Chroniques communes, droguées et blanches.



 Lu. Commun, de Pierre Dardot et Christian Laval.

Il est des livres dont le propos peut fasciner mais la forme être un dur labeur. C’est le cas de Commun, ouvrage fondamental que j’ai laborieusement terminé. Le propos est essentiel, et même brillant, puisqu’il s’agit de passer en revue la notion de Commun, de la dégager de multiples tentatives de définition partielles et biaisées, pour en faire apparaitre les éléments centraux, et surtout les éléments propres à constituer une direction d’action politique dans la refondation de communs à tous les niveaux. Vaste ambition, et en grande partie menée à bien. On parle bien de commun, et pas seulement de bien commun, puisqu’un des propos est justement, pour diverses raisons (répercutions politiques, juridiques, économiques et sociales) de s’éloigner de l’idée de biens pour se préoccuper surtout des modalités de fonctionnement et des règles communes. Certaines concernent la gestion de biens inaliénables, mais pas seulement, et même pour les biens, l’accent est sur la manière dont on crée un commun vivant et négocié autour de la gestion de ces biens. Les propositions politiques qui forment la dernière partie de l’ouvrage m’ont particulièrement intéressé, et si elles restent pour certaines très générales, elles sont pour le moins solidement argumentées et établies. Cette partie-là mériterait d’être largement diffusée. Le reste, moins, de mon point de vue. De fait, la majeure partie du reste de l’ouvrage est très universitaire et trop détaillée pour mon usage et mes compétences : il s’agit en effet de passer en revue de très nombreux écrits, juridiques, politiques, historiques et philosophiques abordant les notions de commun pour en récuser les biais et imprécisions et en garder les éléments probants. Pour des universitaires ou des personnes devant justifier de manière très détaillée l’approche du commun proposée par les auteurs, c’est sans doute utile. En ce qui me concerne, une version beaucoup plus synthétique m’aurait largement suffi et m’aurait été d’une lecture beaucoup plus agréable. Si vous avez l’occasion de l’emprunter, une lecture partielle mérite sans doute largement le détour si le propos vous intéresse (je proposerais dans un premier temps l’introduction générale, les têtes de chapitre et la partie finale sur les propositions politiques).


King Rat, de China Miéville.

Ce n’est rien de dire que China Miéville m’impressionne. Il me charme aussi, et me fait rire souvent. Pour ce qui est d’impressionner, il s’agit qui plus est de son premier livre. Je pense que peu de gens peuvent se comparer à Miéville pour ce qui est de fantastique urbain. J’entends par là : de fantastique articulé autour de la ville, de ses recoins, ses cultures cachées et ses zones d’ombre. Et de ses rats, puisque c’est le coeur du livre. Et de leur roi, créature fantastique mais pas tellement brillante, et pas tellement humaine. Autour de ce personnage, une intrigue dont les tonalités sociales et politiques sont évidentes sans pour autant jamais interférer ou prendre le pas sur l’ambiance et la narration. Et surtout les bas-fonds, le verso de Londres, fantastique mais aussi très réel et actuel, avec la scène musicale underground et ses jeunes plus ou moins en rupture. Ce n’est pas un livre ensoleillé, vous vous en doutez bien, mais c’est un beau livre. A tous points de vue. Avec un charme et une poésie qui ne choisit pas la facilité, mais qui au contraire creuse dans l’ombre, dans les zones abandonnées et dans ce qu’elles peuvent avoir de profondément romantique. D’une certaine manière, en premier ouvrage, ça annonce les thématiques de fond qu’on retrouve dans les ouvrages suivants de Miéville, mais de manière sans doute plus directe, moins baroque et alambiquée, ce qui peut en faire un bon point de  départ pour ceux que le reste de son oeuvre peuvent intimider.


Iorich, de Steven Brust.

