Chroniques micropolitiques, noires et consentantes.



Micropolitique des groupes, de David Vercauteren.

Il n’existe finalement qu’assez peu d’ouvrages explorant un peu en détail les questions de fonctionnement de petits groupes, en particulier de petits groupes associatifs ou militants. J’entends par là en particulier des ouvrages qui sortent de l’énoncé de principes généraux, d’intentions ou de listes d’outils et de méthodes d’animation. C’est donc par plusieurs recommandations croisées que j’en suis arrivé à ce livre riche et profond, mais parfois un peu difficile à saisir. Micropolitique des groupes est le fruit d’une réflexion de fond, alimentée par divers corpus intellectuels, mais basée avant tout sur une expérience collective militante forte. Les membres de ce collectif ont eu l’intelligence et la force de se pencher sur les modalités de leur fonctionnement, pendant et après son existence, et d’essayer d’en faire une analyse approfondie. L’un d’entre eux s’est chargé de produire une forme écrite. Face à la richesse des thématiques, et avec la volonté de donner des clés de lecture et des pistes de réflexion plus qu’un dogme, le choix, pertinent à mon sens, à été fait de réaliser une sorte de dictionnaire, avec des entrées thématiques. Chaque entrée explore une facette du fonctionnement d’un groupe. Certaines sont assez pragmatiques, d’autres politiques et d’autres franchement philosophiques. Toutes sont riches et apportent de quoi penser et repenser ses pratiques. Pour peu qu’on en aie. En effet, c’est une limite de l’ouvrage : ce n’est pas forcément facile à prendre en main sans une certaine culture du collectif et du fonctionnement de groupes militants. Je dirai : rien d’insurmontable, loin de là, mais il faut vouloir aller un peu en profondeur. Plusieurs fils de lecture sont proposés, afin de relier les différentes entrées, et permettent une approche un peu plus linéaire, si ce n’est narrative. Ce n’est malgré celà pas un livre que je trouve facile d’abord, mais c’est une livre que je trouve très riche et très précieux. En tout cas, il m’a posé des questions importantes et apporté des éclairages riches en termes de pratique d’animation et de fonctionnement en collectif. Pour peu que ces questions vous occupent, c’est largement recommandable. Si vous voulez vous faire une idée, c’est même disponible là :

http://chieusesdefeministes.free.fr/IMG/pdf/Micropolitique_des_groupes.pdf


Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ? de Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot et Etienne Lécroart.

Dans le même type de perspective que Riche, pourquoi pas toi ?, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot proposent ici, en collaboration avec Etienne Lécroart pour les illustrations, une forme facile d’accès de leur travail, et de leur positionnement politique. Plus que Riche…, cet ouvrage est une vulgarisation, visant spécifiquement le public enfant/jeunes adultes. Le propos est donc extrêmement clair et simple, mais y gagne une efficacité plus que bienvenu. Et le propos est engagé. Au vu du titre, on peut s’en douter, mais c’est plus qu’affirmé. Pourtant, il est difficile de trouver à redire au fond de ce qui est rendu explicite, en termes de fonctionnement économique et social, en termes de clarification politico-économique. C’est à ce titre un premier pas essentiel dans cette thématique, et à mon avis pas que pour les enfants (c’est peut-être un de mes seuls regrets : le ton des textes, clairement jeune public, pourra freiner certains lecteurs adultes qui pourraient pourtant y trouver autant de bénéfice que les enfants auquel c’est destiné). L’ensemble est découpé en vingt questions, qui permettent de répondre à celle posée dans le titre, en passant bien sur par la définition des riches et des classes sociales, mais aussi des grands principes de l’économie capitaliste, et allant sur les questions fondamentales d’égalité et de choix politiques. Les dessins de Lécroart éclaircissent et animent l’ensemble avec humour et en font un petit livre qu’il fait envie de prendre en main. Je recommande chaudement, pour des enfants comme pour des adultes, car ce sont des fondamentaux qui concernent absolument tout le monde, et le fait de les relire expliqués aussi clairement redonne aussi envie d’y faire quelque chose.


Le livre noir de l’animation socio-culturelle, sous la direction de Marion Peyre.

