Chroniques haineuses, mongoles et même pas mortes.


Lu. La haine de la démocratie, de Jacques Rancière.

C’était la première fois que je lisais du Rancière, mais j’en avais déjà entendu parler plusieurs fois : je ne regrette pas de m’y être lancé, ça m’a fait le plus grand bien. Rancière pense la question de la démocratie assez loin et assez profond, mais réussit à le faire en un nombre de pages limité (120) et avec un vocabulaire et une manière d’écrire éminemment lisible. Vu le sujet et où il remonte, ce n’était pas gagné, mais c’est réussi et je trouve ça admirable. Sur le fond, c’est un livre qui m’a passionné. Il remet à plat ce qu’est fondamentalement la démocratie, en corrigeant certaines idées fausses (que j’avais) quand à ses racines grecques et comment elle était perçue et combattue à l’époque, en particulier dans son lien à la république. Et il expose à partir de là les problèmes que posent l’idée même de démocratie à ceux qui ont le pouvoir et la charge de l’état. Ce qui est très éclairant quant aux discours actuels de critique de la démocratie, et d’assimilation de celle-ci au fonctionnement capitaliste libéral. C’est vraiment une grille de lecture que propose Rancière, et qui sur ces questions là m’aide personnellement beaucoup. De là, il arrive à la question de la haine de la démocratie, mais aussi de sa richesse et de fécondité, de son intention fondamentale et salvatrice de remettre en cause la répartition du pouvoir dans la société. Et ça fait du bien de se rappeler ça aussi clairement, de ne plus mélanger un tas de choses avec cette idée là. Vous vous doutez du coup que, même si c’est lisible dans la forme, c’est assez dense pour le fond et les idées. Mais c’est court, et ça vaut franchement l’effort.


Lu. Même pas mort, de Jean-Philippe Jaworski.

Il y a une première chose qu’on ne peut pas reprocher à Jean-Philippe Jaworski : il sait écrire. Vraiment. Comme dans son roman précédent (Gagner le guerre, que je recommande), l’écriture est foisonnante, inventive et très évocatrice. Le texte même, le rythme, font une part non négligeable de l’intérêt du livre, en plus de l‘histoire racontée. Et si il y a une histoire, et une plutôt bonne histoire, ce n’est même pas ce que je mettrais en second. En second, je mettrais la plongée dans la culture et la mentalité de la gaule pré-romaine. Une période peu documentée donc, et assez mystérieuse. Je ne sais comment l’auteur s’est documenté mais l’impression que j’en retire est franchement bonne en termes de cohérence historique. Et surtout, la manière dont il raconte, dont ses personnages pensent et nous font donc penser est superbement dépaysante et intriguante. L’impression est vraiment celle d’une plongée dans un ailleurs, pas si différent mais très différent, étrange, décalé. Effet qui est très largement amplifié par la structure étonnante de la narration. La narration n’est pas linéaire, et mèle surtout des temporalités différentes, réelles et spirituelles, ce qui au début m’a un peu frustré, mais au final, une fois accepté ce fonctionnement, qui a vraiment contribué à cette impression de plongée dans une autre époque et une autre culture, avec d’autres manières de considérer la réalité. En plus de ça, comme je le disais, il y a une vraie histoire, de vrais personnages, qui me donnent envie de me lancer dans les deux prochains tomes de ce qui est annoncé comme une trilogie. Jean-Philippe Jaworski est donc un auteur qui continue à m’étonner et me séduire, ce qui n’est pas si fréquent, en particulier chez les auteurs français, je vous recommande de jeter un oeil à au moins un de ses romans (selon vos préférences en termes d’ambiances historiques et de bizarrerie, celui-ci ou Gagner la guerre).


Lu. The Mongoliad (3 tomes…), collectif.

The Mongoliad est issue d’un processus expérimental intriguant : une écriture à six auteurs, sous forme de feuilleton multimédia dans un premier temps, sur une trame approximativement historique. Dans ces auteurs, il y a Greg Bear et Neal Stephenson, ce qui m’a convaincu d’essayer. Comme je ne sais pas m’arrêter en cours de route, et qu’il s’agit d’un roman coupé en trois plus que d’une trilogie, je suis allé au bout (encore qu’il y a deux suites en fait et pas mal de textes périphériques puisque c’est le principe de l’expérience de départ), mais je n’en sors pas convaincu. Deux aspects m’ont vraiment déplu au final. Le premier, sensible tout le long : le rythme. De fait, ça n’avance pas vite, notamment les trames les plus centrales, et la multiplication des points de vue, et des fils narratifs, rends l’ensemble assez laborieux, d’autant que certaines trames arrivant en cours de route n’ont quasiment aucun lien avec le reste. Le second point, c’est que, même à l’issue des trois tomes, où la trame motrice de l’ensemble se boucle, il reste un très grand nombre de personnages et d’intrigues laissés en plan. Mais complètement en plan, avec des mystères avec lesquels le lecteur est appaté depuis le début qui ne trouve juste aucune résolution. Et c’est quand même très frustrant. Pas au point de lire un tome de plus, notez bien, mais je reste très largement sur ma faim. A coté de ça, il y a quand même des personnages intéressants (mais donc beaucoup ne servent au final pas tellement), des descriptions très détaillées des techniques de combat médiévales, orientales comme occidentales (et a priori très justes vu le niveau de maniaquerie sur le sujet de l’ensemble des auteurs, ce qui sera un vrai atout pour les passionnés, mais pour les autres, ça rappelle plus Les chevaliers du zodiaque avec des combats qui durent des pages, décrits geste par geste), et un cadre historique riche et bien documenté. Comme le titre l’indique, l’ensemble se déroule en 1241, soit la fin de la grande vague des invasions mongoles en Europe, et la découverte de l’ampleur de la chose, et de la culture mongole sont intéressantes, mais ça ne sauve quand même pas l’ensemble. A part donc si le combat médiéval et cette période vous passionnent, ce n’est pas une lecture que je recommande.