Vous commencez peut-etre à en avoir un peu marre que je vous parle de Vlad Taltos et de Steven Brust, je ferai donc court. Cependant, si je continue à vous en parler, c’est que je continue à les lire et à y prendre plaisir, ce qui n’est pas non plus complètement anecdotique. Avec ce tome, on reprends donc la chronologie à son point le plus avancé, et c’est plaisant dese dire que ça avance quand même un peu. C’est finalement mon reproche au point où j’en suis de la série : tous les tomes sont agréables et souvent surprenants, mais il y a une petite frustration à ne pas voir avancer plus vite la trame de fond qu’on sent bien se dessiner. Et après certains tomes assez gros budget de ce point de vue là, le retour à des aspects plus pragmatiques est parfois un peu frustrant. Un peu seulement parce que chaque tome, et celui-ci en particulier, explore une nouvelle facette du monde et des personnages, et dans un style différent. Ici, c’est le système judiciaire et ses détournements politiques qui est central, avec une fois de plus de très forts échos à la réalité. Ils ne sont pas spécialement mis en avant ou soulignés mais il est difficile de les rater. Et une fois de plus, c’est une dimension rare en fantasy et j’apprécie beaucoup. Et d’autre part, l’écriture et le scénario font que c’est plaisant en soi de toutes façons. Un ajout à la série qui ne bouleverse pas grand chose sur le fond mais qui remplit son contrat de faire une bonne histoire et un plaisir de lecture.


Five hundred years after, de Steven Brust.

Toujours Steven Brust, donc, mais cette fois-ci pour la suite de sa série prologue calquée sur Alexandre Dumas. Les plus érudits auront reconnu le parrallèle dans les titres des deux séries, j’imagine. Cinq cent ans après ‘Les gardes phénix” (sachant que l’espérance de vie des personnages tourne autour de deux mille ans), on retrouve donc les mêmes protagonistes, l’un après l’autre, ayant évolué chacun selon sa voie. L’ambiance à la cour impériale est lourde et perclue de manipulations et d’assassinats, ça sent la fin de règne houleuse. De fait, et c’est quasiment pas un spoil tant tout celà est déjà annoncé et décrit dans la série Taltos, c’est de la fin cataclysmique du règne impériale qu’il s’agit. En soi, ça fait une histoire de grande ampleur très chouette, mais pour ceux qui ont lu Taltos, c’est en plus les racines d’importants et attachants personnages secondaires, et ça ajoute beaucoup d’intérêt. Si l’histoire est vraiment bonne, c’est, comme pour le précédent, le style qui fait finalement le plus au plaisir de lecture. On retrouve en effet le style ampoulé et caricatural de notre auteur virtuel, Paarfi, ses commentaires permanents sur ses choix d’écriture, sur le travail d’historien, sur tout et n’importe quoi, à l’excès, et les dialogues payés à la ligne avec leurs aller-retours incessants et objectivement inutiles. Inutiles sauf en termes de plaisir, car ça en devient un jeu des plus agréables. J’imagine bien que ça pourra en repousser coimplètement certains, qui préfèreraient avoir une histoire qui avance plus vite et un style plus sobre. Finalement, ce n’est pas du tout mon cas, et une fois qu’on abandonne ce type d’attentes, on peut prendre un plaisir indiscutable à ce style excessif mais tellement drôle. Pour autant, il fait se dire qu’on va devoir prendre son temps, et aussi qu’il est sans doute mieux de faire une petite coupure avant le suivant pour ne pas saturer.


Drugs without the hot air, de David Nutt.