Cet ouvrage propose un gros boulot de synthèse, mené sous la direction d’un syndicat de la branche (rattaché à la CGT), destiné à mettre en lumière les conditions de travail dans l’animation socio-culturelle, et, de fait, les contradictions entre les intentions politiques annoncées et les réalités de terrain. Si il s’agit bien du coeur du propos, on fait bien sur quelques détours, tout à fait bienvenus pour ma culture professionnelle au moins, par l’histoire des différents mouvements de l’éducation populaire et du droit du travail. Le titre l’annonce : il ne s’agit pas d’un bilan des plus réjouissant, mais je trouve, de manière tout à fait subjective, qu’il est fait avec justesse et sans prétendre à l’exhaustivité. Mieux, il est fait et illustré avec de nombreux témoignages directs aussi bien d’animateurs que de directeurs (et d’autres personnels d’ailleurs), ce qui renforce l’aspect volontairement parcellaire de ce qui est mis en avant, et l’ancre dans une réalité qui permet une lecture prenante et variée. Les contradictions fondamentales entre les discours d’éducation populaire et les pratiques d’emploi, d’arrangements et de défi vis-à-vis de la présence syndicale notamment sont certes peu réjouissants, mais sont montrés de manière très clair et incontournable. Tant mieux, le but ici est bien de pointer les dysfonctionnements. De la même manière, le basculement d’une bonne partie de la branche dans des logiques d’abord marchandes et économiques méritait bien d’être pointé de manière aussi nette. J’ai trouvé l’ensemble de l’ouvrage agréable à lire, bien construit et bien argumenté. Outre des pistes politiques et organisationnelles qui me semblent indispensable dans ce champ professionnel, il m’a aussi permis de compléter ma culture globale dans le domaine.


La servante du seigneur, de Jean-Louis Fournier.

Toujours dans le même format de petits chapitres courts et touchants, souvent poétiques, Jean-Louis Fournier continue son panorama biographique. Après avoir évoqué son père, ses fils, sa compagne, c’est ici sa fille qu’il évoque. Et la tonalité est plus amère, plus douloureuse. Parce que sa fille, après avoir été proche de lui, émotionnellement, mais aussi intellectuellement et artistiquement, s’est éloignée pour entrer en religion. Ou tout au moins dans un mode de vie fondamentalement centré sur la religion et le partage d’une perspective visiblement assez radicale avec son compagnon. Je n’irai pas jusqu’à sectaire même si c’est ce qu’évoque l’auteur, souvent indirectement, parce que justement le point de vue de Jean-Louis Fournier est tellement personnel et tellement teinté d’amertume et de reproches qu’il est difficile de se faire une idée claire. Non que ce soit nécessairement intéressant d’ailleurs. Et le mot de la fin, rédigé par sa fille, ne fait que renforcer cette impression de trouble. C’est au final là que se trouve à mon sens la dimension la plus prenante et touchante de ce livre, dans les émotions qui le traversent, dans cette relation père-fille pleine de douleurs, de reproches, et pourtant aussi d’amour. Les questions que cela soulève, sur les formes que peuvent prendre ou non une relation de ce type quand les valeurs et les modes de vie deviennent opposés, sont complexes et touchantes.


Consent of the networked, de Rebecca McKinnon.

Le moins qu’on puisse dire est que le sujet m’intéressait puisque Consent of the networked balaie les questions de gouvernance d’internet en général, et de transparence, de contre-pouvoirs, de dérives des technologie, de neutralité du net et de vie privée en particulier. Et sur l’ensemble de ces sujets, il y a de quoi réfléchir. Rebecca McKinnon fait un vrai boulot de fond en répertoriant les différentes problématiques et en les illustrant de manière vivante et détaillée. Elle met en particulier très bien en valeur les répercussions des différents choix et non-choix, politiques comme technologiques, dans ces différents domaines. Ce qui permet justement de balayer à raison l’idée qu’en laissant faire tout se passera bien et met en avant la nécessité d’une implication politique sur la gouvernance d’internet, de la part des citoyens en général, qui ne sont donc pas seulement des utilisateurs si ils veulent éviter des dérives passablement dangereuses (à noter que l’ouvrage a été écrit avec les révélations de Snowden notamment, mais garde toute sa pertinence tant il balaie aussi ce champ-là de manière spécifique). Son argumentaire est tout à fait équilibré, puisqu’elle part du principe, réaliste, qu’il est nécessaire de mettre en place des mesures correctives de manière progressive. C’est un parti-pris que je comprends, et auquel je peux même me ranger, raisonnablement, mais qui m’a parfois un peu frustré à la lecture, tant c’est mesuré sur certains aspects. Ceci étant, c’est une frustration mineure, tant c’est un ouvrage important et bienvenu pour se faire une culture un peu plus approfondie de ces problématiques.


