et en particulier les métaphores et le mensonge. Partant de là, vous vous doutez bien qu'il ne va pas s'agir de se tirer dessus avec des lasers à travers l'espace, même si ça bouge largement. La principale difficulté de ce livre vient sans doute du fait qu'il faut réussir à entrer dedans, avec son vocabulaire et ses références nombreuses et bizarres, d'autant que China Miéville ne fait pas d'efforts démesurés pour tout expliquer au début (ce qui en termes de rythme et de qualité littéraire se justifie complètement ici). Maintenant, si vous réussissez à entrer dedans et que vous aimez les bouquins riches et originaux, vous en aurez pour votre argent. Et tout ça ne fait que me confirmer l'intérêt de continuer à explorer ce qu'a écrit China Miéville jusque là.


Lu. Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps. De Laurent Queyssi.

Je ne connaissais pas du tout Laurent Queyssi et je remercie donc François pour cette découverte. Laurent Queyssi écrit de la science-fiction, et ce avec des idées et un style joyeusement barré et plein de références, notamment musicales, que je trouve largement réjouissantes. Il s'agit ici d'un recueil de nouvelles, dans des styles assez différents, mais toutes réussies et avec des thèmes forts. Et avec de l'humour aussi. Et autant je lis finalement peu de nouvelles, parce que je trouve souvent la formule un peu mécanique et répétitive, autant là, je dois bien reconnaître que si la forme est maitrisée, elle est déclinée de manières variées, et avec des thèmes inattendus et suffisamment arrachés pour que ça se renouvelle largement. Vous pourrez donc voguer de voyages dans le temps (avec sale gosse égoïste et millionnaire inside), à un monde dans lequel chacun vit d'un sponsor produit (et éventuellement seulement de ça), à la résurrection d'un groupe de rock mythique, et ce toujours avec une écriture mouvante et renouvelée. Je pense donc que j'essaierais dans pas trop longtemps un format plus long de cet auteur.


Lu. La Bourse du Travail de Lyon, de David Raffe.

Cet ouvrage propose une description et une analyse de l'histoire de la Bourse du Travail de Lyon, de ses origines à la première guerre mondiale. On y passe en revue dans un premier temps la chronologie générale de la structure, puis les différentes activités qui y étaient déployées et enfin les liens entre les structures locales et nationales et l'organisation interne de la Bourse. Tout cela est, et c'est bien plaisant, écrit de manière fluide et agréable. Et le contenu m'a vraiment beaucoup intéressé, à plusieurs titres. Tout d'abord en termes d'histoire locale, j'ai apprécié de comprendre un peu mieux les particularités lyonnaises, syndicales ici, mais tout à fait liées à la vie lyonnaise en général. Ensuite en termes d'activités puisque j'ai découvert notamment les services de placement, mais aussi de cours professionnels s'inscrivant dans une logique d'éducation populaire et militante dont je n'imaginais pas l'ampleur. Et enfin, de manière plus large, sur le mouvement syndical en général en France et ses orientations dans ces années-là, avec les réflexions contemporaines qu'on peut en tirer et sur lesquelles l'auteur conclut d'ailleurs de manière très intéressante. Si, donc, le thème vous intéresse, c'est un bon bouquin.


Lu. The girl who couldn't come, de Joey Comeau.

Joey Comeau est l'auteur des textes du merveilleux blog A softer world (http://www.asofterworld.com/), exercice dans lequel il fait preuve d'un talent remarquable avec les mots. Et, sans surprise, à coté de ça, il écrit de manière un peu plus habituelle. Enfin, habituelle, c'est beaucoup dire. The girl who couldn't come est un petit recueil de nouvelles érotiques. Enfin, érotiques... érotiques comme l'est Bataille dans Histoire de l'Oeil par exemple, c'est-à-dire profondément dérangeant et questionnant. Touchant aux questions de désir et de sexe par des biais inattendus et parfois choquants. Pas choquantes par des ressorts faciles, mais par des bizarerries du désir et des passions humaines, de ce qui les provoque et ce sur quoi elles peuvent se fixer de manière plus ou moins maladives. Et pour autant, ce sont des nouvelles dynamiques, et très souvent drôles et pleines de second degré. Ecrites avec le même sens des mots que dans ses autres textes, qui plus est, ce qui pour moi fonctionne à plein. Ce n'est donc pas un recueil de nouvelles érotiques pour une lecture qui réchauffe au coin du feu, mais une vraie lecture qui questionne et qui agite, aux nombreux sens du terme.


Vu. Treme, saisons 1 à 3, de David Simon et Eric Overmeyer.

Treme est une série HBO, inattendue mais extrêmement réussie et attachante. On y suit une douzaine de personnages principaux (et quelques autres), tous habitant la Nouvelle Orléans, à partir de l'immédiat post-Katrina. En particulier, on suit de près le quartier du Treme, qui est un des quartiers pauvres et un berceau de la musique traditionnelle de la Nouvelle-Orléans. Car, oui, on va beaucoup parler musique, et en entendre, dans des styles variés. C'est une des nombreuses originalités, et forces, de la série, que de prendre le temps de mettre en valeur et de faire profiter des musiques qui vivent dans cette ville. Un autre grand point fort est de développer des personnages variés, mais tous forts et pleins de finesses et de contradictions : des gens auxquels on s'attache vraiment, et pas des caricatures. Et dernier grand point fort, à mon sens, un vrai engagement politique dans le propos, par une dénonciation très nette des dérives politiques, locales comme nationales, sur la gestion de Katrina et de ses suites (et il y a de quoi faire, aussi bien en ce qui concerne Bush Jr, que la justice, les reconstructions ou la police de la ville). Treme est donc une série que j'ai adoré, sur un thème passablement inattendu certes, mais propice à des développements de personnages autant que de questions de fond. C'est une série de résistance, finalement, aux catastrophes naturelles comme humaines. Essayez donc, vous m'en direz des nouvelles.


Joué. King of dragon pass, de A sharp.

Attention, références pour vieux joueurs inside ! King of Dragon Pass est une jeu vidéo plus très récent, dans le monde de Glorantha (Runequest donc notamment), récemment remis à jour et porté sur iPad (accessoirement, une version PC sans la mise à jour se trouve sur GoG). Alors c'est du gros jeu difficile, dans lequel après pas mal d'heures, j'ai perdu de nombreuses parties mais je ne suis pas encore prêt d'en gagner une. Mais qu'importe, si c'est un jeu exigeant, c'est surtout un jeu très prenant : gros jeu de gestion habillé d'ambiance et de narration, en mode presque livre dont vous êtes le héros. En effet, les grands éléments de gestion (guerre, religion, santé, élevages, cultures, satisfaction des classes sociales variées, conseils de village, etc) sont rythmés par des évènements face auxquelles il faut faire des choix, avec les conseils du cercle des anciens qu'on a recruté, et donc les avis sont tous éminemment subjectifs. Un gros jeu de gestion dans lequel les mécanismes ne sont pas trop visibles ni trop expliqués, ce qui complique certes, mais qui donne surtout une immersion efficace : on se sent bien à la tête de sa petite tribu, donc on a écrit les mythes fondateurs, et ensuite on se démerde avec ses vaches, ses guerriers caractériels, et ses tribus voisines chafouines. Tout ceci plein de références détaillées au monde de Glorantha. Bon, avec cette description, vous vous doutez que le public est limité, mais pour ceux-ci, c'est un vrai plaisir plein de nostalgie (et de frustrations quand on meurt encore une fois tous de faim...)