Lu. Les rues de Lyon , de l'épicerie séquentielle.

L’épicerie séquentielle, une joyeuse bande de dessinateurs et scénaristes lyonnais, a lancé depuis cette année un nouveau format expérimental : les rues de Lyon. Il s’agit de bandes dessinées de douze pages, sous format journal (mais avec du beau papier épais), chaque numéro racontant une anecdote ou un événement de l’histoire de Lyon, avec à chaque fois un ou une auteur-e différent. Les sept premiers numéros sont sortis, on commence donc à avoir un pannel un peu large, et l’ensemble est vraiment plaisant. Bien sur, les styles sont variés, aussi bien dans le dessin, le type de narration que les sujets. Chacun aura ses préférences, mais je trouve que l’ensemble est de bonne qualité. Je dois bien avouer une petite frustration, parce que douze pages, c’est court en BD, et l’exercice n’est donc pas si facile : à la fois raconter une histoire et présenter un événement ou un contenu historique. Du coup, sur certains sujets, j’aurais aimé en avoir plus, aller plus loin, mais je dois avouer que ce n’est pas l’objectif de ce format où on reste dans de la découverte avec des éclairages ponctuels. Ce qui n’empêche pas, mais en ayant une culture lyonnaise pas si mauvaise, de faire lors de certains numéros des découvertes complètes sur des évènements ou des personnages inconnus jusque là. Je trouve que le pari est largement réussi, surtout avec un prix à 3 euros le numéro ! On peut s’abonner, ou les trouver en librairie, en attendant d’avoir sans doute des compilations de temps à autre. Un chouette projet, pas cher et très sympa à lire, que je vous encourage à découvrir et à soutenir.


Lu. Je pense mieux, de Christel Petitcolin.

Christel Petitcollin est coach. Déjà, j’aurais du me méfier. Bon, elle est psychologue aussi. Ceci est son second ouvrage sur la question de la surdouance et j’avoue n’avoir fait que survoler le premier, qui m’a donné l’impression de proposer un survol simplifié de ce qu’on trouve déjà dans d’autres ouvrages mieux documentés. Et je ne dis pas que si on veut une version light et rassurante (notamment parce que c’est édité dans des collections de développement personnel), ce n’est pas adapté, mais franchement, ce n’est pas l’approche qui me convainc. Ce deuxième tome est donc écrit après les retours qu’elle a eu du premier (extatiques et élogieux, de ce qu’elle en dit), et se veut un approfondissement de certaines problématiques, ainsi que de pistes pour avancer sur le sujet. Et là, bon, grosse déception en ce qui me concerne. D’une part parce que ce sont des idées basées la plupart du temps sur pas grand-chose, mais trop souvent présentées comme des pistes sérieuses. Ce que je trouve passablement dangereux. Et d’autre part, parce que la manière d’aborder les choses en général est très dans le discours amical, hyper-entousiaste et avec très peu de recul, ce que je trouve assez peu engageant, et là encore assez dangereux. Bref, j’aime pas l’approche coach qui te dit comment il faut faire parce qu’elle a trop des idées sorties de sa tête et que bien sur c’est une super piste… Comme je le disais, je trouve même ça dangereux d’affirmer tout et n’importe quoi, en particulier en se prétendant spécialiste et dans une collection “facile d’accès”. Le fait que ça aille jusqu’à discourir sur la dimension spirituelle a, je l’accorde, contribué à mon avis négatif. Bref : non, ne lisez pas celui-ci.


Lu. Les surdoués ordinaires, de Nicolas Gauvrit.

A l’exact opposé de l’ouvrage précédent, un livre sur les surdoués qui tente justement une synthèse de ce qui existe réellement sur ce sujet dans la littérature scientifique au niveau mondial. Aucune prétention à être spécialiste de la question ou à donner des conseils donc, mais une organisation en chapitres thématiques, axé chacun autour d’une question, et un passage en revue des travaux et conclusions existant sur le sujet, avec une synthèse courte et pratique en fin de chapitre. Certes, c’est un peu aride comme format, mais en même temps, c’est annoncé dès le départ et étant donné le nombre de choses passées en revue, ça passe quand même franchement bien à la lecture. Et c’est franchement éclairant. Notamment parce que ça remet en cause certaines idées pré-conçues, même chez des “spécialistes” et assez largement diffusées. Parfois avec des résultats, certes à petite échelle, qui disent le contraire, et le plus souvent avec simplement la conclusion claire qu’il n’y a pas, étant donné le peu de travaux spécifiques sur la question, de réponse fiable. Ce qui n’empêche pas d’avoir son avis, mais qui évite au moins de se fourvoyer en pensant que c’est effectivement validé. J’y ai trouvé des choses vraiment intéressantes, et finalement plus de questions que de réponses (parce que dans beaucoup de cas, comme je disais, il faudrait surtout chercher un peu plus), mais ce sont des questions plus fines et plus claires. Ce n’est certainement pas un livre pour entrer dans ce sujet, mais pour ceux qui veulent un regard plus large et plus scientifique, je trouve ça très adapté.