The book of Taltos + The book of Athyra + The book of Dragon, de Steven Brust

Après The book of Jhereg, qui compilait les premières aventures de Vlad Taltos, voici donc les suites, puisqu’il s’agit là encore de compilations de deux tomes en un à chaque fois. Le format général reste donc celui d’aventures relativement courtes mais de ce fait denses et rapides, ce qui pour une lecture de divertissement est un vrai avantage. Divertissement, ceci dit, ça se discute de plus en plus au fil des tomes. Le ton général reste drôle et léger, mais les thèmes abordés sont assez surprenant, et de belle manière. En effet, certains épisodes s’éloignent assez franchement des schémas classiques de l’heroic fantasy. En particulier, un tome tourne autour de révolutions populaires et de luttes de classes et de races, et avec talent et finesse, et un autre autour d’intrigues bancaires, d’arnaques pyramidales et de collusions avec les plus hautes autorités de l’Empire. Vous m’accorderez que c’est inattendu. Mais Brust réussit ces tomes là aussi bien que les autres et en gardant une cohérence de ton. Cohérence au sens large, puisque Brust expérimente aussi sur la forme : le style de narration change de livre en livre, de manière plus ou moins marquée, mais c’est agréable et amusant aussi. Au fil des tomes, une trame de fond commence à se dégager, avec des implications de très grande ampleur, ce qui est plutôt à mon gout et nous entraine dans des directions qui vont ressembler à de la mythologie, voire carrément à de la science-fiction si on continue comme ça. C’est donc une série qui continue à me surprendre, en bien, et qui réussit à être à la fois une vraie lecture de distraction et une série qui a des choses à dire.


Lip, des héros ordinaires, de Laurent Galandon et Damien Vidal.

L’aventure Lip, ce n’est pas rien, c’est même essentiel historiquement, et après des fimms documentaires, voici une bande dessinée pour transmettre cette mémoire. C’est salutaire de mon point de vue. Et c’est réussi. Graphiquement, c’est un style plutôt documentaire, en noir et blanc, que j’aime bien et qui est franchement agréable à suivre et à lire, faute d’être particulièrement marquant. D’un point de vue narratif, le choix est fait de méler à la fois l’histoire générale des lip et l’histoire particulière d’une ouvrière. Ceci permet de rendre bien plus humaine et touchante l’histoire générale et le contexte, et de porter un regard spécifique sur les personnages et les événements. Ces derniers sont retranscrits de manière claire ainsi que leurs enjeux et implications, aussi bien en termes de politique générale que d’évolution personnelle des personnes impliquées. Une introduction de Jean-Luc Mélenchon et un épilogue du repreneur de Lip complète de manière utile l’ensemble en redonnant un éclairage sur l’importance symbolique et historique de l’histoire des lip et sur les raisons pour lesquelles cette aventure exemplaire a été ensuite sabordée et mise de coté dans les médias et l’histoire officielle autant que possible. Ce qui ne rends que plus utile ce type d’ouvrage, d’ailleurs. Bref, si vous voulez découvrir un peu mieux le parcours des lip, en tout cas pour la première époque, ou la partager et la faire découvrir, c’est un très bon point d’entrée.


Les meilleurs ennemis, 1952-1984, de Jean-Pierre Filiu et David B.