David Nutt est psychiatre de formation, et spécialisé dans les addictions et leur prise en charge. Il a été membre du conseil scientifique dédié à ce sujet avant de se faire virer pour n’avoir pas limité ses propos publics à ce que ses commanditaires gouvernementaux jugeaient souhaitable du point de vue politique. C’est donc quelqu’un de compétent et qui parlent de drogues de manière très directe et objective, sans chercher à lisser son propos d’un point de vue politique ou à l’édulcorer. Il parle donc de ce qui est dangereux et de ce qui l’est beaucoup moins, de ce qui est agréable aussi, et des couts, individuels mais aussi sociaux, des différentes drogues et des différentes politiques visant à les gérer. A noter : il ne se limite pas aux drogues illégales mais parle aussi largement d’alcool et de tabac, ainsi que de médicaments légaux (moins, cependant, car le sujet est passablement large). Il s’agit donc bien d’un ouvrage de vulgarisation, mais de vulgarisation très complète et qui ne verse pas dans la simplification. Certains développements sont rapides, mais les références sont données pour en chercher plus, et même rapides ils passent déjà en revue beaucoup de connaissances et beaucoup de réflexions sur ce qui peut être fait dans le domaine, individuellement, éducativement et politiquement. J’ai un vrai regret : il n’existe pas à ce jour en français, alors que c’est à mon sens un ouvrage de référence qui mériterait d’être diffusé et conseillé très largement (et donc la dimension spécifiquement anglaise sur l’aspect politique ne limite en rien la pertinence (d‘autant qu’il élargit certaines questions à des politiques américaines et européennes dès le départ). A titre individuel, c’est en soi une éducation, mais si vous avez des enfants qui se rapprochent de questions à ce sujet (ou que vous travaillez avec), c’est une ressource extrêmement précieuse (avec même une partie spécifique sur comment aborder ces sujets avec des enfants). J’ai donc appris plein de choses, réfléchit sérieusement sur pas mal de questions attendues et inattendues, rigolé aussi (parce que Nutt écrit bien et de manière détendue) donc je le recommande chaudement.


Journal d’un écrivain en pyjama, de Dany Laferrière.

Voilà longtemps que je n’avais pas lu Laferrière, dont j’avais beaucoup apprécié les premiers romans pour m’en lasser un peu ensuite. Il propose ici un journal, donc une série de petites entrées numérotées, allant d’un paragraphe à quelques pages, sans ordre apparent, sur sa pratique de l’écriture et son rapport à la littérature, à ses auteurs de référence et au monde en général. Je l’ai lu à petites doses, par petits morceaux, et ça s’y prète parfaitement. Ses réflexions sont souvent amusantes, parfois éclairantes, et, pour quelqu’un-e qui aimerait ou aurait envie d’écrire un peu plus ou un peu mieux, comme c’est mon cas, pleines d’idées amusantes, rassurantes et intriguantes. L’ensemble est écrit dans un registre simple et direct, presque transparent parfois, qui crée une proximité voire une intimité avec l’auteur. L’impression est celle d’une discussion détendue étalée sur de nombreuses entrées, et pas celle d’un manuel ou d’un essai très sérieux sur la Littérature. Tout au contraire. Je pense d’ailleurs qu’à l’occasion, j’y retournerais piocher au hasard une idée ou un impression, quelques phrases de discussion légère mais pas dépourvue de fond.


Blanc manger coco

Certains d’entre vous connaissent, au moins de nom, Cards against humanity : il s’agit d’une version française, réalisée à l’arrache et sans mention officielle de la filiation (ce qui est assez raccord avec l’esprit du jeu, mais aussi des auteurs du jeu d’origine tels qu’ils l’affichent sur leur site). Donc : une production d’une qualité viable mais clairement en dessous des standards de l’industrie ludique contemporaine. Comme il ne s’agit que de cartes (de beaucoup de cartes), ça ne me semble pas très grave, si ce n’est en termes de durée de vie potentielle (mais du coup, à 25 euros pour plusieurs centaines de cartes, ce n’est pas du vol non plus). Le principe du jeu est excessivement simple : une phrase à trou est proposée et chaque joueur va choisir dans ses cartes celles qui complètent la carte de la manière la plus drôle. Mais. Mais ce qui fait tout l’intérêt du jeu c’est le contenu des cartes. Qui vous mènera forcément sur des résultats décalés, vulgaires, parfois lourds, mais le plus souvent inattendus et vraiment drôles. Drôles si vous avez franchement mauvais esprit, soyons clairs. Oui, vous ferez des blagues de cul, de l’humour très noir et des phrases dont vous aurez un peu honte. Mais entre personnes qui partagent le même humour et qui n’ont pas peur d’aller dans le n’importe quoi, c’est vraiment, vraiment, vraiment drôle. Du genre à avoir à la fois un peu honte de rigoler de ça et mal au ventre et aux maxillaires à force de rigoler. Juste : choisissez avec qui vous jouez :P