Dans ce second tome, David B. continue son panorama historique des relations entre les Etats-Unis et le moyen orient. De la géopolitique et de l’histoire, donc, toujours, mais cette fois-ci plus récente, et donc moins morcelée et baroque. En effet, on arrive dans les périodes de guerre froide, d’affrontements autour d’Israël et de mise en place de régimes plus ou moins condamnables dans un certain nombre de pays arabes avec “l’appui” des Etats-Unis ou de l’URSS. Si le tome précédent montrait les origines de tout ça, on est ici vraiment au coeur du sujet et en fait de l’actualité politique du proche-orient, et l’éclairage que ça permet est vraiment très intéressant et très éclairant pour un sujet au départ passablement complexe et embrouillé. Bon boulot donc de ce coté-là, mais c’est finalement l’aspect graphique qui mérite le plus d’éloges. Parce que David B. est au mieux de sa forme et compose des planches magnifiques. Très sombres, comme toujours, et très chargées, mais dans les deux cas, c’est parfaitement adapté au sujet, et ça permet d’illustrer de manière très symbolique des situations et affrontements passablement politiques et à des échelles presque abstraites. Une vraie réussite donc, aussi bien pour ce que ça permet de comprendre que pour la qualité graphique remarquable et maintenue tout au long du volume.


Doctor Who, saison 8.

Nouvelle saison de Dr Who, et surtout nouveau docteur. Comme à chaque fois, il est dans un premier temps difficile de s’habituer à un nouveau docteur, on regrette forcément l’ancien (même si, très honnêtement, je trouve qu’il avait largement fait son temps). Et je dois dire que Peter Capaldi s’en sort bien. Il a une certaine prestance et il prends ses marques assez rapidement. Mais c’est un docteur plus sombre, qui prends moins plaisir à ce qu’il fait, et qui est aussi plus misanthrope. Ce qui a un intérêt, mais sur la longueur, c’est quand même moins enthousiasmant. En particulier lors d’épisodes plus sombres, et il y en a quand même une bonne proportion, ça fait un peu ton sur ton et on perds l’énergie et la légèreté des saisons précédentes. Conjugué au fait qu’on on continue avec Clara comme compagnon, et que de mon point de vue, elle a fait son temps et est de plus en plus fade et sans grande surprise, ça me laisse l’impression que tout ça manque un peu d’énergie et de joie. Maintenant, il y a quand même dans cette saison quelques bons épisodes. Moins que ce qu’on pourrait espérer, ce qui me laisse l’impression d’une saison finalement assez moyenne. D’autant que le final, si il est sympathique et plutôt réussi, n’a pas l’ampleur qu’on attends d’une fin de saison, et ne méritait pas de l’annoncer autant à l’avance (surtout avec des teasers aussi vides et rapides). Ou alors, il fallait exploiter plus l’adversaire en question, dont le retour me ferait franchement envie. A l’inverse, l’épisode de Noël m’a bien amusé et redonné une tonalité plus rigolote que j’espère voir continuer pour la saison prochaine. Tout ça ne m’éloignera pas de Dr Who mais il faut reconnaitre que c’était une saison assez moyenne.


Rumble in the house, de Olivier Saffre.

Rumble in the house est un tout petit jeu, simple et rigolo, qui mérite d’y jeter un oeil pour des petits moments d’apéro ou d’interstices ludiques, avec n’importe quel public. Le principe est tout simple : une maison, composée de pièces et assemblées pour chaque partie (mais ça ne change pas grand chose en terme de fonctionnement ludique) et une douzaine d’habitants, soit des pions illustrés. D’ailleurs, les illustrations sont très jolies et très débiles, ce qui participent très largement à l’ambiance du jeu et sa réussite. Car le principe est simplement à son tour de déplacer un pion vers une autre pièce ou de faire combattre deux pions présents dans la même pièce. Et le combat est simple : le joueur décide simplement qui gagne et qui est éliminé : Cthulhu contre l’elfe des bois, le ninja rose contre les loutres commando, le pingouin terroriste contre le golem radioactif, etc. Chaque joueur ayant deux personnages, secrets, qui lui sont propres, chacun gagnera des points selon le temps qu’aura duré son meilleur personnage. C’est tout simple, très rapide donc et franchement rigolo pour peu qu’on veuille juste s’amuser un moment sans se prendre la tête et en racontant des conneries tout en bluffant doucement.